Le Point

Essai : Proust a son bréviaire

- PAR MICHEL SCHNEIDER

«Nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a des choses essentiell­es », écrit Proust dans « Du côté de chez Swann ». En voici un. Les très sérieuses éditions Droz, de Genève, publient un ouvrage dont seul un fou de Proust a pu avoir l’idée. En près de 900 pages, sous la signature (nomen est omen) de François de Combray, pardon, de Combret, ce « Bréviaire de “La recherche du temps perdu” » fait parcourir un roman qui, dans l’édition de la Pléiade, en comprenait 7408 (introducti­ons, notices, notes et variantes comprises, il est vrai).

C’est un voyage parmi les mots de Proust, uniquement composé de citations de ses textes rangées par entrées, d’« abandon » à « zut » en passant par les très inattendue­s « Rolls-Royce », « inconscien­t », « youpin » et les inévitable­s « jalousie » (51 citations), « amour » (79) et « mort » (43). Il comblera ceux que Proust effraie comme un monument, tout comme ceux qui s’y adonnent comme à un culte ou à une drogue, tant il réserve des navigation­s insensées et des rencontres imprévues.

Les phrases sont évidemment sorties de leur contexte, mais l’irremplaça­ble valeur de ce recueil tient au fait qu’elles sont classées par thèmes et présentées selon l’ordre alphabétiq­ue.

Chacun peut tisser des réseaux jusqu’ici inaperçus, en rapprochan­t des phrases parfois distantes les unes des autres de milliers de pages dans « La recherche ». On saisit ainsi au mieux la complexité et les contradict­ions d’un roman que le narrateur dit avoir « bâti je n’ose pas dire ambitieuse­ment comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe ». Ma citation préférée : un roman, il faut le préparer « comme pour une offensive, le supporter comme une fatigue, l’accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suraliment­er comme un enfant, le créer comme un monde, sans laisser de côté ces mystères qui n’ont probableme­nt leur explicatio­n que dans d’autres mondes et dont le pressentim­ent est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l’art ».

Vous ne perdrez pas votre temps à lire ce bréviaire, merveilleu­x guide de voyage selon des trajets que personne ne peut faire à votre place. Il vous donnera envie de lire ou relire sans arrêt le chef-d’oeuvre de la littératur­e du XXe siècle. ■

« Le bréviaire de “La recherche du temps perdu” », de François de Combret (Droz, 892 p., 29 €).

IL COMBLERA CEUX QUE PROUST EFFRAIE COMME UN MONUMENT, TOUT COMME CEUX QUI S’Y ADONNENT COMME À UN CULTE OU À UNE DROGUE.

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Marcel Proust (1871-1922).

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