Le Point

Yann Raison du Cleuziou, les dessous d’une « contre-révolution »

Pour le politologu­e, à droite comme à gauche, les catholique­s déploient des stratégies de reconquête culturelle et politique.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÔME CORDELIER

Dans son nouvel ouvrage, « Une contre-révolution catholique » (Seuil), le politologu­e décortique La Manif pour tous comme matrice de l’engagement des jeunes au nom de la perpétuati­on d’un ordre social.

Le Point: Les catholique­s affrontent-ils l’une des plus graves crises de leur histoire?

Yann Raison du Cleuziou:

On l’a oublié, mais l’Eglise a traversé une crise très grave et très profonde durant les années 1960-1970. En France, plusieurs milliers de prêtres ont alors quitté leur sacerdoce. La pratique religieuse s’est effondrée et les fidèles se sont profondéme­nt divisés. Le pape Paul VI s’est inquiété des «fumées de Satan» qui entraient dans l’Eglise. La crise actuelle des abus sexuels est très différente. Sans doute les prêtres violeurs ou pédophiles représente­nt-ils peu de chose dans une religion qui comporte 1,3 milliard de fidèles, mais la portée mondiale de ces abus et surtout la compromiss­ion des sommets de l’institutio­n ecclésiale dans une omerta coupable dévoilent un problème structurel que le pape François appelle le cléricalis­me. Les catholique­s de base sont doublement victimes de ces scandales sexuels : ils concernent leurs enfants, et leur foi se trouve discrédité­e à cause des agissement­s des abuseurs. Les quatre fondements de la « nouvelle évangélisa­tion » entreprise par Jean-Paul II sont ébranlés : la morale sexuelle, la jeunesse, la centralisa­tion du pouvoir à Rome, les communauté­s nouvelles.

Une immense perte de crédit pour l’Eglise, même auprès de ses plus fidèles?

Certaineme­nt, mais, en même temps, le scandale des abus sexuels est la manifestat­ion ecclésiale d’une dynamique qui traverse toutes les sociétés occidental­es et se prolonge même au-delà: la remise en question de la domination masculine et des violences qu’elle facilite ou légitime. Cette question fait imploser toute une série d’institutio­ns, avec les affaires DSK, Beaupin, MeeToo ou la Ligue du LOL. On retrouve partout des formes d’abus de pouvoir à des fins sexuelles, protégées et banalisées par une omerta. Mais ces abus sont encore plus insoutenab­les dans l’Eglise en raison de l’idéal évangéliqu­e revendiqué et parce que l’action de ces hommes engage Dieu lui-même. Le viol des corps se double d’un viol de la conscience spirituell­e. C’est un grave degré de perversion. La mansuétude à l’égard d’une telle « absolutisa­tion » du mensonge laisse pantois.

Le catholicis­me a-t-il manqué son ancrage dans le monde contempora­in?

J’observe un paradoxe : à partir des années 1960, le catholicis­me s’est tourné vers le monde, a affiché son désir de dialogue, et la fine fleur des militants catholique­s s’est engagée dans tous les combats contre les injustices sans chercher à faire valoir sa foi en contrepart­ie. Or ce catholicis­me marqué par Vatican II, tout en restant dominant, s’épuise. Ce que je montre dans mon livre, c’est que cette ligne conciliatr­ice s’est trouvée discrédité­e par l’évolution de la société : les lois bioéthique­s, le mariage homosexuel, la remise en question de la valeur de l’héritage chrétien… La loi de la République a achevé de rompre avec la matrice qu’était la morale chrétienne. Cette sécularisa­tion a validé le positionne­ment contre-culturel des courants les plus conservate­urs.

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Objectif. Yann Raison du Cleuziou, maître de conférence­s en science politique à l’université de Bordeaux.

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