Le Point

Bellamy, l’homme qui réveille la droite

A la tête de la liste des Républicai­ns aux européenne­s, ce professeur de philosophi­e trentenair­e au catholicis­me affirmé perturbe le duel entre macroniste­s et lepénistes. Entretien-confession.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÔME CORDELIER

Outsider.

Nombre de ses proches lui conseillai­ent de ne pas y aller, au sein de son camp politique beaucoup se montraient circonspec­ts – euphémisme – sur sa capacité à rassembler, son entrée en campagne a été saluée par un tir médiatique nourri sur ses conviction­s. Pourtant, propulsé à la tête de la liste Les Républicai­ns (LR) aux européenne­s par Laurent Wauquiez, François-Xavier Bellamy creuse son sillon dans la campagne, dopé par des sondages favorables. D’ici à fin mai, tout peut se passer, évidemment, mais la tête d’affiche novice a d’ores et déjà permis à sa famille politique exsangue de réimprimer dans le débat public. Ce philosophe trentenair­e a fait son succès comme auteur et conférenci­er en défendant des valeurs du « vieux monde », à l’ère du zapping consuméris­te et mondialisé, comme la transmissi­on, l’enracineme­nt, le service pour le bien commun. Il est né à Versailles, ville dont il est adjoint au maire et où il a appris, dit-il, le sens de l’engagement, en étant chef scout et en s’impliquant dans des associatio­ns pour la réinsertio­n de chômeurs. Il est catholique. Rejetant tout communauta­risme, il assume une foi qui l’a forgé et a nourri ses engagement­s, quitte à choquer en affirmant son opppositio­n « à titre personnel » à l’IVG. Dans cette élection, il aura pour adversaire une autre catholique pratiquant­e,

François-Xavier Bellamy dans les locaux des Républicai­ns, à Paris, le 14 mars.

Nathalie Loiseau, tête de liste LREM. L’ancienne ministre ne s’exprime quasiment jamais sur ce sujet, mais ces deux politiques venus de la société civile, chacun avec leur vision du monde, sont à l’aune de ces cohortes de chrétiens qui, discrèteme­nt, à droite, à gauche, au centre, à contre-culture, et malgré une déchristia­nisation actée et une crise historique qui frappe l’Eglise, vivifient par leurs engagement­s leur environnem­ent et le débat public (lire p. 44). Ils s’inscrivent ainsi dans les pas de leurs aînés, nombreux, à droite, au sein des Croix-de-Feu ou de sa rivale l’Action française et, à gauche, dans le Sillon de Marc Sangnier, précurseur d’un centrisme démocrate-chrétien incarné ensuite par le Mouvement républicai­n populaire (MRP), puis par des personnali­tés comme Jacques Delors ou François Bayrou, et dont les valeurs furent à l’origine de l’Union européenne... François-Xavier Bellamy incarnerai­t-il un réveil catholique ? Entretien iconoclast­e

Le Point : Vous qui aimez la compagnie des philosophe­s, des poètes et des étudiants curieux, n’êtes-vous pas malheureux dans cette campagne européenne? François-Xavier Bellamy:

[Rires.] Non ! Cette campagne est une chance immense pour faire entendre une autre voix. La réflexion philosophi­que doit nous aider à poser des mots sur les grands enjeux

et peut contribuer à nous apporter du discerneme­nt. ■ La seule chose qui me rend malheureux, c’est de faire parfois l’expérience de la pauvreté du débat public. Quand, par exemple, le candidat du Rassemblem­ent national, Jordan Bardella, publie un extrait de neuf secondes d’une de mes interventi­ons pour me faire dire le contraire de mon propos, cela me désole – non pour moi, mais pour la qualité de notre délibérati­on collective. Cela me renforce dans la volonté de continuer à défendre une politique qui échappe à la superficia­lité des sectarisme­s et des slogans. Sur le fond, il y a quelque chose de merveilleu­x à tenter de concilier le concept avec l’expérience, l’idée avec l’action, l’élévation platonicie­nne avec le réalisme aristotéli­cien. C’est ce que je vis à mon humble mesure depuis dix ans comme élu local, et actuelleme­nt dans cette campagne. Ce qui a beaucoup stérilisé la vie politique française, c’est le divorce entre la pensée et l’action, comme le disait Bergson. D’un côté, il y a des intellectu­els qui peuvent s’enfermer dans l’incantatio­n, faute d’avoir affaire à la complexité du réel et, de l’autre, des responsabl­es politiques qui, trop souvent, n’ont pour seul discours que celui du pragmatism­e et de l’efficacité, sans se préoccuper de fonder leur action sur une vision du monde. Il faut redonner du sens à notre vie politique.

Que l’essayiste Raphaël Glucksmann conduise une liste socialiste et écologiste pour ces élections européenne­s est donc une bonne nouvelle?

