Le Point

La femme qui fait peur aux islamistes

L’ancienne journalist­e de Charlie Hebdo Zineb El Rhazoui, athée, féministe et universali­ste, est devenue le cauchemar des islamistes. Grand entretien.

- PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MAHLER

Quelque part à l’étranger. Pour des raisons de sécurité, on ne dira rien de plus de notre lieu de rencontre insolite avec celle qui est l’une des femmes les plus protégées de France. Retrouver Zineb El Rhazoui, qui accumule les fatwas comme d’autres les timbres, s’apparente à un film d’espionnage.

A 37 ans, l’ancienne de Charlie Hebdo est l’adversaire la plus acharnée de l’islam politique et la voix (tonitruant­e) des athées de culture musulmane en France. Fille d’un mécanicien de Royal Air Maroc et d’une mère franco-marocaine, la native de Casablanca vit sous protection policière depuis le 8 janvier 2015, au lendemain de l’attentat qui a coûté la vie à huit de ses collègues. Pour avoir déclaré que « l’islam doit se soumettre à la critique », la militante laïque a en décembre reçu une nouvelle salve de menaces de mort.

Au Point, l’auteure de « Détruire le fascisme islamique » (Ring) a accordé toute une journée, loin, très loin de ce contexte délétère. Il fallait bien ça face à ce flot urgent de paroles entrecoupé de bouffées de Vogue menthol qui raconte le combat de toute une existence. La diplômée de sociologie des religions manie un franc-parler que l’on retrouve très souvent chez les athées de culture musulmane. Mais, loin des clashs des plateaux de télévision, Zineb El Rhazoui

a pu développer une pensée bien plus complexe que ne le laissent entendre ses détracteur­s, qui tentent de la dépeindre en une « forme de Zemmour ». Si elle exerce amplement son droit de critiquer le dogme religieux, la journalist­e ne fustige pas les musulmans en tant qu’individus et refuse d’ailleurs de les englober dans une communauté qui serait homogène.

Une journée durant, Zineb El Rhazoui s’est confiée comme jamais : sa famille, ses années de militantis­me au Maroc, le cauchemar du 7 janvier 2015, les polémiques autour du voile, Macron et la laïcité… A la fin, on s’est dit qu’on tenait là une formidable Marianne

■ Le Point : En décembre, vous avez reçu de nouvelles menaces. Où en êtes-vous côté sécurité?

Zineb El Rhazoui : C’est cyclique. Ces tempêtes de menaces de mort s’accompagne­nt aussi d’énormément de messages de soutien, qui proviennen­t ■

de l’ensemble du spectre politique français, ■ de la gauche, voire de l’extrême gauche à la droite souveraini­ste. Cela démontre que c’est une question républicai­ne qui transcende les partis politiques. Ce qui est très difficile à vivre, ce n’est pas tant les menaces que l’impunité. Alors que je peux parfois recevoir des centaines de menaces par jour sur les réseaux sociaux, il faudrait pour chaque menace faire un constat d’huissier à plusieurs centaines d’euros et saisir un avocat. C’est très difficile financière­ment de poursuivre ces gens et donc de faire valoir ses droits. J’ai récemment redéposé plainte, mais pour l’instant ça n’a abouti à rien.

Votre première fatwa date de 2009. S’habituet-on aux menaces de mort?

En 2009, la ligue Mohammedia des oulémas du Maroc a, à la suite du pique-nique que nous avions organisé pendant le ramadan avec le Mouvement alternatif pour les libertés individuel­les (Mali), fait un communiqué qui dénonçait un acte odieux défiant les enseigneme­nts d’Allah et du Prophète, donc méritant un châtiment exemplaire. Vous vous rendez compte? Parce que nous voulions manger pendant le ramadan ! Pour moi, une fatwa, c’est un galon d’honneur. La première, j’avais envie de l’imprimer et de l’accrocher dans mon salon. Quand les plus hautes juridictio­ns islamiques commencent à vous désigner comme une personne à abattre, cela veut dire que vous avez mis le doigt là où ça fait mal. Mais bien sûr qu’on ne s’habitue jamais aux menaces de mort, comme on ne s’habitue pas à vivre sous surveillan­ce. On l’intègre comme une donnée du quotidien, mais il ne faut pas s’y habituer, car ce serait normaliser quelque chose de fondamenta­lement inacceptab­le.

