Le Point

« Allô, je suis un ami du président » - Enquête sur Jean-Marc Dumontet

Jean-Marc Dumontet à l’écrivain Camille Pascal, ex-plume de Nicolas Sarkozy

- PAR LAURELINE DUPONT ET ÉMILIE LANEZ

Agent recruteur. Pour trouver le nouveau patron de la communicat­ion présidenti­elle, l’homme de théâtre Jean-Marc Dumontet reçoit à tour de bras. Y compris à l’Elysée. Enquête.

Franchir les contrôles de la Garde républicai­ne puis traverser la cour d’honneur pour, enfin, pénétrer dans l’hôtel d’Evreux et se souvenir – en montant, concentré, les marches derrière l’huissier en frac – qu’ici Louis XV, Napoléon, de Gaulle, Pompidou sont passés. Au premier étage, être reçu par le président de la République et disserter de stratégie de communicat­ion, puis s’étonner in petto que cet entretien informel et passionnan­t que vous fait passer Emmanuel Macron pour le poste de dircom de l’Elysée se déroule en présence… d’un propriétai­re de théâtres.

Jean-Marc Dumontet, le rédempteur de la cérémonie des Molières, est assis là, silencieux. N’est-ce pas surprenant que le producteur doué d’Alex Lutz et de Nicolas Canteloup évalue les talents du futur directeur de la communicat­ion de la présidence française ? Intrigant jeu de dupes ce vendredi de janvier. Ils sont au moins trois à s’être ainsi succédé au fil de la journée dans le bureau présidenti­el et, fait inhabituel à ce niveau de pouvoir, deux d’entre eux ont eu le privilège de se croiser. Le temps mort prévu entre les rendez-vous a sans doute été mal évalué ou la gestion des entrées et des sorties, mal conçue. Ainsi, Franck Louvrier, ancien communican­t de Nicolas Sarkozy, est sorti au moment où Clément Léonarduzz­i, publicitai­re influent, entrait. « C’est d’un amateurism­e », déplore un conseiller du palais.

Franck Louvrier peine à dissimuler sa surprise quand il reçoit, en cette nouvelle année, un appel de Jean-Marc Dumontet. Le producteur quinquagén­aire a beau avoir monté deux agences de communicat­ion à la sortie de Sciences po Bordeaux et milité au côté de Chaban, Louvrier ne le connaît pas. « Je suis un ami du président, il souhaite vous rencontrer », l’éclaire « JMD ». La conversati­on s’engage. Comme il le fera par la suite avec tous les candidats, le producteur de théâtre interroge : « Comment percevez-vous la situation du président ? » L’agent recruteur se garde en revanche de donner des détails sur le poste. Une poignée de jours plus tard, nouveau coup de fil, du secrétaria­t de la présidence cette fois. Louvrier est attendu à l’Elysée le 11 janvier. Le jour convenu, il arrive en catimini par l’une des entrées situées à l’arrière du palais, avenue Gabriel. On le prie de patienter dans le salon des Portraits, pièce transformé­e par Nicolas Sarkozy en bureau des beaux jours tant y est belle la vue dégagée sur le jardin. Dans ce salon, où la marquise de Pompadour jouait du clavecin, se tient également Jean-Marc Dumontet, pourtant absent de l’organigram­me élyséen officiel. Finalement, ce dernier s’éclipse, laissant Emmanuel Macron et Franck Louvrier s’entretenir en tête-à-tête puis être rejoints par le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler. Le fidèle sarkozyste obtient quelques précisions sur les contours de la charge avant de céder la place à Clément Léonarduzz­i, candidat suivant.

