Lou, y es-tu ?
Avec « Blanche comme neige », Anne Fontaine fait du conte une fable mordante. Lou de Laâge y rayonne.
Oubliez la Blanche-Neige de Disney, adieu petite brunette aux joues pleines et aux airs empruntés, adieu poitrine corsetée, manches ballon et noeud figé dans les cheveux. Dans « Blanche comme neige », dernière audace de la réalisatrice Anne Fontaine, l’héroïne des frères Grimm est une rebelle. Non seulement elle ne fait plus le ménage et la popote chez les sept nains, mais elle leur met le grappin dessus ! « C’est une BlancheNeige #MeToo. Une jeune femme qui apprend à être libre, à satisfaire tous ses désirs. C’est osé, transgressif, féministe. C’est ce qui m’a plu», confie Lou de Laâge, devant un thé fumant.
Derrière un physique à faire tomber les hommes comme des mouches, la jeune femme de29 ans, issue d’une grande famille de la noblesse française (les de Laâge de Meux), dissimule des airs de garçon espiègle, un franc-parler qui surprend. Pull marin, godillots, un trait de crayon au coin de ses yeux de jade, elle confie à quel point ce rôle de femme à hommes lui a fait du bien. « La consigne était claire : je
devais lâcher prise, m’abandonner. Il y a plus désagréable. » Pour sauver la belle jeune fille des griffes de l’affreuse belle-mère rongée par la jalousie – inaltérable Isabelle Huppert –, une belle brochette de « nains » grandeur nature qui apporte tout le loufoque nécessaire à la transposition du conte. Vincent Macaigne est formidable en violoncelliste haptophobique – il craint de toucher et d’être touché – et hypocondriaque obsédé par les maladies imaginaires de son chien, Tchernobyl ; Benoît Poelvoorde joue les libraires libidineux ; Pablo Pauly, le puceau empoté; Jonathan Cohen, le vétérinaire ultraémotif ; sans parler des jumeaux incarnés par Damien Bonnard et du génial curé pousseau-crime joué par le Québécois Richard Fréchette.
Bizarrerie. C’est rock’n’roll, et l’on rit du début à la fin. « Sûrement pas autant que nous sur le tournage, confie Lou. Même les scènes de sexe, qui auraient pu m’intimider, étaient propices au fou rire. Le conte permet de concilier comédie et érotisme, c’est formidable.» Chez Anne Fontaine, les écureuils de la forêt surprennent les parties de jambes en l’air et s’empoisonnent en croquant dans la pomme, les amoureux tombent dans les vapes ou sortent précipitamment des fourrés… «Anne est très fidèle à la bizarrerie des gens, reconnaît Vincent Macaigne. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est l’antibourgeoise. Elle côtoie tout type de gens et les aime pour leurs névroses, leurs défauts, leur singularité. Elle fréquente qui elle veut, tourne les films qu’elle veut, sans jamais se soucier du qu’en-dira-t-on. Et Lou est pareille. C’est là qu’elles se retrouvent. » La première aime mettre en scène les femmes transgressives – « Coco Chanel » (2009), « Gemma Bovery » (2014), les mères sulfureuses de «Perfect Mothers»
(2013), la jeune interne des « Innocentes » (2016) –, la seconde assume de refuser des rôles pour se donner le temps de remonter sur les planches, ses premières amours.
La carrière de Lou de Laâge commence tôt. A 6 ans, en sortant d’une pièce, elle supplie ses parents de la laisser faire du théâtre. Ils l’inscrivent alors dans une troupe pour enfants, qui se produit dans la France entière. Après le bac, celle qui a grandi à Montendre (ça ne s’invente pas !), en Charente-Maritime, monte à Paris et prête son joli minois au rouge à lèvres Bourgeois. « J’avais besoin d’argent. Je suis entrée dans une agence de pub et, craignant de ruiner la carrière que j’espérais au théâtre, j’ai demandé à faire un spot dans lequel on me verrait le moins possible. » Raté. Elle est repérée par Frédéric Louf (« J’aime regarder les filles », 2011), puis tourne avec Thomas Bardinet (« Nino », 2011), Christian Duguay («Jappeloup», 2013), Danièle Thomson («Des gens qui s’embrassent », 2013), Mélanie Laurent (« Respire », 2014). Et enfin Anne Fontaine, qui lui offre son vrai «premier rôle» dans «Les innocentes» (2016). « Lou a la grâce, confie la réalisatrice. Elle est sensuelle à son insu. » Comme dans cette scène où, lors de la fête du village, enivrée, aguicheuse, elle joue les pantins désarticulés dans les bras de sa toxique belle-mère, une Isabelle Huppert tout aussi déchaînée. Lou, Blanche-Neige aux boucles d’or, range distraitement dans son sac le livre qu’elle lisait en nous attendant, « Berlin, ton danseur est la mort », une pièce de théâtre contemporaine et musicale, écrite au début des années 1980 par Enzo Cormann : « Une oeuvre étonnante, bizarre. » Puis termine son thé, jusqu’à la dernière goutte. Saine et sauve
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« Blanche comme neige », en salles le 10 avril.
« Lou de Laâge a la grâce, elle est sensuelle à son insu. »
Anne Fontaine