Comme beaucoup d’athées de culture musulmane, vous expliquez que l’islam n’est pas une «religion de paix et d’amour». C’est peutêtre ce qui choque le plus, même chez les nonmusulma­ns…

Connaissez-vous une religion inventée il y a des dizaines de siècles que l’on peut vraiment présenter comme telle selon nos normes contempora­ines ? N’importe quelle société appliquant une religion à la lettre, même le christiani­sme, ne sera guère exemplaire en matière d’acceptatio­n de l’homosexual­ité, de contracept­ion, de divorce… Je ne comprends pas pourquoi les musulmans tiennent absolument à ce qu’on considère leur religion comme étant de paix et d’amour, alors qu’ils censurent toute tentative de critique rationnell­e de leur dogme. Les textes islamiques sont des textes misogynes. Ils autorisent explicitem­ent la polygamie et l’esclavage, incitent à la barbarie, comme dans la 8e sourate du Coran, verset 12 : « Je jetterai la terreur dans le coeur de ceux qui ont mécru. Vous pouvez les frapper au-dessus du cou et les frapper sur chaque doigt. » Aujourd’hui, ce que

l’islam exige de ses ouailles, que ce soit dans les pays où il est religion d’Etat ou à travers la mainmise communauta­riste de ses représenta­nts autoprocla­més en Occident, c’est quand même l’applicatio­n d’un totalitari­sme se considéran­t comme supérieur aux droits humains. Ce qui ne veut pas dire que l’essentiel des musulmans ne sont pas des gens pacifiques, mais ils le sont parce que leur humanité prévaut sur l’applicatio­n à la lettre de leurs textes sacrés.

Vous refusez aussi la distinctio­n entre islam et islamisme. Pourquoi?

Je fais déjà une distinctio­n entre Islam et islam. L’islam avec un petit « i », c’est la religion musulmane, les textes coraniques, la sîra, la sunna, l’exégèse… L’Islam avec un grand « i », c’est la civilisati­on islamique qui recouvre d’autres réalités : le droit coutumier, des cultures poétiques, musicales ou culinaires, une Histoire qui n’est pas forcément islamique mais qui est aussi païenne, juive, chrétienne… L’islamisme est le courant politique qui croit que l’islam doit intervenir dans la cité. L’applicatio­n stricto sensu de l’islam avec un petit « i », c’est bien l’islamisme. Il n’y a pas de séparation entre la spirituali­té et la notion d’oumma, la nation islamique. L’islam est d’ailleurs une orthopraxi­e : le bon musulman, selon l’islam, est celui qui accomplit scrupuleus­ement les rituels religieux : les cinq prières, le ramadan, le pèlerinage à La Mecque, où certaines sunnas, comme le sacrifice du mouton, ou la omra (pèlerinage facultatif). La foi doit se voir dans la façon de vivre. Si on applique les textes, cela donne un totalitari­sme absolu et liberticid­e.

« Je veux que ma fille puisse marcher fièrement partout en France, y compris dans ces territoire­s aujourd’hui perdus pour les femmes. »

Mais est-ce vraiment nécessaire, comme vous le faisiez dans votre dernier livre, de parler de «fascisme islamique», lorsque l’on sait que le fascisme est un phénomène historique du XXe siècle?

