Bellamy : inventaire de la droite
Le malheureux candidat LR aux européennes a identifié les vrais responsables de son échec.
L’omniprésence de Laurent Wauquiez dans les meetings, sur les tracts de campagne, lors du débat télévisé de France 2 – et ce téléphone qu’il brandissait au début des réunions publiques, montrant qu’il chronométrait chaque prise de parole du novice… Ces interférences, ce contrôle obsessionnel, tout est oublié. Près de deux mois après la défaite de la droite aux élections européennes et ses huit petits pour cent, François-Xavier Bellamy se confie au Point. Sans rancune ni amertume, le candidat des Républicains revient sur la drôle de campagne. Il affirme l’avoir vécue sereinement. C’est bien le seul. Point de discorde, peu d’incompréhensions, à peine quelques maladresses, le politique philosophe retient de cette aventure la distorsion du réel. Il met en garde contre la fiction des promesses de ses adversaires et la manipulation de ses détracteurs, affirmant que sa foi catholique expliquait ses positions sur Vincent Lambert comme ses déclarations sur l’IVG. François-Xavier Bellamy est-il échaudé ? Il n’en laisse rien paraître, mais sa prudence, son refus de se projeter, y compris quand nous le questionnons sur l’avenir de la droite, prouvent qu’il est encore un peu déconcerté.
« Un discrédit profond pèse sur la droite. »
François-Xavier Bellamy
Le Point: Comment expliquezvous votre échec aux élections européennes?
François-Xavier Bellamy : Je vois deux grandes raisons à cet échec. D’abord, la très grande efficacité du scénario installé par Emmanuel Macron, qui a transformé cette élection en un référendum, totalement éloigné des enjeux réels du scrutin européen. Les Français se sont mobilisés en allant voter pour ou contre Emmanuel Macron, qui a installé un duel avec Marine Le Pen. En leur expliquant que la seule réelle alternative à la politique de son gouvernement était le Rassemblement national, le président a contribué à augmenter l’électorat du RN. Nous n’avons pas su déjouer ce piège, bien que nous l’ayons compris très tôt et par conséquent, pour une majorité de Français, la campagne s’est résumée à ce match.
La seconde raison est le discrédit profond qui pèse sur la droite. Nous devons inscrire ce résultat dans une perspective de plus grande ampleur. Je ne dis pas cela pour m’exonérer du résultat, bien sûr: nous aurions pu faire mieux, reprendre quelques points. Mais, quoi qu’il en soit, la place de la droite en France n’est pas autour de 8 %. Cela pose la question de la refondation de cette famille politique.
Pouvez-vous définir ce discrédit?
Il y a, de manière générale, une défiance envers les partis traditionnels, un scepticisme alimenté par beaucoup de déceptions passées. C’est le poids des défiances accumulées qui se sont cristallisées dans cette élection. Pendant trop longtemps, la droite n’a pas su dire qui elle était et ce qu’elle avait à proposer pour le monde de demain. Ce résultat n’est pas
seulement un échec, il est d’abord une obligation. Je ne crois pas une seconde qu’un duel entre progressistes et populistes doive désormais rythmer la vie démocratique. Il faut s’attacher à reconstruire une alternative.
Après les résultats, vous avez parlé d’une «campagne sabotée de l’intérieur», selon «Valeurs actuelles»…
Non, j’ai démenti cette formule. Bien sûr, avec le recul, nous aurions pu faire mieux ou ajuster certains choix. Mais nous avons réellement vécu une très belle campagne, et ceux qui l’ont observée pourraient en témoigner. Si cela n’a pas apporté le résultat espéré, c’est en partie lié à la manière dont les médias ont informé les Français. La presse écrite a suivi la campagne de près, mais les chaînes de télévision qui informent le grand public n’ont pas retransmis un seul meeting, pas même une minute, et ce alors même qu’Emmanuel Macron avait totalisé des dizaines d’heures de présence télévisuelle dans les semaines précédentes. Beaucoup de gens sont allés voter sans connaître les enjeux de la campagne, en n’ayant vu qu’ Emmanuel Macron annoncer son combat contre Marine Le Pen ou mettre en scène son action écologique. Cela nous pose à tous une question démocratique : comment informe-t-on les Français pour qu’ils puissent ensuite faire un vrai choix ?
La réalité, c’est aussi que tout n’a pas été rose dans votre parti. Il ne s’est pas rangé derrière vous, uni dans la concorde et la liesse. Les relations ont été difficiles, non?
Petit à petit, la confiance s’est nouée, y compris avec beaucoup de ceux qui étaient sceptiques lors de mon investiture. Cette famille politique a été unie comme rarement.
Même quand Laurent Wauquiez prend votre place lors du débat télévisé de France 2?
C’était son choix, et il avait des raisons pour cela. Il y a toujours des petites incompréhensions bien sûr, mais elles ont été rares, alors que Laurent Wauquiez et moi nous nous connaissions peu. Les campagnes peuvent être des moments de grande tension, de conflits, mais cela n’a pas été le cas. J’ai été profondément touché du soutien de beaucoup d’élus, qui ne me connaissaient pourtant pas auparavant. Lors de notre meeting à Paris, il ne manquait personne ; les parlementaires étaient presque tous présents. Même après ce résultat décevant, nous avons gardé avec beaucoup d’entre eux des relations fortes.
