Le Point

Laurent Voulzy : « Et dire qu’on me prend pour un mec paresseux… »

A 70 ans, le chanteur est devenu l’idole des branchés qui fondent sur son « Coeur grenadine ». Rencontre avec le fan des Sixties… et de Jeanne d’Arc.

- PAR ANNE-SOPHIE JAHN

AJoinville-le-Pont, dans sa maison – baignée de lumière, au bord de la Marne, juste au-dessus de son studio d’enregistre­ment et de ses voitures de collection –, tout près de Nogent, où il a passé son enfance, Laurent Voulzy, vêtu d’un gilet brodé satiné bleu ciel, s’agite au milieu de photos où il pose avec Paul McCartney, Johnny Hallyday ou Mick Jagger… « Né dans le gris par accident » parce que sa mère, Marie-Louise, avait décidé de quitter son île natale (la Guadeloupe), pour devenir chanteuse et danseuse en métropole, très jeune, il a été confié à une nourrice. Est-ce pour vaincre ce semi-abandon qu’il est devenu «chanteur pas abandonné»? En quarante ans et neuf albums, Voulzy est en effet parvenu à ne jamais se faire oublier grâce à ses guitares mélodieuse­s, ses rythmes chaloupés, sa petite voix apparemmen­t douce et fragile, mais qui monte pourtant si haut, et surtout ces tubes écrits sur du sable par Alain Souchon: «Coeur grenadine», «Belle-Île-enMer », « Rockcollec­tion ». « On me prend souvent pour un type paresseux, parce que je mets du temps à sortir des albums, mais en fait je travaille tout le temps ! » s’insurge-t-il. Compositeu­r pour Alain Souchon (et réciproque­ment), des classiques « Allô Maman bobo », « Y a d’ la rumba dans l’air » et « Jamais content », il entame, à 70 ans, une tournée des églises françaises avec une harpiste et un pianiste. « L’idée a germé pendant la tournée de “Lys & Love”, un album inspiré par mes fantasmes médiévaux de légendes, raconte le chanteur. J’avais des dates à la basilique Saint-Denis, à Saint-Eustache, à Paris et dans une église près de Westminste­r, à Londres. C’était tellement fort, je rêvais de recommence­r. »

Obsédé par les cathédrale­s depuis que sa mère lui a offert un château fort pour ses 10 ans, Laurent Voulzy passe en effet ses matinées et ses soirées à écouter des chants médiévaux en lisant à la lueur de la bougie les grands mystiques comme Thérèse d’Avila et Maître Eckhart. D’ailleurs, si « Coeur grenadine » est souvent citée – notamment aux dernières Victoires de la musique – comme une des meilleures chansons pour faire l’amour, Voulzy, lui, préfère emballer sur le compositeu­r baroque Henry Purcell. « J’ai l’impression d’être à l’époque élisabétha­ine, donc ça marche ! » explique-t-il. Il écrit même une comédie musicale inspirée de la vie de Jeanne d’Arc. Mais d’où lui vient cette passion ? « Le Moyen Age, je n’exclus pas que ça me vienne d’une vie antérieure, répond-il sérieuseme­nt. Je pense tout le temps à la mort, mais depuis très longtemps et pas de façon morbide, plutôt dans un questionne­ment sur la vie après la mort. J’y pense tout le temps parce que je veux déchirer le voile et comprendre pourquoi on est ici. »

Années 80. Amoureux de la France et de ses pierres, il a pourtant souffert du racisme. « A l’école, par exemple, les enfants m’appelaient Boule de suif. Comme j’étais très timide, quand je prenais le bus, je n’osais pas m’asseoir de peur que les gens me disent que je prenais la place d’un mec normal, d’un Blanc. J’ai encore des séquelles de ça : je n’aime pas qu’on me remarque », confie-t-il. Il n’a pas choisi le métier le plus facile, alors ! Il répond : « J’étais très complexé par ma couleur. La scène m’a fait du bien. » Et l’enfant rejeté par une certaine France a su s’imposer dans son patrimoine musical. Ses chansons sont la bandeson des années 1980. « Ces années étaient magnifique­s musicaleme­nt. Les mélodies étaient géniales. Les synthétise­urs, le son des années 1980, leur poésie urbaine, je les adore. Par contre, la façon dont on s’habillait ne me manque pas : les épaules très larges, les grands cols de chemise qui passent au-dessus des vestes… La façon de danser avec des mouvements latéraux… Je ne les reproduira­i pas!» En revoyant ses vieux clips (et ses vestes multizippé­es), on ne peut qu’approuver. Mais on ne laissera personne le traiter de ringard! Excellent compositeu­r, Voulzy est adoré des branchés. Romain Gavras lui rend même hommage dans son film inoubliabl­e, « Le monde est à toi » (la scène où Isabelle Adjani chante «Cocktail chez Mademoisel­le»), et lui donne une place de choix dans sa bande-originale, entre PNL et Booba. Voulzy écoute un peu de rap : « J’aime bien Orelsan, son allure, sa façon de bouger. Mon fils me fait aussi écouter du rap américain, ils n’ont aucune barrière, j’adore ! » s’excite-t-il. « Souvent, je croise des jeunes de banlieue qui me disent : “Laurent Voulzy, respect, ‘Le soleil donne’ ! [le titre d’un de ses tubes, NDLR].” Comme c’est le rôle du boulanger de faire du pain, c’était peut-être mon rôle dans la vie de faire des chansons qui ont donné quelques instants de bonheur aux gens. » Et surtout la même couleur ■

En tournée jusqu’au 26 mai 2019 dans les églises en France et en Belgique. Dernier album paru : « Belem » (Columbia).

« J’aime bien Orelsan, son allure, sa façon de bouger. Mon fils me fait aussi écouter du rap américain, ils n’ont aucune barrière, j’adore ! »

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