Les grosses dettes
Selon une étude de l’agence Standard & Poor’s, la France est aujourd’hui le deuxième pays le plus endetté au monde…
C’est sans faire montre d’une humilité excessive que le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a commenté la publication par l’Insee d’un chiffre de déficit public meilleur que prévu. « J’aurai été, avec Bruno Le Maire, a-t-il sobrement expliqué, le ministre qui a baissé le plus le déficit dans l’histoire de la Ve République. » Une fanfaronnade surprenante de la part d’un des – rares – ministres à avoir gardé la tête froide depuis la crise des gilets jaunes et à combattre au quotidien les envies dépensières de ses collègues du gouvernement. Après 3,5 % en 2016 et 2,8 % en 2017, le déficit public s’est réduit à 2,5 % du PIB en 2018, contre 2,7% encore anticipé à l’automne. Il faut tout de même avoir l’esprit un peu tordu des députés de La France insoumise pour ne pas s’en féliciter et ne pas se réjouir que la France respecte enfin, pour la deuxième année consécutive, le critère des 3 % inscrit dans les traités européens qu’elle a signés.
S’il veut toutefois conserver ce titre de gloire qu’il s’est promptement décerné, M. Darmanin serait bien inspiré de quitter au plus vite le gouvernement pour partir à la conquête de la mairie de Tourcoing, car les choses pourraient sérieusement et rapidement se gâter. La Banque de France anticipe un déficit de 3,2 % en 2019, sous l’effet notamment des coûteuses mesures décidées en décembre 2018 pour répondre à la colère des gilets jaunes. La France semble même très bien partie pour être cette année le pays de l’Union européenne présentant les comptes publics les plus déséquilibrés. Ce qui serait, là encore, une grande première dans l’histoire de la Ve République.
Plus inquiétant, en violation de ses engagements européens et au grand dam du Haut Conseil des finances publiques, aucune amélioration du déficit structurel, c’est-à-dire du déficit qui ne dépend pas de la conjoncture économique, n’a été constatée en France en 2018 et n’est attendue en 2019. Au-delà de cette date, le plus grand flou entoure l’évolution du déficit public : en raison des perspectives de ralentissement de la croissance et des gigantesques inconnues fiscales que constituent le futur de la taxe carbone et celui de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés, représentant potentiellement un manque à gagner de plus de 15 milliards d’euros pour l’Etat.
M. Darmanin s’est aussi félicité de l’annonce d’une stabilisation de la dette publique en 2018, à 98,4 % du PIB, y voyant une preuve supplémentaire de la «fin de la dérive continue de nos finances publiques depuis dix ans». Cet optimisme paraît excessif lorsqu’on observe que le montant de la dette publique française a tout de même augmenté de 56,6 milliards d’euros l’année dernière, quand celui de la dette allemande a été réduit de 53 milliards d’euros. On ose d’ailleurs à peine imaginer le numéro de célébration autosatisfaite dans lequel M. Darmanin se lancerait, quelles louanges et quels compliments il s’adresserait s’il était aujourd’hui ministre allemand des Finances.
Bien sûr, on peut toujours se rassurer en constatant que l’Etat français continue d’emprunter à des taux incroyablement bas
(0,35 % à dix ans). Il n’empêche que, selon une étude de l’agence S & P, la France apparaît aujourd’hui comme le deuxième pays le plus endetté au monde, avec une dette globale, additionnant celles de l’Etat, des entreprises et des ménages, qui représente 312 % de son PIB. Ce qui veut dire aussi que la France se retrouverait en position d’extrême vulnérabilité en cas de remontée brutale des taux d’intérêt.
Il faut avoir la mémoire financière bien courte et avoir oublié la catastrophe économique qu’a été la crise des subprimes pour ne pas savoir que les histoires de surendettement finissent mal en général. Même si les spécialistes de l’Egypte ancienne doutent fortement de la véracité de l’anecdote, Hérodote a raconté comment le pharaon Kheops avait tant dépensé et s’était tellement endetté pour construire sa fabuleuse pyramide de Gizeh qu’il avait fini par contraindre sa fille à travailler dans une « maison de débauche » afin de pouvoir rembourser ses créanciers. « Non seulement elle exécuta les ordres de son père, ajoute Hérodote, mais elle voulut aussi laisser elle-même un monument. Elle pria tous ceux qui venaient la voir de lui donner chacun une pierre pour des ouvrages qu’elle méditait. Ce fut de ces pierres, dit-on, qu’on bâtit la pyramide qui est au milieu des trois, en face de la grande pyramide. » Quand le Prix Nobel d’économie Maurice Allais s’inquiétait, il y a vingt ans, de ces économies reposant « dans un équilibre fragile sur de gigantesques pyramides de dettes », il ne croyait pas si bien dire
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Aucune amélioration du déficit structurel n’a été constatée en France en 2018 et n’est attendue en 2019.