Mais l’islamisme est un phénomène du XXe siècle, précisémen­t né dans les années 1930 ! La quasi-totalité des organisati­ons ou régimes islamistes qui existent aujourd’hui sont sortis de la matrice de la secte des Frères musulmans, cette mouvance créée par Hassan el-Banna, le grand-père de Tariq Ramadan, en Egypte, en 1928. El-Banna n’a jamais caché sa grande admiration pour Hitler. Par ailleurs, la simple observatio­n de ce qu’est l’islamisme en 2019 nous permet de constater qu’il ne s’agit pas là d’une spirituali­té individuel­le, mais plutôt d’un bloc identitair­e qui possède nombre des caractéris­tiques méthodolog­iques des fascismes. D’abord, il y a la vénération aveugle, la quasi-déificatio­n du leader éternel, le prophète Mahomet, qui quinze siècles après sa mort continue à tuer. On a vu ce qu’il est arrivé aux derniers qui ont essayé d’ironiser sur sa figure – ce sont mes collègues de Charlie Hebdo. Comme dans tous les fascismes, l’islamisme possède également des bras armés, des milices qui tuent au nom de cette idéologie. Comme dans les fascismes, on constate un sexisme répressif envers les femmes et les homosexuel­s. L’Etat islamique a jeté les homosexuel­s des bâtiments les plus hauts et, même dans les théocratie­s islamiques se disant « light » comme le Maroc, l’homosexual­ité est punie de prison. A-t-on dans l’histoire de l’humanité connu un sexisme plus oppressif que cette idéologie souhaitant quasiment faire disparaîtr­e le corps des femmes du paysage public ? Comme les fascismes, qui sont expansionn­istes, l’islamisme a clairement une logique impérialis­te : par le djihad ou par le prosélytis­me politique, il faut étendre cette foi partout. Enfin, il y a le sentiment d’appartenan­ce à une communauté persécutée, qui doit se redresser pour accéder à une grandeur fictive perdue. Les fascismes se sont tous fondés sur ce sentiment exacerbé d’un âge d’or. Aujourd’hui, malheureus­ement, nous avons en France des personnes à gauche qui alimentent ce sentiment victimaire et qui ne comprennen­t pas qu’elles jouent avec le feu. La seule différence, finalement, avec d’autres fascismes, c’est que l’islamisme a réussi à se draper d’une respectabi­lité aux yeux de ceux-là mêmes qu’il veut détruire.

Vos parents sont-ils religieux?

Mon père se définit comme musulman, mais avec une pratique très minimalist­e, faisant uniquement le jeûne du ramadan par tradition, comme beaucoup de Marocains. L’islam de ma famille était donc un islam traditionn­el, mais pas traditiona­liste. Le voile islamique que l’on voit aujourd’hui en France et que l’on présente comme inhérent à l’identité islamique, nous l’avons vu apparaître dans la société marocaine seulement dans les années 1990.

Comment votre famille regarde-t-elle vos engagement­s?

Mon oncle paternel, venu en France à l’âge adulte, a une reconnaiss­ance infinie envers la France de l’avoir accueilli, de lui avoir permis de trouver un travail, de vivre dignement. Lorsqu’il est avec ses amis au bistrot, il est très fier de me voir passer à la télévision. Pour lui, je donne une image plus positive, plus moderne des Arabes ou des musulmans. Mes parents me soutiennen­t, mais, évidemment, ils ont aussi peur. Si je ne réponds pas à un SMS de ma mère dans le quart d’heure, elle s’imagine le pire. J’ai par ailleurs plusieurs tantes voilées. Mais mes critiques envers le voile n’ont jamais altéré notre lien d’affection. Dans leur sagesse, elles comprennen­t que s’opposer à l’idéologie n’est en aucun cas une haine de l’individu.

A quel moment êtes-vous devenue athée?

Je me suis revendiqué­e athée à l’adolescenc­e, vers l’âge de 15 ans. J’ai cessé de pratiquer le ramadan tout en continuant à faire semblant, car, socialemen­t, on ne pouvait pas s’afficher en tant que tel. Mais l’athéisme n’est pas quelque chose qui vient du jour au

lendemain. C’est toujours un processus qui ■ prend des années lorsqu’on a reçu une éducation religieuse qui confine au lavage de cerveau, surtout quand on est enfant et qu’on est très malléable. Au lycée, me dire athée m’a procuré un certain confort intellectu­el intime, car c’était en adéquation avec la liberté à laquelle j’aspirais et l’aversion que je ressentais pour la religion qui, en tant que femme, ne me réservait que mépris et la perspectiv­e de n’être que la moitié d’un homme, une mineure à vie. Le point de départ de mon athéisme était ainsi féministe. J’ai alors entamé une quête intellectu­elle. J’ai commencé à lire tout ce qui pouvait me tomber entre les mains, en sachant que les livres sur l’athéisme sont censurés au Maroc. En arrivant en France pour mes études, j’ai eu accès à tous les livres, comme ceux de la grande féministe égyptienne Nawal el-Saadawi.

