Incroyables centenaires !
Olivier Calon a frappé à leur porte. De leurs échanges il a tiré un livre sensible qui raconte leur vision du monde.
Ils sont nés pendant la Première Guerre mondiale, ont vécu l’Exposition coloniale de 1931, l’occupation nazie, les Trente Glorieuses, les mouvements ouvriers des années 1960, la guerre d’Algérie, Mai 68… Ils ont connu les grandes mutations sociales : syndicalisme, libération des moeurs, évolution de la condition féminine, combats politiques. Tous appartiennent à la même génération et sont les centenaires d’aujourd’hui. A l’heure des gilets jaunes et d’Internet, ils sont les seuls à disposer d’un tel recul, les seuls à pouvoir répondre à la question : était-ce mieux avant ? Aucun ne remet en question les bienfaits du progrès, mais leurs propos sont « plus subtils et plus nuancés ». Tous témoignent de la cassure qu’a représentée, dans leur jeunesse,
la guerre de 1939-1945. Et tous se félicitent que l’Europe unie nous ait préservés d’un autre conflit.
Olivier Calon a entrepris la rédaction de son livre, « Les enfants du siècle », à la suite de « deux rendez-vous manqués ». Le premier avec son « intrépide grand-mère », qui s’est éteinte avant qu’il puisse l’interroger sur ses « folles équipées », cachée dans des camions de ravitaillement pendant la Grande Guerre pour rejoindre l’homme qu’elle aimait ; le second avec un ami « qui avait consacré sa vie à l’étude d’une seule et même espèce végétale » et qu’un accident priva de la parole puis de la mémoire.
C’est cette expérience personnelle qui l’a incité à entreprendre ce travail. « Au fil de ces pages, deux mille ans nous contemplent… Deux mille ans, c’est la somme des âges des protagonistes de ce livre, qui
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ont entre 96 et 104 ans. » Mais ■ oublions un instant le calcul comptable et les relations entre l’âge et la position sociale pour nous pencher sur des personnes dont la sincérité et le parler-vrai réjouissent les Français. Un sondage Ipsos-Korian réalisé en 2018 montre que, pour 80 % des Français, connaître un centenaire constitue un « réel motif de fierté ». Et que, à une écrasante majorité, ce que l’on demande en premier lieu aux personnes très âgées, c’est de nous raconter la vie qu’elles ont vécue, de nous faire profiter de leur regard sur le monde d’aujourd’hui. Face à une société en transition, « les Français voudraient savoir comment les centenaires ont eux aussi vécu les grandes mutations de leur époque : les innovations technologiques, les évolutions sociétales ». Enfin, « pouvoir partager une journée avec un centenaire apparaît comme un moyen de se rapprocher de leurs préoccupations, mais aussi de se rassurer face à l’avenir ».
Même si elles apparaissent après coup comme telles, les histoires de ce livre sont tout sauf des leçons de vie. Elles révèlent des tranches d’existence d’hommes et de femmes parmi tant d’autres. Pourtant, «aucune n’a été banale, mais quelle vie pourrait l’être quand elle couvre les dix décennies écoulées, au cours desquelles tout a changé ? s’interroge l’auteur. Tous ont conservé une capacité à s’émerveiller, à s’émouvoir ou à se révolter ». C’est sans doute là leur secret. Sans tirer de généralités, tous ont un bon capital santé, sont curieux et heureux de vivre. Les exercices de gymnastique du cerveau ne les intéressent pas. L’émission « Des chiffres et des lettres » n’a plus la cote. « C’est dans l’air », sur la 5, recueille leurs faveurs, preuve que les enfants du siècle entendent rester proches du monde tel qu’il se déroule et se construit sous leurs yeux
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« On n’a pas vu le temps passer. Pourvu que ça dure ! »