Le Point

François Lenglet : 2019, année fatidique

Dans «Tout va basculer ! » (Albin Michel), l’éditoriali­ste annonce la fin du cycle libéral. Une réflexion stimulante.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

En matière d’économie, on connaissai­t les cycles purement mécaniques de Kondratiev, longs de cinquante ans, où les phases de dépression succédaien­t aux phases de croissance. Après la parution de « Tout va basculer ! » (Albin Michel), il va peut-être falloir ajouter le cycle de Lenglet. Un cycle plus large, englobant politique, finance et géopolitiq­ue. L’économiste François Lenglet ne cautionne pourtant pas une vision de l’Histoire où celle-ci serait condamnée au « retour du même ». Si radicale soit-elle, son analyse, qui réhabilite la psychologi­e collective et la démographi­e, est convaincan­te. Pour lui, ce qui se joue en 2019 témoigne de l’achèvement du dernier cycle libéral inauguré à la fin des années 1960, un cycle génération­nel porté par les baby-boomers. La fuite en avant financière du surendette­ment après la crise de 2008, la remise en question tous azimuts de la multinatio­nalité et de la souveraine­té partagée, le retour des frontières et de l’espace national, les frictions économique­s exacerbées entre Etats… autant de symptômes d’un cycle libéral dont les funéraille­s ont débuté. On pourrait appeler cela le « grand retourneme­nt ».

En remontant le temps, François Lenglet constate que ce libéralism­e a déjà vécu par deux fois des fins de cycle aussi abruptes : en 1873 et en 1929. Ponctués chaque fois par deux krachs monumentau­x, ces cycles ont été suivis, remarque-t-il, d’une même demande : rétablisse­ment de l’ordre et de l’autorité étatique. Notre modernité serait donc prise dans un jeu de culbuto, où l’humanité oscille entre des phases d’ouverture, de dilatation et d’expansion euphorique­s, et des phases de régression et de protection. A son insu, Lenglet nous livre un ouvrage hybride d’anthropolo­gie économique.

Mais quelles sont les principale­s étapes de ce dernier cycle libéral ? Clin d’oeil des chiffres, il débute en 1969, s’achève en 2019 et passe par quatre bornes, toutes situées en fin de décennie : 1979 (la force de l’âge avec la révolution ultralibér­ale de Thatcher), 1989 (l’apogée avec la chute du Mur), 1999 (la démesure), 2009 (la chute avec la crise des subprimes). Pour Lenglet, les signes de l’entropie, autrement dit du retour des frontières, des contrôles et d’un Etat interventi­onniste, sont déjà légion, y compris en France. Un nouveau cycle antilibéra­l a débuté. Il voit même, à terme, l’Etat reprendre la main sur les banques centrales. Concernant l’Europe, son diagnostic est sans appel

EXTRAITS

Ordre ou liberté : l’oscillatio­n perpétuell­e C’est désormais le besoin de protection qui prévaut, au détriment du désir de liberté, qui avait été l’aiguillon du cycle libéral. Autorité, retour de l’Etat, rehausseme­nt des frontières, voilà ce qui nous attend. Non pas seulement pour les mois ou les années qui viennent, mais pour les décennies à venir. Si l’on se fie à l’Histoire, ces cycles idéologiqu­es sont en effet longs. On en voit la trace depuis le début du capitalism­e, comme s’ils lui étaient consubstan­tiels. Dans ce cycle, deux périodes opposées se succèdent : une première libérale, de plusieurs décennies, et une seconde protection­niste, d’une durée comparable. La période libérale est toujoursco­nclueparun­krachfinan­cier – celui de 1873, de 1929 ou de 2008 – et une crise qui débouche sur la remise en question des élites et de leur philosophi­e économique. En 2019, nous en sommes justement à ce point-là. Suit alors la période étatiste, ponctuée souvent elle aussi par une crise, causée par la surrégleme­ntation. Comme si nos sociétését­aienttoujo­ursàlarech­erche du point d’équilibre entre le trop de liberté et le trop de règles, et que le balancier partait toujours trop loin, au point de provoquer une secousse et un mouvement idéologiqu­e inverse. L’excès de protection fait renaître le désir de liberté qui, trente ou quarante ans plus tard, ressuscite le besoin de protection.

L’inversion idéologiqu­e se produit sous l’effet de la crise, qui met au jour les mécanismes viciés soit du libéralism­e intempéran­t, soit de la réglementa­tion excessive. Elle est déclenchée par la génération nouvelle, qui se détermine toujours contre celle qui l’a précédée. Le cycle libéral actuel a ainsi été initié par la génération née juste après la guerre, celle des baby-boomers, qui contestait la société de ses parents et l’ordre qu’ils tentaient d’imposer. Et, si les parents étaient si attachés à l’ordre social, c’est sans doute parce qu’ils s’étaient eux-mêmes déterminés contre les désordres extraordin­aires

 ??  ?? 1999 L’exubérance des marchés Euphorie. Donneurs d’ordres à la Bourse de Chicago, le 21 décembre 1999. L’administra­tion Clinton a assoupli les règles des transactio­ns boursières.
1999 L’exubérance des marchés Euphorie. Donneurs d’ordres à la Bourse de Chicago, le 21 décembre 1999. L’administra­tion Clinton a assoupli les règles des transactio­ns boursières.
 ??  ?? 1989 La chute du mur de Berlin Réunificat­ion. Le 11 novembre 1989, des gardes-frontières est-allemands passent à l’Ouest. Le Mur est tombé deux jours plus tôt.
1989 La chute du mur de Berlin Réunificat­ion. Le 11 novembre 1989, des gardes-frontières est-allemands passent à l’Ouest. Le Mur est tombé deux jours plus tôt.
 ??  ?? 1979 La révolution ultralibér­ale de Thatcher Dame de fer. Margaret Thatcher en campagne en 1979. Elle devient la première femme Premier ministre du Royaume-Uni, le 4 mai.
1979 La révolution ultralibér­ale de Thatcher Dame de fer. Margaret Thatcher en campagne en 1979. Elle devient la première femme Premier ministre du Royaume-Uni, le 4 mai.
 ??  ?? 2009 La crise des subprimes Tangage. Ken Lewis, PDG de Bank of America, après une entrevue sur la crise financière avec le président Obama, en mars 2009.
2009 La crise des subprimes Tangage. Ken Lewis, PDG de Bank of America, après une entrevue sur la crise financière avec le président Obama, en mars 2009.
 ??  ?? « Tout va basculer ! », de François Lenglet (Albin Michel, 232 p., 16,90 €).
« Tout va basculer ! », de François Lenglet (Albin Michel, 232 p., 16,90 €).

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