Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

Déjeuner, avec Yanou Collart – communican­te, ce qu’on appelait naguère une attachée de presse –, à la Maison nordique (≈≈≈), l’établissem­ent de l’Iranien Keyan Eslamdoust, dont la ressemblan­ce physique avec l’écrivain Mohamed Aïssaoui – en compagnie de qui je dînerai la semaine suivante chez Baba (≈≈), 17, rue Charlot (Paris 3e), le restaurant branché Marais de Thomas Kolnikov (un Raskolniko­v qui n’en a pas ras) – me frappe d’emblée. Le caviar iranien, dont se sont régalées l’aristocrat­ie et la bourgeoisi­e européenne­s aux XIXe et XXe siècles, a disparu de nos tables depuis la Révolution de 1979. Celui de Keyan vient de Sologne, le fief de Maurice Genevoix, dont la tétralogie sur la Première Guerre mondiale (« Ceux de 14 », Flammarion) assure la postérité, alors que son plus beau livre est, pour moi, le léger « La Loire, Agnès et les garçons » (1962), titre qui me fit rêver pendant toute ma préadolesc­ence littéraire. La Maison nordique se trouve au 221 de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris 8e. Les gilets jaunes semblent l’avoir évitée – entente secrète entre le Hezbollah iranien et Eric Drouet ? –, car le bâtiment n’est pas tagué et a encore toutes ses vitres. Au fond, que veulent les manifestan­ts ? Du caviar. Ils en ont marre de la brioche du Leclerc.

Deuxième fois, en 2019, que je suis invité à goûter cet aliment d’élite, moi qui aime surtout le hareng au curry de la Maison du Danemark (≈) et celui à l’huile de L’Opportun (≈≈). Je vais finir par m’y faire. Ces boîtes rondes et plates qu’on ouvre avec précaution comme si c’était l’écrin d’une bague de fiançaille­s. La petite cuiller qui, en s’enfonçant avec délicatess­e dans le produit, semble déranger l’ordre séculaire de l’univers du luxe. Dans un restaurant de caviar, on n’a pas à réclamer le sel : il est déjà dans l’assiette. J’ai pris de l’impérial de Sologne et du béluga iranien, lui aussi produit en Sologne. M. Eslamdoust m’a expliqué que la région, après avoir été celle des braconnier­s (voir « Raboliot », prix Goncourt 1925, du même Maurice Genevoix), est le paradis des esturgeons. Ça tient à la qualité de l’eau des étangs dans laquelle s’ébattent les précieux poissons.

Au football, on dit d’une belle passe qu’elle est du caviar. La conversati­on de Yanou est elle-même assez salée. Je rentre aux Abbesses et elle retourne boulevard Suchet. Cette journée ressemble à un roman de Patrick Modiano écrit en collaborat­ion avec Stéphane Denis. Yanou publiera ses Mémoires le 1er juin à L’Archipel, la maison d’édition casse-cou de Jean-Daniel Belfond. Elle m’a dit le titre, hélas ! je l’ai oublié. Trop de caviar. Mais je me rappelle qu’elle en raconte de belles sur les hommes et leur cinéma. Il faut vivre beaucoup, ça fait plein de souvenirs à partager

Ces boîtes rondes et plates qu’on ouvre avec précaution comme si c’était l’écrin d’une bague de fiançaille­s.

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