A la différence de Franck ■

Louvrier, ce dernier connaît bien le chef de l’Etat. Comme d’autres, le président de Publicis Consultant­s fait partie de ses destinatai­res Telegram. En mai 2017, le trentenair­e glissait au Monde :«Je le harcèle de messages pour jouer l’empêcheur de tourner en rond, c’est du conseil en communicat­ion par SMS. » Si bien que, lorsque Sylvain Fort annonce au président sa démission, il recommande un seul homme pour prendre sa suite : « Clément . » « Oui, c’est pas con », approuve le chef de l’Etat. Comment, sachant ce lien, expliquer ce drôle de message envoyé publiqueme­nt par Dumontet sur le réseau social Twitter le 4 janvier ? Oubliant la discrétion requise dans ce genre de processus de recrutemen­t, celui qui semble se vivre en DRH élyséen alpague Léonarduzz­i : « Bonjour Monsieur, je suis moi aussi un ancien de l’IEP de Bordeaux, pourrions-nous entrer en contact ? Merci d’avance. » La démarche ostentatoi­re sera évidemment repérée. Poli, le patron de Publicis Consultant­s envoie son adresse mail et reçoit, dans la foulée, un appel. Il est alors persuadé que le chef d’entreprise­s culturelle­s le contacte pour ses affaires personnell­es. Mais, quand les deux hommes s’attablent dans un café parisien la semaine suivante, Dumontet trompette :« Je suis chargé de recruter le futur dircom de l’Elysée.» Il ne compte pas ses mots quand il s’agit de clamer l’affection qu’il éprouve pour « Emmanuel et Brigitte ». Pour eux, il est prêt à tout. A louer ses théâtres à bas coût – et sans prévenir son associé, Laurent Ruquier – pendant la campagne présidenti­elle, quitte à prendre le risque d’être épinglé pour dons déguisés, ou bien à dépenser son temps et son énergie dans la quête de la perle rare digne de remplacer Sylvain Fort. « C’est mon rôle, c’est mon devoir », insiste-t-il. « Je me suis engagé pour cet homme, car je crois indispensa­ble et urgent qu’il réussisse », explique-t-il au Point. Les uns et les autres rapportent, presque attendris, les questions qu’il pose avec l’enthousias­me du néophyte. «Comment utiliser Brigitte Macron dans le dispositif ? », « Quelles sont les forces et les faiblesses d’Emmanuel Macron ? », et celle-ci, récurrente : « Qu’avez-vous pensé de la “Lettre aux Français” ? » C’est le moyen de « se donner de l’importance en faisant croire qu’il était associé à l’opération stratégiqu­e du moment », soupire un collaborat­eur du chef de l’Etat. Outre ce questionne­ment, le patron de théâtres a aussi fait plancher des candidats. Notes de synthèse, notes d’intention, résolution de cas pratiques, le DRH officieux

« Il n’est pas au cabinet du président, mais ce dernier a toujours eu envie d’aller chercher des gens qui ne sont pas immergés. » P. Grangeon

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 ??  ?? Empereur. Jean-Marc Dumontet au Théâtre libre-Le Comedia, l’une des six salles qu’il possède à Paris, en février 2018. En médaillon, avec Emmanuel Macron au QG de campagne dans l’attente des résultats de l’élection présidenti­elle, le 7 mai 2017.
Empereur. Jean-Marc Dumontet au Théâtre libre-Le Comedia, l’une des six salles qu’il possède à Paris, en février 2018. En médaillon, avec Emmanuel Macron au QG de campagne dans l’attente des résultats de l’élection présidenti­elle, le 7 mai 2017.
 ??  ?? Coulisse. François Bayrou, Gérard Collomb, Christophe Castaner, Jean-Claude Camus (caché), JeanMarc Dumontet et Line Renaud entourent Emmanuel Macron avant son meeting de campagne à l’AccorHotel­s Arena, à Paris, le 17 avril 2017.
Coulisse. François Bayrou, Gérard Collomb, Christophe Castaner, Jean-Claude Camus (caché), JeanMarc Dumontet et Line Renaud entourent Emmanuel Macron avant son meeting de campagne à l’AccorHotel­s Arena, à Paris, le 17 avril 2017.

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