Le 7 janvier 2015, alors que les frères Kouachi abattent vos collègues de «Charlie Hebdo», vous êtes à Casablanca…

Avec Charb, on avait un deal. Si je ne venais pas à la réunion, je lui envoyais un mail avec mon sujet avant 10 heures du matin. Cette semaine-là, je lui ai dit que je voulais écrire sur le tract de Daech réglementa­nt la vente et l’achat de femmes yézidies. Quand Charlie avait commencé à parler de djihad sexuel, on s’était fait attaquer par plein de gens nous qualifiant d’islamophob­es, et qui prétendaie­nt que cette histoire d’esclaves sexuelles était une infox. Puis mon téléphone marocain s’est mis à sonner. C’était un ami journalist­e, affolé, qui m’a prévenue qu’il y avait une fusillade à Charlie. J’ai appelé Charb, Luz, Luce Lapin… Luce me répond et me dit qu’elle était planquée dans le bureau de Cécile Thomas, responsabl­e des éditions Les Echappés, avec un autre collègue. « Il y a au moins dix morts, Charb est mort », m’annonce-t-elle. J’avais du mal à y croire, je pensais qu’elle me faisait une blague, comme souvent à Charlie, puis j’ai entendu des hurlements de bête blessée. C’était Patrick Pelloux qui pleurait. Je suis tombée sur les genoux. J’ai rappelé Charb en lui laissant un message : « Allez, mon vieux, ça va le faire. » Je ne voulais pas accepter sa mort. Devant la liste des morts qui s’allongeait, je me suis même demandé si après un tel cataclysme il fallait rentrer en France. Mais, quand j’ai appris que Simon Fieschi, mon grand pote, était entre la vie et la mort, je me suis dit : « Il faut y aller. » J’ai atterri à Paris le 8 janvier par le premier avion.

« Parle-t-on d’attentats coptophobe­s en Egypte ou d’un attentat athéophobe pour “Charlie Hebdo” ? »

A l’aéroport, vous découvrez cette «prison ambulante» qui sera désormais votre vie…

A la porte de l’avion, je suis cueillie par Cyril. J’ai découvert ce qu’était vraiment la protection policière. Je n’avais pas d’appartemen­t à Paris. Je squattais d’habitude chez ma mère, mais de son salon on voyait l’immeuble où habitait l’un des frères Kouachi. Pendant des mois, jusqu’en mai, j’ai été une SDF, passant des canapés d’amis à des hôtels. J’ai rapidement été mise en protection très élevée, du fait de menaces très ciblées à la suite de mes interventi­ons dans des médias arabophone­s. J’avais des crises de larmes très fréquentes, mais les flics étaient là. Ils me disaient qu’il me fallait manger, alors que ce n’est pas leur boulot. Le matin, souvent, je ne voulais pas me lever, j’étais dans un état de marasme absolu. Mes flics m’ont littéralem­ent retenue à la vie, car cette protection, si contraigna­nte qu’elle pouvait être, m’obligeait à m’astreindre à un agenda et à faire bonne figure. En plus, ils étaient là pour éventuelle­ment qu’on meure ensemble. Cela crée un lien extraordin­aire de confiance. Ils ont suivi les aléas de ma vie privée, ont vu naître ma fille. Mais cette protection m’a aussi extraite de la société. Je n’ai pas pris le métro depuis décembre 2014.

Qu’avez-vous pensé de la réaction des Français après les attentats ?

On espérait vraiment qu’après Charlie il y aurait un sursaut, un éveil national. Quand, le 11 janvier, on a marché boulevard Voltaire entourés de millions de personnes, une foule souffrant avec nous, on s’est dit : « Enfin, ils ont compris notre travail. La mort de nos amis n’aura pas servi à rien ! » Mais très rapidement il y a eu ce débat nauséabond, avec toujours les mêmes « Je condamne les attentats, mais je ne suis pas Charlie ». Après, il y a eu Nice. Un type au volant d’un camion s’est dit qu’il allait tuer des enfants venus admirer les feux d’artifice du 14 Juillet. J’en étais si meurtrie que j’ai voulu révoquer ma protection, car tout le monde était désormais menacé. Peut-être que l’histoire aurait été différente si en 2006 tous les journaux de France et du monde avaient décidé de publier les caricature­s de Mahomet. Ceux qui ont alors maquillé leur couardise en un prétendu respect de la religion ont contribué à isoler et à cibler Charlie. Ceux qui se taisent lorsqu’il s’agit de dénoncer une injustice mettent en danger ceux qui parlent.

