La tyrannie des identités
La tragédie ne se passe pas sur un campus américain envoûté par le politiquement correct, mais au sein même de la Sorbonne, à Paris. Des associations se réclamant de l’antiracisme ont empêché la représentation des « Suppliantes », d’Eschyle, mises en scène par l’un de nos plus pointus hellénistes, Philippe Brunet. En cause : les masques sombres et le maquillage portés par certains acteurs qu’elles assimilent au blackface américain. Voici à l’oeuvre ce que l’universitaire Laurent Dubreuil appelle
« La dictature des identités » (Gallimard). Ce nouveau fascisme nous dicte : « Vous êtes ceci, et moi cela, vous pensez donc ceci, je penserai donc cela. » Il nous assigne à ce qu’il nous somme d’être. Tout peut désormais « s’identitariser » : ethnie, couleur de peau, genre, préférences culinaires… On pourrait juger infantile ce despotisme, mais il rend déjà impossible toute vie commune. Ses thuriféraires poussent à son paroxysme la logique victimaire. N’importe qui peut être blessé par n’importe quoi, note Laurent Dubreuil. La blessure nouvelle n’est pas d’être né maudit, malheureux ou mortel ; elle consiste dans la méchanceté infligée par les autres…
Chacun est ainsi clôturé dans sa « tour de chagrins », exilé à l’intérieur de lui-même. Si le mal-être ressenti par un individu peut passer pour une atteinte à une partie du corps démocratique, comment le protéger ? Par la censure, pardi. La liberté d’expression risque de blesser ? Restreignons-la ! Limitons ce qui peut être dit en fonction de qui le dit. Cette intimidation identitaire porte ses fruits. Les « porte-parole énervés de la souffrance catégorielle » développent des réflexes d’autocensure dans toute la société. Les associations qui ont sabordé « Les suppliantes » ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Elles souhaitent imposer le règne de l’entre-soi. Leur angoisse ? Qu’un individu ose outrepasser les limites de son assignation. C’est contre ce déterminisme effrayant qu’il faut croiser le fer avec la force de Zeus
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