« Ça va mal finir ! »
C’est la terrible mise en garde de Nicolas Sarkozy qui forme, avec l’actuel chef de l’Etat, le couple de l’année, sinon du quinquennat. Sur le plateau des Glières, pour commémorer le 75e anniversaire de combats où les nazis tuèrent 124 résistants français, l’ancien et le nouveau président sont encore apparus la bouche en coeur, presque la main dans la main, avant de célébrer pieusement le « rassemblement ». Charmant.
La récupération est un art difficile, l’heureux bénéficiaire oubliant souvent tout, excepté d’être ingrat. Même si Emmanuel Macron le traite avec les égards dus à son utilité virtuelle, Nicolas Sarkozy, soucieux de ne pas jouer les idiots utiles, l’assassine volontiers en petit comité, rapporte Le Figaro. Il le juge faiblard, incapable de « cheffer ». « A un moment, ça va se retourner, prédit-il, et la droite devra être prête. »
François Hollande, l’anti-Sarko, qui n’était pas invité aux Glières, est à peu près sur la même ligne. Il s’attend à plus ou moins brève échéance, a-t-il déclaré au Parisien, à une victoire du Rassemblement national. Comment lui donner tort, devant la déliquescence ambiante ? Nous vivons plus que jamais sur fond de perte de repères, de guérilla urbaine, de fractures ouvertes, d’incivisme haineux, de laxisme judiciaire.
Rien ne vaut rien: vous pouvez sans être inquiété voler des fourchettes au Fouquet’s en feu et, ensuite, aller faire le beau sur les réseaux sociaux, avec la bénédiction d’une justice béloubétienne à la ramasse, incapable d’incarcérer un seul black bloc ! Ces périodes-là fabriquent le meilleur terreau qui soit pour l’extrême droite et ses avatars.
Certes, il faut toujours se méfier des prophètes de l’Apocalypse. Souvent, ils voient l’avenir en noir parce qu’ils sont en fin de carrière, sans emploi, en deuil, ou qu’ils sentent sur leur nuque le souffle froid de la mort. Le pessimisme est de surcroît une vieille maladie française. Depuis le temps que les augures annoncent la chute de notre pays, il devrait être au fond du trou ! Mais pour une fois que Nicolas Sarkozy et François Hollande sont d’accord sur quelque chose, ne faut-il pas s’inquiéter du chemin que prend la France sous la présidence de M. Macron ?
Brillantissime, ultracompétent, assis entre deux chaises, une fesse sur la droite, l’autre sur la gauche, Emmanuel Macron semble toujours imbattable, mais cette force est devenue sa faiblesse, Marine Le Pen apparaissant, pour l’heure, comme la seule alternative possible. A celle-ci tout fait ventre, à commencer par l’amateurisme politicien, façon bras cassés, de La République en marche qui choisit pour mener la liste du pouvoir aux élections européennes, bon sang mais c’est bien sûr… une ancienne directrice de l’Ena, Nathalie Loiseau. En ces temps de populisme galopant, il suffisait d’y penser.
Gare aux procès en sorcellerie. Sur l’Europe, Nathalie Loiseau, personnalité énergique et sympathique, sait de quoi elle parle. Mais sur le reste, cette incarnation des élites peut proférer des bêtises. Ainsi : « Pourquoi le voile islamique nous dérange-t-il davantage que le voile de mère Teresa ou de soeur Emmanuelle ? » Des propos anciens qu’elle a assumés. Mais pour ces deux fortes têtes de la chrétienté, chère madame, le couvrechef faisait partie, si j’ose dire, de leur habit de fonction, une fonction qu’elles avaient librement choisie.
Il y a dans le macronisme un angélisme récurrent, comme un envers du cynisme immature qui y prospère. Mme Loiseau et ses épigones de La République en marche seraient bien inspirés de lire de toute urgence le livre lumineux de la lumineuse Fatiha Agag-Boudjahlat, « Combattre le voilement » (1), déconstruction du multiculturalisme et de son assignation identitaire. Une belle personne, professeure d’histoire-géographie dans un collège de Toulouse, bête noire des islamo-gauchistes de tout poil, déjà auteure d’un ouvrage qui avait fait grand bruit, « Le grand détournement ».
Fatiha Agag-Boudjahlat fait irrésistiblement penser à Zineb El Rhazoui. Voilà deux femmes sans peur ni reproche qui refusent les injonctions indigénistes et partagent les mêmes colères, les mêmes valeurs. Deux républicaines universalistes qui combattent sans relâche, à leurs risques et périls, la doxa dominante des racistes, des islamistes et des médias bien-pensants, laquelle ne considère pas les musulmans comme des individus dotés d’un libre arbitre, mais, au contraire, comme les éléments indissociables d’un bloc communautaire.
Le courage de ces grandes dames est sidérant. En ces temps de fatigue métaphysique ou d’arrogance sardonique dans les hautes sphères du pays, elles sont une raison d’espérer encore en lui, de croire en son salut
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1. « Combattre le voilement », de Fatiha Agag-Boudjahlat. Préface d’Elisabeth Badinter (Editions du Cerf, 218 p., 18 €).