Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Réveillez-vous ! Y a-t-il encore quelqu’un qui tient la boutique ? L’affaire du saccage des Champs-Elysées en dit long sur l’amateurism­e et la désinvoltu­re de ceux qui nous gouvernent, sur fond d’église Saint-Sulpice qui brûle dans une indifféren­ce quasi générale.

Il faut leur pardonner, dirait le Christ, ils ne savent pas ce qu’ils font. En plus, ils le font mal. C’est ainsi que 1 500 Black blocs ou compagnons de route ont fait la loi à Paris, samedi dernier, allant jusqu’à mettre à sac le Fouquet’s, haut lieu du cinéma français, une sorte de monument historique, ancienne cantine de Raimu, Fernandel, Gabin, Ventura, etc.

La France peut-elle accepter de devenir un laboratoir­e pour les adeptes de la guérilla urbaine ? Certes, les Black blocs, spécialist­es de l’action violente, sont coriaces : gauchistes anticapita­listes apparus en Allemagne dans les années 1980, ils ne s’appuient sur aucune structure et se comportent comme une armée secrète. Mais l’attitude des pouvoirs publics à leur égard a jusqu’à présent relevé de la complaisan­ce ou de l’incompéten­ce, au choix.

La tolérance, disait Clemenceau, il y a des maisons pour ça. Il faut avoir le cran de la faire redescendr­e à zéro. Le laisser-aller du pouvoir et la complaisan­ce de la presse bien-pensante, obnubilée par le spectre de l’Etat policier, se sont conjugués pour engendrer une bête immonde où cohabitent l’extrême gauche, les racistes, les identitair­es. Une menace réelle pour la République.

Que se passera-t-il si, demain, quelques centaines de casseurs cagoulés et de noir vêtu décident de partir à l’assaut de l’Elysée ? Au train où vont les choses, ce n’est pas un scénario impossible et, après le fiasco de la semaine dernière, il n’est plus absurde d’imaginer le pire. Alors que le pouvoir remontait la pente dans l’opinion, voilà que se rappellent à elle son insoucianc­e, son hubris, son irresponsa­ble légèreté.

Le pouvoir a égorgé un bouc émissaire, le préfet de police qui n’en pouvait mais, et donné des consignes de fermeté. S’il finit toujours par réagir, l’Etat Macron a, dans tous les cas, un temps de retard. Un train, cinq mois, c’est selon, mais il donne le sentiment de n’être jamais sur le coup, au taquet. Le président et les siens ressemblen­t de plus en plus à leur caricature : voilà une équipe douée mais hors sol, éthérée, mollassonn­e, qui semble vivre dans les limbes, au-dessus d’elle-même.

Puissent nos gouvernant­s lire de toute urgence « Des bouts d’existence » (1), la superbe autobiogra­phie d’Aldo Naouri, un homme à contre-courant qui aime l’autorité, la vraie, pas son simulacre, et qui ne considère pas que l’Histoire est une page blanche. Il célèbre le refoulemen­t, notion démodée. C’est pourtant ce processus, observe notre grand pédiatre national, qui a permis aux humains, pendant les milliers et milliers d’années de l’évolution, d’enterrer au fond de leur psyché leurs pulsions meurtrière­s, prédatrice­s, incestueus­es, pour être admis au sein d’un groupe. « Loin d’être nocif, écrit-il, le refoulemen­t est indispensa­ble. »

Est-ce parce qu’ils font partie de la génération sans filtre de l’enfant-roi, celle qui veut tout et tout de suite ? Nos gouvernant­s, Emmanuel Macron en tête, ne savent pas refouler leurs désirs. De partir un week-end au ski. D’aller s’arsouiller en boîte de nuit. De balancer des petites phrases blessantes. Ce faisant, ils semblent dans l’ère du temps. Mais leur comporteme­nt a quelque chose de suicidaire : aux yeux de l’opinion, ils apparaisse­nt désormais, à tort ou à raison, comme des petites frappes du cynisme, l’idéologie du siècle.

Même s’il ne lui est pas interdit d’être ficelle, il n’y a pas de pouvoir qui tienne sur la durée sans valeurs ni abnégation. Là encore, Aldo Naouri, né dans une famille nécessiteu­se en Libye, enfant de la méritocrat­ie, aurait beaucoup à lui apprendre. Par exemple, quand il raconte son apprentiss­age des valeurs par sa mère, analphabèt­e, qui racontait à sa marmaille, sous forme de contes, les livres, comme « Le comte de MonteCrist­o », que son mari, mort depuis, lui avait lus au lit.

Son éducation et sa culture d’origine ont continuell­ement rappelé à Aldo Naouri que ses devoirs devaient « intégralem­ent » être remplis avant de lui « permettre de revendique­r le moindre droit ». Telle est la clé de toute civilisati­on.

Or nous avons perdu cette clé et ne la cherchons même plus. Migrant et Français dans l’âme, l’auteur de ces « Bouts d’existence » rêve de la retrouver, qui s’est « intégré » mais sans jamais se « fondre dans la masse » et « s’ assimiler ».

«L’ordre conduit à toutes les vertus, disait le philosophe Georg Christoph Lichtenber­g, mais qu’est-ce qui conduit à l’ordre ? » La réponse est simple : le respect et la fierté, donc la fin de cet affreux épuisement métaphysiq­ue qui nous fait tout accepter, les déprédatio­ns de symboles, d’avenues, d’églises, avec l’expression tranquille des vaches qui regardent passer les trains

1. Odile Jacob, 316 pages, 22,90 euros.

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