Le Point

Une croissance en trompe-l’oeil

Pouvoir d’achat et croissance devraient croître cette année, mais à quel prix ? Financés à crédit, ils ne feront qu’augmenter le déficit public.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

Le décalage a tout de même de quoi troubler : moins d’une semaine après le saccage des Champs-Elysées, les conjonctur­istes de l’Insee ont annoncé qu’ils revoyaient à la hausse leurs prévisions de croissance pour la première moitié de l’année, misant sur une progressio­n trimestrie­lle de 0,4 % du PIB. Cette image d’une croissance robuste et d’une économie dynamique, continuant de créer des emplois (85 000 d’ici à la fin juin), avec une consommati­on des ménages et des investisse­ments des entreprise­s en forte hausse, colle mal avec celle d’un pays censé être au bord du chaos et proche de la guerre civile, d’un pays totalement déprimé ayant cessé de travailler pour se consacrer entièremen­t à sa thérapie de groupe et à son grand débat. Elle colle encore plus mal avec le discours apocalypti­que tenu par les leaders des gilets jaunes affirmant que des millions de Français seraient, comme les Vénézuélie­ns, menacés de famine.

Le gouverneme­nt lui-même entretient cette grande confusion qui, d’un côté, ne cesse de décrire, en termes effrayants, les ravages économique­s et financiers provoqués par les manifestat­ions des gilets jaunes, mais qui, de l’autre, affirme fièrement, par la voix de son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire : « La France devrait faire en 2019 mieux que la moyenne de la zone euro et mieux que ses principaux partenaire­s que sont l’Allemagne et l’Italie. » De fait, selon les toutes dernières prévisions de l’OCDE, la croissance devrait atteindre cette année 1,3% en France, un rythme près de deux fois supérieur à celui de l’Allemagne (0,7 %), tandis que l’Italie subirait de son côté une récession de 0,2 %.

On comprend qu’il en ait la tentation, mais le gouverneme­nt aurait tort de pousser des cocoricos. D’abord, c’est parce que la France est devenue une petite puissance exportatri­ce qu’elle se trouve moins exposée que l’Allemagne au ralentisse­ment actuel du commerce mondial résultant de la hausse des droits de douane américains, de l’essoufflem­ent de la croissance chinoise et des incertitud­es liées au Brexit. Le montant des exportatio­ns de biens de l’Allemagne s’est élevé à 1 300 milliards d’euros en 2018, contre 550 milliards seulement pour la France. Surtout, les perspectiv­es « encouragea­ntes » de croissance en France doivent beaucoup aux mesures d’urgence prises à la fin de l’année dernière : revalorisa­tion et extension de l’éligibilit­é à la prime d’activité, annulation de la hausse du taux de CSG pour les retraites inférieure­s à 2 000 euros, défiscalis­ation des heures supplément­aires, sans oublier le beau succès rencontré par la prime exceptionn­elle versée par les entreprise­s (2 millions de salariés l’ont déjà touchée pour un montant moyen de 449 euros). Cette grosse dizaine de milliards d’euros tombés directemen­t dans le portefeuil­le des Français ne va pas manquer de soutenir la demande intérieure, de doper la consommati­on et le pouvoir d’achat. Celui-ci devrait progresser de 2,1 % cette année, selon la Banque de France, sa plus forte hausse depuis 2007. De là à envisager de décerner la Légion d’honneur à

Toutes ces mesures d’urgence décidées sous la pression des gilets jaunes vont avoir pour effet de creuser la dette.

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