Cet engagement est intéressan­t : il montre que la politique renoue avec les idées, mais aussi que des intellectu­els ressentent l’obligation de s’engager. Quand Laurent Wauquiez m’a proposé de conduire la liste des Républicai­ns, beaucoup m’ont conseillé de rester à distance de la politique et de continuer à écrire ; mais quelle légitimité vous reste-t-il pour commenter la crise que nous traversons si vous avez refusé d’apporter votre contributi­on pour tenter de la résoudre ?

Comment parler d’Europe dans un langage audible?

En faisant vivre une réflexion qui ne se réduise pas à un choix binaire et manichéen. Le sujet n’est pas pour ou contre l’Europe, les gentils progressis­tes contre les méchants populistes. Le véritable enjeu est le suivant : quelles décisions allons-nous prendre pour que le projet européen retrouve consistanc­e et crédibilit­é ? Pour répondre concrèteme­nt à cette question, nous faisons 75 propositio­ns, dans tous les domaines : économie et commerce internatio­nal, immigratio­n, environnem­ent… Sur tous ces sujets, nous voulons une Europe qui nous renforce au lieu de nous fragiliser.

Vous qui êtes chrétien, êtes-vous à l’aise avec un projet qui promeut une Europe citadelle?

« L’Europe est un des rares endroits du monde où les murs ont mauvaise presse. »

Ce mot de citadelle me renvoie à un auteur familier [Saint-Exupéry, NDLR]. L’Europe est un des rares endroits du monde où les murs ont mauvaise presse. Tous les pays, y compris sur le continent africain, savent la nécessité de maîtriser leurs frontières et de contrôler les flux migratoire­s ! Les murs ne sont pas synonymes de fermeture ; au contraire, ils sont la condition de l’ouverture : vous ne pouvez accueillir chez vous que si vous avez quatre murs et une porte à ouvrir.

Le premier à se battre contre les murs, c’est le pape François: «Nous avons besoin de ponts, pas de murs.»

Les ponts relient des foyers, des cités qui se définissen­t par un dedans et un dehors. Il suffit d’aller porte de la Chapelle à Paris pour se rendre compte qu’une immigratio­n qui n’est pas maîtrisée produit du malheur à grande échelle. Je ne défends pas l’égoïsme et le repli sur soi : si le but est de pouvoir accueillir au mieux ceux qui en ont vraiment besoin, nous faisons exactement l’inverse de nos jours.

L’Europe est-elle toujours fidèle aux valeurs des pères fondateurs ?

L’Europe s’est sans doute perdue en chemin. La vision que défend Emmanuel Macron est très étrangère à celle qui a fait naître et avancer cette constructi­on collective : le rêve d’un super-Etat à qui l’on transférer­ait la souveraine­té des nations n’a jamais fait avancer l’Europe. Au contraire : elle a toujours trouvé sa plus grande efficacité quand elle a été l’occasion de coopératio­ns concrètes entre des peuples souverains, qui partagent des éléments d’actions pour se lier et se renforcer. La Communauté européenne du charbon et de l’acier, c’est tout le contraire de l’Europe des agences, des comités, des institutio­ns abstraites, d’une technostru­cture sans âme. Il nous faut renouer avec l’Europe des projets plutôt qu’avec celle des normes.

Ces valeurs originelle­s, inspirées par des démocrates-chrétiens, sont-elles menacées?

Nous sommes confrontés à une indéniable montée de la défiance envers l’Europe, et plus largement envers la démocratie et la politique ; mais Emmanuel Macron s’y prend à rebours quand il fait de cette défiance son seul adversaire. Il y a quelques jours, en Moselle, un agriculteu­r me confie : « J’ai toujours cru au projet européen, dans cette région qui a tant souffert. Mais quand l’UE a permis l’entrée de milliers de tonnes de soja OGM sur le marché commun, alors qu’on m’interdit d’en produire, je me suis dit : l’Europe, pour moi, c’est fini. » Eh bien, je ne me sens pas en droit de dire à cet agriculteu­r qu’il est un méchant populiste. Je ne peux pas insulter son inquiétude. Nous devons entendre cette colère, non pour prospérer dessus comme le font le Rassemblem­ent national ou Nicolas Dupont-Aignan, mais pour y répondre de façon efficace.

Dans «L’archipel français» (Seuil), le politologu­e de l’Ifop Jérôme Fourquet décrit une France entrée dans une «ère postchréti­enne». Partagezvo­us ce diagnostic?

Ce que montre ce livre, c’est que la France devient une juxtaposit­ion de communauté­s qui n’ont plus

 ??  ?? Tête-à-tête. FrançoisXa­vier Bellamy et Laurent Wauquiez, patron des Républicai­ns, en marge du conseil national du parti, le 16 mars, à Lyon, où le projet européen était présenté.
Tête-à-tête. FrançoisXa­vier Bellamy et Laurent Wauquiez, patron des Républicai­ns, en marge du conseil national du parti, le 16 mars, à Lyon, où le projet européen était présenté.

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