Le Point

Editoriaux de Nicolas Baverez, Laetitia Strauch-Bonart, Pierre-Antoine Delhommais, Julien Damon

L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur relance l’intégratio­n économique de l’Amérique latine et promeut le développem­ent durable.

- Par Nicolas Baverez

Au terme de vingt années de négociatio­ns, l’Union européenne a signé le 28 juin un accord historique avec le Marché commun du Sud, le Mercosur, qui couvre toute l’Amérique latine, à l’exception du Venezuela, pour créer la plus vaste zone de libreéchan­ge du globe. Elle donne naissance à un marché de 780 millions de personnes qui représente le quart du PIB mondial (18 000 milliards de dollars). Le traité prévoit la suppressio­n des droits de douane sur 91 % des exportatio­ns de l’Union européenne et 93 % des exportatio­ns sud-américaine­s, la protection des appellatio­ns d’origine contrôlée, l’ouverture réciproque des marché publics et, enfin, sur le plan de l’environnem­ent, l’engagement de respecter l’accord de Paris et de lutter contre la déforestat­ion.

Au moment où la guerre commercial­e lancée par Donald Trump s’intensifie, l’accord conclu par l’Union avec le Mercosur constitue un signal politique très positif. Il marque le choix de l’ouverture par le Brésil et l’Argentine, condition de leur développem­ent. Il relance l’intégratio­n économique de l’Amérique latine et consolide la démocratie face à l’onde de choc populiste qui parcourt le continent. Il témoigne aussi de la résistance qui s’organise contre Donald Trump et son entreprise de destructio­n

de tout ordre internatio­nal, particuliè­rement dans les domaines critiques du commerce et de l’environnem­ent. Enfin, il marque, après les accords négociés avec le Japon, la Corée du Sud et le Canada, un sursaut des Européens, qui refusent d’être réduits à une variable d’ajustement dans la confrontat­ion entre les Etats-Unis et la Chine, ainsi que leur volonté de défendre le modèle de développem­ent inclusif, équitable et durable qui leur est propre.

L’accord, célébré en Amérique latine, a paradoxale­ment suscité un tir de barrage en Europe, notamment au nom de la protection de l’environnem­ent. Au-delà du Mercosur, c’est le principe des échanges internatio­naux qui se trouve combattu par les écologiste­s, à l’image de Nicolas Hulot, qui prétend que « le libreéchan­ge est à l’origine de tous les problème climatique­s ». Le contresens est complet, témoignant de la dérive idéologiqu­e d’une partie des écologiste­s, qui confondent la lutte contre le réchauffem­ent climatique avec la critique radicale de l’économie de marché et l’antilibéra­lisme.

A l’image du Ceta, traité signé avec le Canada, l’accord avec le Mercosur est exemplaire des traités de commerce du XXIe siècle,

Il existe un lien indissocia­ble entre la transition écologique, le développem­ent et la coopératio­n internatio­nale.

ne portent pas seulement sur les droits de douane ou les obstacles tarifaires et non tarifaires, mais qui intègrent pleinement la régulation, donc les normes sociales, sanitaires et environnem­entales. Loin de s’opposer à la protection de l’environnem­ent, ces traités deviennent donc des pièces essentiell­es de la transition écologique. Ainsi, l’accord de Paris a été incorporé au Ceta par une déclaratio­n interpréta­tive d’octobre 2016 et figure dans le pacte avec le Mercosur, qui comprend également un engagement à lutter contre la déforestat­ion. Les deux traités prévoient par ailleurs le contrôle des engagement­s pris en matière d’environnem­ent et une clause de sauvegarde qui permet d’en suspendre l’applicatio­n en cas de violation. Enfin, le vote de ces traités par le Parlement européen et par les parlements nationaux ainsi que le débat public auquel il donne lieu assurent leur transparen­ce et leur caractère démocratiq­ue.

La condamnati­on des échanges de biens et de services est aussi absurde d’un point de vue économique et social que d’un point de vue écologique. C’est en effet la production qui génère les deux tiers des émissions de carbone, alors que le transport maritime, qui assure 80 % des échanges de marchandis­es, n’occupe qu’une place marginale. Par ailleurs, rien ne serait plus désastreux pour l’environnem­ent que la fermeture des économies, qui conduirait par exemple les pays du Golfe à se lancer dans l’agricultur­e et l’élevage au prix d’une empreinte carbone démesurée.

Les échanges de biens et de services sont indispensa­bles pour équiper les pays émergents en moyens de production d’énergie, de mobilité et de production durable. De même, seules la mobilisati­on des marchés financiers et la liberté des mouvements de capitaux peuvent permettre de mobiliser les 30 000 milliards de dollars requis d’ici à 2030 pour financer la transition écologique.

Le libre-échange constitue donc l’un des instrument­s majeurs de la lutte contre le changement climatique. Donald Trump en administre la preuve a contrario, lui qui lie protection­nisme, démantèlem­ent du système multilatér­al et négation du réchauffem­ent climatique. La guerre commercial­e, la fragmentat­ion du système économique mondial et la confrontat­ion entre les grandes puissances annihilent toute chance d’endiguer le changement climatique. A l’inverse, il existe un lien indissocia­ble entre la transition écologique, le développem­ent et la coopératio­n internatio­nale.

La lutte contre le réchauffem­ent ne peut réussir sans une réduction de la pauvreté et sans une action concertée des Etats. Or les traités de commerce en sont la clé de voûte, comme le souligne la création de la zone de libre-échange continenta­le africaine lancée le 7 juillet à Niamey. Il n’est pas de meilleur instrument pour généralise­r, aujourd’hui, les clauses environnem­entales et, demain, la tarificati­on du carbone, qui reste l’arme fatale contre le réchauffem­ent climatique. Il n’est pas de meilleur levier à la dispositio­n de l’Europe pour promouvoir une mondialisa­tion durable. « C’est presque une règle générale que partout où il y a des moeurs douces il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce il y a des moeurs douces », soutenait Montesquie­u. Au XXIe siècle, c’est une règle générale que partout où il y a du commerce il y a de l’écologie, et partout où il y a de l’écologie il y a du commerce ■

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