French touch !
Zuber, impressions de folie
Intérieurs. Décorateurs et designers font rayonner à l’étranger l’esprit et le savoir-faire français. La preuve par cinq.
Qu’a-t-elle donc de spécial, cette « patte française » que l’on applique au high-tech comme à la mode, au design automobile, aux jeux vidéo ou à la musique techno? En décoration, l’engouement pour l’art de vivre à la française ne date pas d’hier. Depuis que le mobilier de belle facture voyage, tout comme les tissages, les cuirs selliers, la cristallerie et les plus fines porcelaines, les esthètes ont toujours raffolé de ce luxe si français qui tient à un savoir-faire savamment préservé. Grâce à leur exigence, des ateliers – parfois les derniers à exister dans leur catégorie – perpétuent la tradition du bel ouvrage, répondant aux attentes d’architectes d’intérieur et d’une clientèle exigeante. Cette French touch résulte d’un solide héritage des styles du passé combiné avec ce je-ne-sais-quoi d’insolence et d’audace qui la rend intemporelle et lui donne toujours un temps d’avance pour s’adapter aux modes de vie d’aujourd’hui. Les créateurs hexagonaux en ont la maîtrise
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Voilà plus de deux siècles que, grâce à Zuber, les murs racontent des histoires. En quelques lés de papiers peints imprimés par la manufacture alsacienne, vous voilà dans le golfe de Naples, dans un jardin chinois, dans la jungle de Bornéo, ou en pleine guerre de l’Indépendance américaine. Scènes de genre démodées ? Pas du tout ! Dans le sillage de la nouvelle vague du papier peint à larges motifs, le paysage en panoramique revient en force.
L’impression numérique permet aujourd’hui d’éditer à la demande le décor le plus farfelu à un coût accessible. Mais une clientèle moins pressée (et fortunée) préfère s’adresser au dernier spécialiste au monde, Zuber, quitte à attendre son décor pendant deux ans. Pour les ateliers de la manufacture fondée en 1797 à Rixheim, c’est le temps nécessaire à dix artisans pour concevoir un paysage pouvant mesurer 15 mètres de longueur. Entière- ment réalisés à la main et imprimés à la planche de bois, les fonds seront à la demande poudrés d’or, patinés, bossés, estompés avant d’être imprimés de motifs pour obtenir un panorama sans raccord, aussi parfait qu’une oeuvre picturale.
Dans les ateliers de la dernière manufacture à imprimer ses décors à la planche de bois, le moindre centimètre est travaillé à la main. En 1990, ces planches ont été classées Monuments historiques par le ministre de la Culture de l’époque. Jack Lang craignait que, à l’occasion de la vente de l’atelier, ce patrimoine unique parte à l’étranger.
Cela n’a pas été le cas. Son repreneur et actuel propriétaire, Georges Chalaye, luimême l’un des principaux clients de l’atelier, a conservé les planches et les 150 000 documents d’archives que s’arrachent aujourd’hui, toutes générations confondues, les grands noms de l’architecture d’intérieur tels que Pierre-Yves Rochon,LauraGonzalez,DorothéeMeilichzon ou le duo milanais Dimore Studio.
Mais Georges Chalaye va plus loin ! Il suggère des supports inattendus
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et précieux comme la paille japonaise ■ ou la moire, qui décuple l’effet d’un imprimé, comblant les rêves d’une clientèle qui ne supporterait pas de vivre dans le même décor que ses voisins, surtout quand on s’appelle Kate Moss ou Courtney Love.
« Les papiers peints, en particulier les panoramiques, se sont toujours bien exportés », assure Guillaume Tregouet, administrateur de la manufacture de Rixheim. Ils étaient roulés dans des malles puis transportés dans toute l’Europe. Et surtout aux Etats-Unis. A partir des années 1900, des paquebots partaient les cales pleines de papiers peints Zuber. Aujourd’hui encore, outre-Atlantique, le panoramique de la guerre de l’Indépendance américaine est régulièrement commandé. Pour imprimer les 32 lés de cette fresque historique, les artisans doivent préparer 360 couleurs manuellement puis les appliquer à l’aide de 2 300 planches différentes. Le prix de l’excellence est à la hauteur du nombre d’heures de travail, soit 50 000 euros.
La rareté vaut investissement. Il n’est pas rare que les enchères pour d’anciens décors s’envolent. Les plus recherchés peuvent atteindre jusqu’à dix fois le prix initial. La manufacture Zuber est également le seul atelier à proposer des décors pour les plafonds, qui restent à ce jour, comme le regrette Georges Chalaye, le parent pauvre de la décoration. Mais rien n’est perdu !
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