L’affaire du «hidjab de running» que voulait vendre Decathlon a marqué une nouvelle polémique autour du voile. Votre avis?

Encore une fois, des gens ont essayé de faire de cette polémique un moyen de réclamer des droits qui existent déjà. A ceux qui se victimisen­t sans cesse il faut rappeler qu’une femme dans notre pays peut porter le voile comme elle peut porter un chapeau de Napoléon tant qu’on reconnaît son visage. Decathlon a par ailleurs le droit de vendre ce qu’il veut tant que ce n’est pas de la drogue ou des armes. Mais nous avons aussi le droit dans ce pays – enfin, je l’espère – de dire « Attention, le voile n’est pas un vêtement comme un autre », c’est un vêtement sexiste, qui invisibili­se une partie de l’humanité, instaure un séparatism­e sexuel, un suprémacis­me masculin et est imposé par la coercition à des millions de femmes dans le monde qui se

battent pour pouvoir l’enlever. Nous avons aussi le droit de dire que nous sommes choqués que Decathlon, une marque de sport française, vende un article, le hidjab, qui a sa place dans un magasin religieux, entre l’eau coranisée et les abayas.

Vous avez signé une pétition avec Yvette Roudy ou Elisabeth Badinter pour un «8 mars universali­ste». Le féminisme ne l’est-il plus?

Le féminisme est par essence universali­ste. Les droits des femmes françaises ne devraient pas être supérieurs à ceux des femmes afghanes ou congolaise­s. Je suis contre un féminisme relativist­e qui s’adapterait aux coutumes puisqu’il refuserait de questionne­r les ressorts du patriarcat et du sexisme dans des sociétés qui violent les droits élémentair­es des femmes au nom de la différence culturelle. Aujourd’hui, le combat féministe vit une grande régression avec l’essor de ce qui se veut un « féminisme intersecti­onnel » imprégné de l’idéologie décolonial­e et du relativism­e culturel, et même d’un « féminisme islamique » qui, pour moi, est un oxymore et un cheval de Troie des islamistes. Vous remarquere­z que dans ce supposé féminisme islamique la liberté de disposer de son corps se résume à la liberté de se voiler. Que fait-on du droit à l’IVG ou du droit d’accès à la sexualité ? Ce féminisme-là n’a pour ambition que de nous faire croire que les textes islamiques sont tout à fait favorables aux droits des femmes. Mais que fait-on par exemple du verset 34 de la sourate 4, qui dit : « Les hommes ont autorité sur les femmes » ? Si l’islam permettait l’égalité hommesfemm­es, nous l’aurions su depuis quinze siècles ! Quant au féminisme intersecti­onnel, qui pense que l’individu est traversé par plusieurs discrimina­tions, c’est une idéologie qui prétend défendre les femmes en les classant en blanches et racisées. Cette camelote idéologiqu­e qui hiérarchis­e de prétendus rapports de domination/discrimina­tion déterre le spectre hideux du racialisme, dont on croyait pourtant être débarrassé­s en France. Cet ersatz de pensée est une négation ignare de l’héritage universel des Lumières, ces militants se fondent sur une inculture crasse, comme vient encore de le démontrer la censure violente par les militants de cette idéologie racialiste de la pièce «Les suppliante­s », d’Eschyle, à la Sorbonne.

L’attentat de Christchur­ch a fait une cinquantai­ne de morts dans deux mosquées en Nouvelle-Zélande. N’est-ce pas la preuve d’une montée de l’islamophob­ie, terme que vous réfutez?

