Le Point

French touch !

Zuber, impression­s de folie

- DOSSIER RÉALISÉ PAR MARIE-CHRISTINE MOROSI

Intérieurs. Décorateur­s et designers font rayonner à l’étranger l’esprit et le savoir-faire français. La preuve par cinq.

Qu’a-t-elle donc de spécial, cette « patte française » que l’on applique au high-tech comme à la mode, au design automobile, aux jeux vidéo ou à la musique techno? En décoration, l’engouement pour l’art de vivre à la française ne date pas d’hier. Depuis que le mobilier de belle facture voyage, tout comme les tissages, les cuirs selliers, la cristaller­ie et les plus fines porcelaine­s, les esthètes ont toujours raffolé de ce luxe si français qui tient à un savoir-faire savamment préservé. Grâce à leur exigence, des ateliers – parfois les derniers à exister dans leur catégorie – perpétuent la tradition du bel ouvrage, répondant aux attentes d’architecte­s d’intérieur et d’une clientèle exigeante. Cette French touch résulte d’un solide héritage des styles du passé combiné avec ce je-ne-sais-quoi d’insolence et d’audace qui la rend intemporel­le et lui donne toujours un temps d’avance pour s’adapter aux modes de vie d’aujourd’hui. Les créateurs hexagonaux en ont la maîtrise

Voilà plus de deux siècles que, grâce à Zuber, les murs racontent des histoires. En quelques lés de papiers peints imprimés par la manufactur­e alsacienne, vous voilà dans le golfe de Naples, dans un jardin chinois, dans la jungle de Bornéo, ou en pleine guerre de l’Indépendan­ce américaine. Scènes de genre démodées ? Pas du tout ! Dans le sillage de la nouvelle vague du papier peint à larges motifs, le paysage en panoramiqu­e revient en force.

L’impression numérique permet aujourd’hui d’éditer à la demande le décor le plus farfelu à un coût accessible. Mais une clientèle moins pressée (et fortunée) préfère s’adresser au dernier spécialist­e au monde, Zuber, quitte à attendre son décor pendant deux ans. Pour les ateliers de la manufactur­e fondée en 1797 à Rixheim, c’est le temps nécessaire à dix artisans pour concevoir un paysage pouvant mesurer 15 mètres de longueur. Entière- ment réalisés à la main et imprimés à la planche de bois, les fonds seront à la demande poudrés d’or, patinés, bossés, estompés avant d’être imprimés de motifs pour obtenir un panorama sans raccord, aussi parfait qu’une oeuvre picturale.

Dans les ateliers de la dernière manufactur­e à imprimer ses décors à la planche de bois, le moindre centimètre est travaillé à la main. En 1990, ces planches ont été classées Monuments historique­s par le ministre de la Culture de l’époque. Jack Lang craignait que, à l’occasion de la vente de l’atelier, ce patrimoine unique parte à l’étranger.

Cela n’a pas été le cas. Son repreneur et actuel propriétai­re, Georges Chalaye, luimême l’un des principaux clients de l’atelier, a conservé les planches et les 150 000 documents d’archives que s’arrachent aujourd’hui, toutes génération­s confondues, les grands noms de l’architectu­re d’intérieur tels que Pierre-Yves Rochon,LauraGonza­lez,DorothéeMe­ilichzon ou le duo milanais Dimore Studio.

Mais Georges Chalaye va plus loin ! Il suggère des supports inattendus

et précieux comme la paille japonaise ■ ou la moire, qui décuple l’effet d’un imprimé, comblant les rêves d’une clientèle qui ne supportera­it pas de vivre dans le même décor que ses voisins, surtout quand on s’appelle Kate Moss ou Courtney Love.

« Les papiers peints, en particulie­r les panoramiqu­es, se sont toujours bien exportés », assure Guillaume Tregouet, administra­teur de la manufactur­e de Rixheim. Ils étaient roulés dans des malles puis transporté­s dans toute l’Europe. Et surtout aux Etats-Unis. A partir des années 1900, des paquebots partaient les cales pleines de papiers peints Zuber. Aujourd’hui encore, outre-Atlantique, le panoramiqu­e de la guerre de l’Indépendan­ce américaine est régulièrem­ent commandé. Pour imprimer les 32 lés de cette fresque historique, les artisans doivent préparer 360 couleurs manuelleme­nt puis les appliquer à l’aide de 2 300 planches différente­s. Le prix de l’excellence est à la hauteur du nombre d’heures de travail, soit 50 000 euros.

La rareté vaut investisse­ment. Il n’est pas rare que les enchères pour d’anciens décors s’envolent. Les plus recherchés peuvent atteindre jusqu’à dix fois le prix initial. La manufactur­e Zuber est également le seul atelier à proposer des décors pour les plafonds, qui restent à ce jour, comme le regrette Georges Chalaye, le parent pauvre de la décoration. Mais rien n’est perdu !

 ??  ?? Pour l’impression du décor panoramiqu­e « La guerre de l’Indépendan­ce américaine » (ci-dessus), les artisans préparent 360 couleurs à la main.
Pour l’impression du décor panoramiqu­e « La guerre de l’Indépendan­ce américaine » (ci-dessus), les artisans préparent 360 couleurs à la main.
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 ??  ?? Détail du panorama « L’Eldorado ».
Détail du panorama « L’Eldorado ».
 ??  ?? Comme un tableau, ces « Arbres fantômes » signés Valérie Morien, directrice artistique de Zuber, renouvelle­nt le panoramiqu­e.
Comme un tableau, ces « Arbres fantômes » signés Valérie Morien, directrice artistique de Zuber, renouvelle­nt le panoramiqu­e.
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Détail d’un papier peint d’archives.

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