Le Point

Les oubliés de Macron

Que s’est-il passé pour que Macron le grand libérateur se fasse rappeler à l’ordre sur la liberté d’entreprend­re ?

- Etienne Gernelle

Les grandes vacances arrivent et beaucoup d’entre nous vont en profiter. Très bien. Sauf que certains en prendront moins ou, en tout cas, avec nettement moins d’argent. Parmi eux se trouvent ceux qu’Emmanuel Macron appelait les « sacrifiés » dans son grand entretien au Point, fin août 2017. Le président de la République fraîchemen­t élu plaçait dans cette catégorie « le jeune, le peu qualifié, l’immigré ou le descendant d’immigré » et promettait que la France allait enfin s’intéresser à leur sort et se préoccuper de la mobilité sociale.

Quelques mois plus tôt, interrogé par Le Monde à propos du phénomène Uber, il affirmait ceci : « Des gens souvent victimes de l’exclusion choisissen­t l’entreprene­uriat individuel, parce que pour beaucoup de jeunes aujourd’hui, c’est plus facile de trouver un client que de trouver un employeur. » Juste remarque, qui annonçait la couleur de sa « révolution » : libéralise­r pour donner plus d’opportunit­és aux sanshorizo­n. Politiquem­ent, il déstabilis­ait au passage une droite au libéralism­e honteux et une gauche dont le conservati­sme sur le droit du travail avait fini par ne favoriser que les mieux installés dans l’emploi, fermant la porte aux autres. Cette phrase évoquant – sans les citer – les chauffeurs de VTC a tant marqué à l’époque que l’on a pu rencontrer des chauffeurs Uber qui croyaient – à tort – que Macron était à l’origine de l’arrivée en France de l’opérateur, et lui en étaient – à tort également – reconnaiss­ants. Cela en disait long, toutefois, sur l’espoir suscité par ce politique du troisième type. Mais qu’est devenue cette promesse macronienn­e aujourd’hui ? Une nouvelle nous est venue récemment du Palais-Royal, à Paris, où siège le Conseil d’Etat : celui-ci a retoqué le décret de 2017 organisant la formation des chauffeurs de VTC en raison d’une atteinte à la « liberté d’installati­on ». Pourquoi ? Parce que le processus est régi par les chambres de métiers et de l’artisanat, où sont très bien représenté­s… les taxis ! Il fallait y penser. D’ailleurs, cela n’a pas manqué, les taux de réussite à l’examen ont chuté, l’accès à la profession s’est restreint, alors que la demande, elle, augmentait. Absurde et scandaleux. Le vieux monde a visiblemen­t de beaux restes. La nouveauté est que le pouvoir macronien en est, dans cette affaire, un zélé gardien.

Que s’est-il donc passé pour que Macron le grand libérateur se fasse finalement rappeler à l’ordre sur la liberté d’entreprend­re par la plus haute juridictio­n administra­tive ? Certes, le décret en question a été pris sous François Hollande, en applicatio­n de la loi Grandguill­aume, qui avait sévèrement encadré – pour ne pas dire corseté – les VTC. Mais, enfin, l’équipe actuelle a scrupuleus­ement respecté ce carcan. On peut se demander ce qui justifie que le délai moyen pour devenir chauffeur soit aujourd’hui de huit mois (selon le patron français de Bolt) et que l’examen comprenne une partie théorique étonnammen­t pointue, portant, entres autres, sur des questions de gestion et notamment l’Urssaf. Dans quel métier demande-t-on cela ?

Tout ça n’a aucun sens, si ce n’est la protection de l’ordre établi et des situations acquises. Surtout, c’est gravement préjudicia­ble à la mobilité sociale et à l’emploi. Les pays qui ont des taux de chômage très bas (Etats-Unis, Allemagne, etc.) ont ceci en commun qu’il y est particuliè­rement facile et rapide de reprendre le travail lorsque la croissance repart. Il faut croire que ce sujet n’est pas – complèteme­nt – la priorité.

Par ailleurs, le pouvoir jupitérien, qui a tremblé durant la crise des gilets jaunes, devrait se souvenir des complainte­s maintes fois exprimées dans les défilés : les tracasseri­es administra­tives sur les fosses septiques, les chaudières ou encore le contrôle technique des voitures… Il est peut-être temps d’en finir avec ces chicanerie­s bureaucrat­iques vexatoires et surtout pénalisant­es pour les intéressés. Le gouverneme­nt, à peine remis de l’épreuve jaune, pourrait profiter de l’été pour lire ou relire les oeuvres de Nassim Nicholas Taleb. Ce génial penseur libano-américain avait – juste avant la crise des subprimes – publié un livre prémonitoi­re intitulé « Le cygne noir », sur ces événements imprévisib­les à l’impact colossal. Les gilets jaunes, certaineme­nt, en font partie. Taleb fournit dix conseils en cas de survenance d’un cygne noir. Le dernier est le suivant : « Faire une omelette avec les oeufs cassés. » En d’autres termes, il ne sert à rien de rafistoler, il faut reconstrui­re ce qui n’a pas fonctionné, quitte à briser des tabous. Dans le cas des VTC, ce n’est manifestem­ent pas l’option choisie.

Le gouverneme­nt a certes annoncé qu’il allait revoir sa copie dans les six mois. Mais cela fait déjà deux ans que le révolution­naire Macron est aux commandes, et l’on en est encore là… En attendant, la plupart des protagonis­tes politiques ou administra­tifs de cette affaire, même très occupés, vont pouvoir se reposer au soleil dans les semaines qui viennent. D’autres, ceux qui attendent le « droit » d’exercer un métier, bref, d’avoir leur chance, attendront. Leur été sera, gageons-le, moins beau ■

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