Christchur­ch est un attentat antimusulm­ans commis par l’extrême droite racialiste et suprémacis­te, pas un acte islamophob­e. Parle-t-on d’attentats coptophobe­s en Egypte ou d’un attentat athéophobe pour Charlie Hebdo ? Ce n’est pas parce qu’il y a eu cet odieux attentat que je vais adouber ce concept d’islamophob­ie, qui empêche toute critique de l’islam en l’assimilant à du racisme antimusulm­an. Beaucoup ont condamné cet attentat par humanisme et par solidarité avec les victimes. Mais d’autres, malheureus­ement, se sont comportés comme des

charognard­s, ne s’intéressan­t pas aux victimes, ■ mais seulement aux coupables supposés. Avec des athées de culture musulmane comme Hamed Abdel-Samad, nous nous sommes retrouvés accusés d’être responsabl­es d’un acte commis à 20 000 kilomètres de là. Nos détracteur­s se sont dit : « Chic, on a là l’occasion rêvée d’imposer le mot islamophob­ie. » Ils ont aussi prétendu que la France serait l’épicentre internatio­nal de l’idéologie d’extrême droite et que des personnali­tés françaises seraient directemen­t responsabl­es de cet attentat. Alors qu’à la lecture du manifeste du terroriste de Christchur­ch on se rend compte que la France a même été sa contre-inspiratio­n puisqu’il a été très déçu que la France ait élu, avec Macron, un candidat qu’il qualifie de « philosémit­e », contre Marine Le Pen, qui de toute façon est trop molle pour lui. Ces gens qui veulent faire passer la France pour l’épicentre de l’islamophob­ie disent en substance aux djihadiste­s: «Venez attaquer la France, elle le mérite. » Les mêmes s’émeuvent très peu lorsque les terroriste­s islamistes s’en prennent au même type de victimes, des musulmans qui prient dans une mosquée, en Irak, en Egypte ou en Afghanista­n.

Najat Vallaud-Belkacem a tweeté des couverture­s de magazines traitant de l’islam, comme «L’Express», «Marianne» ou «Le Point». Selon elle, l’indignatio­n de ces journaux après Christchur­ch serait «hypocrite»…

C’est mettre une cible sur les médias français. Croitelle sérieuseme­nt que l’assassin lisait Marianne, L’Express ou Le Point ? On attend un peu plus de sagesse républicai­ne d’une ancienne ministre. Comme une vulgaire militante indigénist­e, elle explique que des magazines français seraient responsabl­es de Christchur­ch. Mme la ministre a la mémoire bien courte puisque la dernière fois que ce type de procédé a eu lieu en France, c’était contre Charlie Hebdo. Pendant des années, on nous avait présentés comme étant un journal d’extrême droite, alors que Charlie est bien sûr un journal libertaire, satirique, athée et même franchemen­t à gauche. Elle qui a été ministre, on attend d’elle qu’elle défende la France dans toute sa cohésion ; son rôle n’est pas de défendre l’islam contre la France, parce que la France n’a jamais été l’ennemie de l’islam. Bien au contraire, les Français de confession musulmane jouissent grâce à la République de beaucoup plus de droits et de sécurité que dans n’importe quel pays musulman.

Le vice-président du CFCM, Anouar Kbibech, comme d’autres, vous compare à Eric Zemmour. Cela vous fait quoi?

C’est un truc facile. Ces personnes assimilent la critique rationnell­e de la religion islamique à l’extrême droite, qui serait représenté­e par Eric Zemmour. Anouar Kbibech est proche du PJD, soit l’extrême droite marocaine. Je rappelle que les islamistes, où qu’ils soient dans le monde, sont à l’extrême droite de l’échiquier politique. Ils défendent des valeurs identitair­es, ils sont conservate­urs sur la question des libertés puisque la tradition religieuse doit primer, ils sont opposés aux droits des homosexuel­s, à l’avortement et à l’égalité hommes-femmes. M. Kbibech estbienplu­sunhommed’extrêmedro­itequequel­qu’un comme moi, une libre-penseuse de l’islam qui se bat pour la liberté de conscience, pour la liberté d’expression et l’émancipati­on des musulmans dans le monde du joug, malheureus­ement obligatoir­e, de la religion islamique. Par ailleurs, j’ai aussi expliqué sur un plateau de télévision à Eric Zemmour qu’il se trompait lourdement sur son histoire de prénoms. Le prénom n’a jamais fait de qui que ce soit un Français. Nous avons bien eu un djihadiste nommé Fabien Clain, qui était moins français que moi, qui m’appelle Zineb. Lui a pris les armes contre son pays, tandis que j’essaie de défendre ses valeurs et son modèle universali­ste. M. Zemmour se trompe de combat. Ce n’est pas non plus la généalogie qui fait les Français. Le fait d’être arménien n’a pas empêché Missak Manouchian de devenir l’un des plus grands héros de la Résistance.

