Amertumes sucrées
Lolita Pille donne de ses nouvelles. En 2002, une jeune fille de 20 ans livrait avec « Hell » une sorte de tableau générationnel sous inspiration américano-branchée, une touche de Bret Easton Ellis, un zeste de Beigbeder. On trouva ça mode. Deux romans de moindre écho parurent en 2004 et 2008, suivis d’un long blanc. Il s’interrompt aujourd’hui. « Eléna et les joueuses », né d’une réclusion de plusieurs années à Brest, se présente comme l’opus résurrectif d’une irrégulière. Un cri de détresse pourrait en résumer l’esprit : «J’ai 31 ans! C’est vieux!» Au long de cette demi-saison en enfer aménagé, on suit les pérégrinations d’une milléniale promenant dans un Paris très Barbès-Rochechouart ses états d’âme de revenante fauchée. Eléna est une ex-enfant prodige du tennis, mais les tie-breaks anciens le cèdent devant la chronique désenchantée d’un souvenir : celui d’une adolescence scintillante, d’un petit groupe d’amies que la vie a désormais désunies.
Eléna aime Bach et WhatsApp, elle vend ses bibelots sur eBay, se dit que l’existence est jalonnée de « pièges tendus par les anges », travaille à « défroisser ses ailes jusqu’à une métamorphose complète ». Mais la vie porte à en rabattre. Que restet-il de nos amours ? Sans être l’équivalent d’une prise de bure par d’anciennes ménades déchaînées, le roman égrène les amertumes sucrées de jeunes vieilles copines qui se retrouvent. A l’heure des passades géolocalisables, les voici livrées aux perplexités de leur présent. Un amant fait penser à « un perce-oreille ». On voit passer des individus « en descente d’ecsta » et des garçons avec « un petit zgeg ». Le contraire d’un beau ténébreux est défini comme « un laid limpide ». Les existences sont fissiles, les individus mâles apparaissent comme floutés dans l’objectif d’un appareil photo faisant le point. Groupons-nous et demain Instagram sera le genre humain ? Le ton est celui d’une déshérence ironique, avec pia-pia de filles en trilles de rossignol, jalousies de chatonnes et querelles de cirons.
Lolita Pille, que le temps éloigne de son prénom, a su saisir au fil d’une intrigue parfois burlesque et souvent découragée les traumatismes secrets légués par des adolescences sans retour. Entre les socquettes du passé et les incertains berceaux du futur, les ego se défeuillent, les horloges biologiques s’affolent. Quand les gobelets de la fête perpétuelle s’oxydent, il est toujours loisible de descendre les degrés de la boîte de nuit
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« Eléna et les joueuses », de Lolita Pille (Stock, 268 p., 19 €).
AU FIL D’UNE INTRIGUE PARFOIS BURLESQUE, LOLITA PILLE SAISIT LES TRAUMATISMES SECRETS LÉGUÉS PAR DES ADOLESCENCES SANS RETOUR.