Le Point

Le Shakespear­e du bush

« La mort selon Turner », de Tim Willocks

- JULIE MALAURE

On lui doit l’admirable trilogie du chevalier Mattias Tannhauser, « La religion », en 2009, au temps de Soliman le Magnifique et du siège de Malte, prolongé en 2014 par la nuit meurtrière de la Saint-Barthélemy dans « Les douze enfants de Paris ». Tim Willocks délaisse ses polars historique­s au panache dumassien pour avancer d’un pas ferme sous le soleil du bush.

Le géant roux originaire de la région de Manchester, aux talents hors du commun – chirurgien et psychiatre, il a collaboré avec Steven Spielberg et Michael Mann en tant que scénariste, s’avère être un grand bluffeur au poker ainsi que ceinture noire de karaté –, nous entraîne avec virtuosité dans un western en Afrique du Sud… où il n’a jamais mis les pieds. « Mais pas plus que Shakespear­e à Vérone pour écrire “Roméo et Juliette” ! » lance notre lauréat sur Facetime, de l’Angleterre. Willocks, hanté par la question du bien et du mal, met en scène un homme au coeur noble, soumis à l’impitoyabl­e cruauté du destin: l’adjudant Turner. Justicier noir mélancoliq­ue, « étrange flic de la grande ville », Le Cap, il vient rendre justice, dans le désert, où une innocente a été intentionn­ellement percutée par une voiture. Dans la main de cette gamine noire, pauvre, anonyme, le portable d’un jeune homme, blanc, riche, Jason Britz. Un taureau bodybuildé, « stéroïdes en intraveine­uses », « dealer en herbe », qui appartient à la bande de Dirk, le fils de la femme puissante qui fait vivre la région des ressources minières, Margot Le Roux. Affaire de couleur, de puissance et d’argent dans ce théâtre de la violence qu’est l’Afrique du Sud, qui compte 24 000 meurtres depuis la fin de l’apartheid. Britz n’est que le premier d’une formidable galerie de portraits, tous pourris mais bien intentionn­és, comme Simon, le chef de la sécurité, un Zoulou aussi solide que « le massif de Table Mountain », doté d’une voix « en râpe à fromage sur un tuyau rouillé ». Cette histoire « sans méchants », nous dit Willocks, puisque, « dans la peau des personnage­s, on aurait agi exactement de la même manière », forme pour le romancier une allégorie de l’escalade qui mène à la guerre ; en vertu du fait que, toujours, « les émotions l’emportent sur la raison ». Ainsi, Turner, l’homme juste et bon, finira par trahir la loi, sa propre loi, et le tout s’achèvera par un désastre. Un roman shakespear­ien sur les terres de Deon Meyer, qualifié par notre jury de « violent », « cruel », « épouvantab­le », même « inhumain », mais plébiscité à l’unanimité pour son histoire, son style, son souffle et finalement sa rémanence, signe de sa puissance littéraire

Traduit de l’anglais par Benjamin Legrand (Sonatine, 380 p., 22 €).

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