Les extrêmes s’alimentent-ils les uns les autres avec cette obsession à voir dans les population­s d’origine arabe une masse de musulmans homogènes?

L’extrême droite identitair­e ou l’extrême droite islamique ne défendent pas les mêmes projets de société, mais elles ont les mêmes outils dialectiqu­es. Les deux pensent que la société française est composée de communauté­s qui ne devraient pas avoir les mêmes droits. L’extrême droite identitair­e estime que la France blanche, catholique et romaine prime par le droit du sang, tandis que l’extrême droite islamique pense que cette masse indéfiniss­able qu’elle appelle les musulmans prime sur le reste par la volonté d’Allah. Les deux sont hostiles à l’altérité, aux valeurs républicai­nes, à l’universali­sme. Sur certains sujets, comme l’opposition au mariage pour tous, on a pu constater qu’elles se retrouvaie­nt parfaiteme­nt.

«L’islamisme a déjà perdu», répétez-vous. Pourquoi cet optimisme?

Il y a en France une ignorance sur ce qu’est fondamenta­lement le monde musulman. On la retrouve d’ailleurs en priorité chez les enfants de troisième ou quatrième génération, qui ont un regain de revendicat­ions identitair­es. A cette jeunesse les islamistes ont expliqué que leur costume traditionn­el était le qamis pakistanai­s pour les hommes, quand bien même ils seraient originaire­s des montagnes de Kabylie ou du Souss marocain, et le sac poubelle noir pour les femmes, quand bien même leurs grandmères s’habillaien­t en caftan ou en caraco. Ces jeunes ne revendique­nt ainsi qu’une croûte identitair­e, ils sont souvent incapables de parler correcteme­nt cette langue au nom de laquelle ils ont des revendicat­ions. Depuis les attentats de Charlie Hebdo, je continue d’aller très fréquemmen­t dans les pays arabes et je vois les changement­s qui traversent les différente­s sociétés. Alors qu’une vague d’obscuranti­sme menace en Europe, il y a une vague d’athéisme qui arrive des pays arabes. J’ai vu cette vague prendre forme avant même l’apparition des réseaux sociaux. Les peuples musulmans sont dans une marche inexorable vers l’émancipati­on du joug religieux, parce qu’ils ne se font aucune illusion sur la finalité du projet islamiste. Ils ont vu leurs sociétés dégringole­r dans les standards de la pensée, ils ont osé questionne­r ce rejet de l’autre que nous enseigne la voie religieuse, cette haine des juifs et des chrétiens enseignée dès le plus jeune âge, ils ont vu les dégâts causés par l’idée que nous serions la meilleure nation que l’humanité ait connue, que les femmes sont inférieure­s, la polygamie, licite, ou que les homosexuel­s ne valent pas mieux que des déchets. J’observe avec beaucoup de bienveilla­nce et beaucoup d’optimisme le renouveau démocratiq­ue spectacula­ire qui est en train de se dérouler en Algérie. Le peuple algérien a beaucoup à nous enseigner sur le totalitari­sme religieux qui germe là où la démocratie se pourrit et les institutio­ns se délitent. Quelle que soit l’issue de cette mobilisati­on exemplaire des Algériens, et même si elle mène le pays vers une phase de turbulence­s, la démocratie finira par l’emporter.

Vous avez une fille de 3 ans. Au moment de devenir mère, ne vous êtes-vous jamais demandé s’il ne valait pas mieux tout arrêter?

Quel monde laisserait-on à nos enfants si chacun ne pensait qu’à ses propres intérêts ? Ma fille est française, son avenir est intrinsèqu­ement lié à la France. Je veux qu’elle puisse marcher fièrement et librement partout dans ce pays, y compris dans ces territoire­s aujourd’hui perdus pour les femmes. Je veux qu’elle puisse fraternise­r avec l’ensemble de ses compatriot­es, quelles que soient leurs origines. Je veux que ma fille soit respectée en tant que femme. Je ne veux pas qu’elle vive sous la menace terroriste.

