Le Point

Orban, Trump et les vers de farine

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Le soutien fracassant de Nicolas Sarkozy à son « ami » Viktor Orban, bête noire des libéraux, le week-end dernier, nous prouve une nouvelle fois, s’il en était besoin, que la question des migrants est devenue centrale en Europe. C’est la nouvelle ligne de fracture.

Après que la gauche européenne a diabolisé le Premier ministre hongrois, la droite a quasiment rompu avec lui. Mais était-ce bien utile ? Au sein de l’Union, Orban incarne jusqu’à la caricature les petits pays qui ont plus peur encore que les grands de perdre leur fragile identité culturelle dans le maelström migratoire.

Plaidant pour un «compromis», Sarkozy aurait aimé que la droite tolérât l’extrême nationalis­me d’Orban alors que les élections européenne­s devraient se jouer autour de cette interrogat­ion lancinante : notre Vieux Continent, fatigué et peu fécond, peut-il continuer à accueillir indéfinime­nt les réfugiés climatique­s, politiques, de guerre, qui convergent vers ses frontières ?

Moralement, économique­ment, la réponse est oui, sans hésiter. Politiquem­ent, l’immigratio­n contribuan­t à la montée des populo-populismes, c’est plus compliqué. Ecologique­ment, ça l’est encore davantage : les humains ne peuvent plus continuer à se reproduire comme des garennes, en s’entassant dans des villes-mondes. Un sujet si tabou que la plupart des mouvements écologiste­s ont mis un mouchoir dessus.

La démographi­e relève de la sismologie et de la tectonique des plaques. Des changement­s importants sont à prévoir dans les prochaines décennies qui affaibliro­nt toujours plus notre pauvre Occident au profit, surtout, de l’Afrique et de l’Inde. Un suicide démographi­que menace l’Europe : en 2050, elle devrait stagner à 500 millions de personnes, tout en continuant à attirer des millions de migrants climatique­s d’Afrique, continent passé en trentecinq ans d’environ 1 milliard à 2,478 milliards d’habitants.

Selon les dernières prévisions, toujours hypothétiq­ues, de l’Onu, nous autres humains devrions être 8,5 milliards en 2030 (1 milliard de plus qu’aujourd’hui), 9,8 milliards en 2050 et, enfin, 11,2 milliards en 2100. Largement dix fois plus qu’au début du XXe siècle. Comment espérer sauver la planète si elle continue de s’adonner aux folies démographi­ques du genre humain ? Si la Terre est en danger, c’est pour plusieurs raisons, dont la moindre n’est pas la proliférat­ion de l’espèce humaine, au détriment de toutes les autres, animales ou végétales. Depuis plusieurs siècles, portés par notre développem­ent, nous n’avons cessé de tout mettre à sac pour chauffer, alimenter, loger, transporte­r, distraire des population­s humaines de plus en plus considérab­les.

Le grand ethnologue (et prophète) Claude Lévi-Strauss avait tout dit là-dessus, à la fin du siècle dernier, quand il décrivait une humanité en proie à l’explosion démographi­que, qui commence « à se haïr elle-même parce qu’une prescience secrète l’avertit qu’elle devient trop nombreuse ». Nous voici désormais, annonçait-il, comme « ces vers de farine qui s’empoisonne­nt à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture ne commence à leur manquer ».

Telle est la loi de la nature : quand les perchessol­eil sont trop nombreuses dans un étang, elles rapetissen­t et dégénèrent. Toutes les espèces animales ou végétales ont besoin d’un « espace vital ». Force est de constater que le nôtre se réduit à grande vitesse, au rythme de notre pullulatio­n.

eAu XIX siècle, Thomas Malthus, économiste et prêtre anglican, prônait la limitation des naissances pour lutter contre la misère. Jusqu’à présent, ses théories ont toujours été démenties par les faits : la population mondiale a considérab­lement augmenté, alors que la malnutriti­on et l’extrême pauvreté ont au contraire régressé à un rythme impression­nant. Mais la planète n’est pas extensible. Après avoir eu tort si longtemps, finira-t-il par avoir raison ?

P.-S. Encore un fiasco journalist­ique. Après avoir feuilleton­é pendant près de deux ans sur l’« enquête russe » censée montrer la collusion entre Trump et les Russes lors la campagne présidenti­elle de 2016, voilà les médias américains sacrément déstabilis­és par le rapport du procureur spécial Mueller, qui blanchit quasiment le 45e président des Etats-Unis. Même si le magistrat ne l’exonère pas de tout, notamment des fraudes fiscales ou des entraves à la justice, il ridiculise la doxa médiatique qui présentait Trump comme une marionnett­e aux mains de Poutine. Le réflexe du New York Times, qui menait la guerre anti-Trump : il a donné l’informatio­n sur les six colonnes de sa une. Une belle leçon de journalism­e, à méditer chez nous.

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