Le Point

Bivouac VIP au Ladakh

Inde. Jadis réservé aux trekkeurs et aventurier­s de l’extrême, le « grand nord » se découvre aussi en campements de luxe.

- PAR CHRISTOPHE MIGEON

Il aura fallu un film pour que les Indiens réalisent que l’extrême nord de leur pays était autre chose qu’un désert de montagnes glacées dont on ne pouvait revenir que couvert d’engelures et avec quelques orteils en moins. En 2008, Bollywood produit une comédie burlesque dont la scène finale se déroule le long du lac Pangong, tout à l’est du Ladakh. Depuis, « 3 idiots » est devenu le plus gros succès du cinéma indien et les touristes du Deccan affluent en rangs serrés sur les rives de ce joyau turquoise.

Le pays n’en reste pas moins rude et a longtemps été l’apanage de trekkeurs durs à la peine. Quelques campements luxueux permettent cependant de conjuguer la découverte itinérante avec le faste et le confort des voyages d’antan. Ouvertes sur le monastère de Thiksey, les tentes du Chamba Camp sont un point d’ancrage idéal pour explorer la région de Leh tout en retrouvant, le soir, parquets cirés, fauteuils club, majordomes zélés, vins fins et matelas moelleux.

Une demi-journée de voiture suffit pour rallier le Chamba Camp Diskit, une autre merveille de toile, embusqué dans la très isolée vallée de la Nubra, tout au nord du Ladakh. La route qui y mène est réputée être la plus haute piste carrossabl­e du monde. Depuis le col de Khardung La, le regard – quelque peu chaviré – embrasse le vert couloir de l’Indus, saignée luxuriante sous l’ocre des montagnes craquelées du Zanskar. De l’autre côté, le feston de pics meringués de la chaîne du Karakoram couronne une vaste plaine marquetée de champs d’orge et de moutarde. La rivière Shyok y roule ses eaux tumultueus­es jusqu’au Pakistan, là-bas vers l’ouest. Les sables abandonnés par ses débordemen­ts fantasques se sont rassemblés en un gigantesqu­e champ de dunes près du village de Hunder.

Jusqu’en 1950, le Ladakh, loin d’être le cul-de-sac d’aujourd’hui, était une artère vitale pour le commerce transhimal­ayen. Les grandes caravanes en provenance du Turkestan chinois passaient par ces vallées, chargées de ballots de soie et de caisses de thé, avant de s’en retourner avec le cachemire et les épices par le col du Karakoram.

Avec la fermeture des frontières ■ lorsque la Chine a envahi le Tibet, les hommes se sont retrouvés pris au piège en Inde. Beaucoup de leurs descendant­s se sont fixés autour de ce désert miniature où ils promènent les touristes en caravanes plus ou moins anarchique­s au milieu des barkhanes. Un capiteux parfum d’Asie centrale flotte dans l’air limpide.

A 10 kilomètres à vol de vautour, le gompa de Diskit s’agrippe à son éperon rocheux depuis le XIVe siècle. Le monastère baigne encore dans son atmosphère médiévale. De raides escaliers se faufilent entre cellules et stupas blanchis à la chaux et conduisent au réfectoire où règne en maître le vénérable Lopsang Nurbu, 77 ans, moine installé à Diskit depuis soixante-dix ans. L’homme sent le feu de bois et respire la bonté. Tandis que la bouilloire chantonne sur le poêle, il raconte le temps long et épais comme du miel des méditation­s, s’amuse de la futilité de notre monde marchand et regrette de ne plus trop avoir d’amis. Les jeunes s’en vont et les anciens meurent.

Au bonheur des marmottes. Par la vitre, entre deux prières, le vieux moine peut observer la large vallée par laquelle la rivière Nubra vient mêler ses eaux à celles de la Shyok. Longtemps interdite pour des raisons militaires, la forbidden valley est désormais entièremen­t ouverte aux touristes depuis 2017. C’est le territoire le plus au nord de l’Inde, à 2 500 kilomètres du cap Comorin, l’extrémité sud du pays, une contrée émaillée d’argousiers, de lacs sacrés embusqués dans leur écrin d’austères collines et de chortens culottés par des hivers sans fin. Une dernière lampée de thé au beurre salé et il faut déjà quitter ces paysages démesurés. Pour revenir à Leh, mieux vaut passer par le Wari La, un col ignoré des touristes où la montagne prend un petit air alpestre. Les ouvriers indiens qui ont construit la route dans les années 1990 avaient pris la fâcheuse habitude de tuer les marmottes pour les manger en ragoût. Pour arrêter le massacre, les villageois de Sakti, en contrebas, ont eu l’idée de répandre la rumeur selon laquelle la viande de marmotte rendait sourd. Les terrassier­s eurent tôt fait de reprendre leur régime de poulet au curry. Désormais, les grassouill­ets rongeurs se prélassent en toute insoucianc­e dans l’herbe tendre au milieu des yaks. L’envie est grande de s’allonger en leur compagnie et de profiter du soleil en attendant la réincarnat­ion

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Les montagnes craquelées de la chaîne du Zanskar vues du Chamba Camp Thiksey.
 ??  ?? Appel à la prière matinale au monastère de Thiksey. Les tentes du Chamba Camp, point d’ancrage idéal pour explorer la région de Leh.
Appel à la prière matinale au monastère de Thiksey. Les tentes du Chamba Camp, point d’ancrage idéal pour explorer la région de Leh.
 ??  ?? Balade à dos de chameau dans le champ de dunes de Hunder. Le Chamba Camp donne sur le monastère de Thiksey. Dans les chambres, parquet ciré et malle voyageur.
Balade à dos de chameau dans le champ de dunes de Hunder. Le Chamba Camp donne sur le monastère de Thiksey. Dans les chambres, parquet ciré et malle voyageur.

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