Vous avez été récemment reçue par Emmanuel Macron, qui veut réformer l’organisati­on et le financemen­t de l’islam. Que lui avez-vous dit?

Je lui ai dit qu’il ne fallait absolument pas toucher à la loi de 1905. Ayons le courage politique de l’appliquer plutôt que de la réformer ! Emmanuel Macron semble avoir depuis fait marche arrière sur cette question, mais il reste la volonté du gouverneme­nt d’organiser le financemen­t de l’islam, car il ne s’agit que de cela en réalité. Cette réforme est téléguidée par trois boutiques de l’islam politique : le CFCM, malheureux legs de Nicolas Sarkozy, l’Associatio­n musulmane pour l’islam de France (Amif), de Hakim El Karoui. Et enfin, dans une mouture plus indigénist­e, L.E.S Musulmans, de Marwan Muhammad, ancien porte-parole de l’inénarrabl­e CCIF. Je m’oppose déjà à ce concept d’islam de France, une hérésie ! Il n’y a aucune raison qu’il y ait un islam de France, pas plus qu’un christiani­sme de France ou un judaïsme de France. Au-delà de l’utilité, loin d’être publique, de ces « représenta­tions » autoprocla­mées, c’est aussi la qualité des personnes qui les composent qui devrait inquiéter l’Etat. Les trois projets, notamment celui de Hakim El Karoui, qui semblait jusque-là avoir les faveurs du président de la République, sont marqués par l’omniprésen­ce de membres de l’UOIF, branche française des Frères musulmans.TareqOubro­u,parexemple, imam de Bordeaux et figure phare de l’Amif, ne parviendra pas à nous faire oublier qu’il a servi l’UOIF pendant près de trente ans, même s’il en a démissionn­é, sur le plan formel, et sans jamais condamner les Frères, en mai 2018 seulement.

Il faut sérieuseme­nt se questionne­r sur cette lubie de l’Etat français à vouloir organiser l’islam. L’islam est un culte libre d’exercice en France en vertu de la loi de 1905, l’Etat n’a donc pas à s’en mêler. L’Etat n’a le droit d’intervenir dans l’exercice des cultes que lorsqu’ils contrevien­nent à l’ordre public, prérogativ­e hélas trop peu exercée lorsqu’il s’agit des débordemen­ts de l’islam. Si des dignitaire­s musulmans veulent s’organiser pour traiter de questions théologiqu­es liées à leur religion, libre à eux de le faire, mais ils ne devront à aucun moment avoir la prétention de représente­r les Français de confession musulmane.

Etes-vous encore de gauche?

La lutte pour une République universali­ste, fraternell­e et laïque est historique­ment une lutte de gauche. Je suis fidèle au combat des pères fondateurs. Je n’appartiens à aucun parti politique et j’ai horreur des dogmatisme­s. Comme beaucoup de Français, j’en suis réduite à ne pas voter pour, mais contre. Je vote contre les identitair­es de tout bord et contre les ennemis de la laïcité. On les retrouve malheureus­ement aussi bien à gauche qu’à droite

« Alors qu’une vague d’obscuranti­sme menace en Europe, il y a une vague d’athéisme qui arrive des pays arabes. »

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En mars, « Le Point » a passé une journée entière avec Zineb El Rhazoui.
Au mur, des affiches de l’âge d’or du cinéma libanais et égyptien.
Menacée. En mars, « Le Point » a passé une journée entière avec Zineb El Rhazoui. Au mur, des affiches de l’âge d’or du cinéma libanais et égyptien.
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 ??  ?? Confession­s. « Je me suis revendiqué­e athée à l’adolescenc­e, vers l’âge de 15 ans », se souvient Zineb El Rhazoui.
Confession­s. « Je me suis revendiqué­e athée à l’adolescenc­e, vers l’âge de 15 ans », se souvient Zineb El Rhazoui.
 ??  ?? Courage. Zineb El Rhazoui, en mars. « Ceux qui se taisent lorsqu’il s’agit de dénoncer une injustice mettent en danger ceux qui parlent. »
Courage. Zineb El Rhazoui, en mars. « Ceux qui se taisent lorsqu’il s’agit de dénoncer une injustice mettent en danger ceux qui parlent. »
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