Dans votre camp, tout le monde rapporte vos divergences avec Laurent Wauquiez. On dit qu’il vous a volé la vedette et mis des bâtons dans les roues.
Laurent Wauquiez et moi avons travaillé en bonne intelligence. Dans une campagne, on fait des choix qui ne sont pas toujours évidents. On peut chercher des raisons conjoncturelles à cet échec, mais il n’est pas d’abord lié à la campagne. En trois mois, nous n’avons pas réussi à reconstruire la confiance, à retisser le lien avec les Français, et j’en prends toute ma part de responsabilité. Nous y avons cru pourtant, et la déception est à la hauteur de notre espoir. Mais on ne pouvait pas reconquérir tout ce terrain perdu. Nous avons vécu une vraie dynamique, une grande ferveur, quelque chose s’est passé, mais cela n’a pas suffi à déjouer le piège installé par Emmanuel Macron.
Alors quelles étaient, en fin de campagne, vos relations avec Laurent Wauquiez?
Vraiment, ce serait trop facile de ma part de vous dire que c’est la faute de quelqu’un d’autre. Il ne faut pas réécrire l’histoire.
N’avez-vous pas dit qu’il mentait?
Je n’ai jamais dit ça, je n’ai pas pu le dire, cela n’aurait aucun sens. Ce qui est certain, c’est que Laurent Wauquiez doit faire avec le soupçon d’insincérité qui pèse sur lui, et je l’ai toujours dit pour m’en étonner. Il est très singulier que ce reproche se cristallise sur lui.
Donc, il a été avec vous authentique, honnête, sincère ?
La sincérité en politique est une question assez insoluble: ce qui compte, ce sont les actes. Laurent Wauquiez est venu me chercher, et je puis témoigner qu’il m’a ap
« Laurent Wauquiez doit faire avec le soupçon d’insincérité qui pèse sur lui. »
« Expliquer qu’une dimension religieuse serait en cause, c’est de la fiction pure. »
porté sa confiance jusqu’au bout.
En vous chronométrant quand vous faisiez des discours?
Il y a certainement eu des maladresses, comme il y en a eu de ma part aussi, et des incompréhensions. Dans une campagne, tout va très vite, on avait tous la pression. Je n’éprouve aucun ressentiment.
Avez-vous été associé à la constitution de votre liste?
Non, mais je ne m’y attendais pas. Je n’avais pas cette prétention. Ce n’était pas la liste de François-Xavier Bellamy, c’était la liste des Républicains.
Vous a-t-elle empêché?
Les choix n’étaient peut-être pas totalement équilibrés, notamment dans la répartition géographique. Mais, là encore, ce serait absurde d’y voir la première cause de l’échec.
Par rapport à l’audace qu’il y avait à vous désigner tête de liste, n’était-ce pas un message contradictoire de vous associer Nadine Morano ou Brice Hortefeux?
Le slogan d’un nouveau monde, qui se prétend par définition meilleur, est absurde, c’est la complémentarité qui compte. J’ai eu une grande chance dans cette campagne, celle d’être investi avec Agnès Evren et Arnaud Danjean. Une solide complicité s’est créée entre nous, sans doute renforcée par l’épreuve que nous avons traversée. L’expérience, la connaissance des rouages et la solidité d’Arnaud sont un appui immense depuis le début de la campagne.
Quel est l’état de vos relations avec Geoffroy Didier, votre directeur de campagne?
Nous avons eu un échange franc et simple. Je lui ai dit que j’avais regretté qu’il évoque dans les médias des réserves ou des reproches qu’il ne m’avait jamais communiqués. Si la campagne avait été marquée par des tensions sur la ligne à suivre, j’aurais compris que tout cela apparaisse après coup. Mais à aucun moment nous n’avions eu de désaccords sur la stratégie menée.
Donc il n’a pas été très élégant.
C’est vrai que j’ai regretté cet épisode. Maintenant nous sommes élus ensemble, il faut que nous travaillions ensemble pour être utiles aux Français, et je ferai tout pour que ça se passe bien.
Pensez-vous avoir été mal compris sur l’IVG?
Je n’ai jamais voulu mettre ces sujets en avant. Il y a quelque chose d’absurde dans la vie politique : c’était une élection européenne, nous avons tout fait pour parler d’Europe, et il a fallu sans cesse revenir sur cette question. Ce que j’avais eu l’occasion d’exprimer longtemps auparavant n’avait rien de caricatural. J’enseigne la philosophie : ce qui compte pour moi dans la vie intellectuelle, c’est l’expression de la raison, qui doit permettre le dialogue, y compris dans nos désaccords. Expliquer aujourd’hui qu’une dimension religieuse serait en cause, c’est de la fiction pure, cela n’a aucun sens.
C’est la même réponse pour Vincent Lambert?
En effet : la grande question qui nous est posée à tous est celle de la dépendance, de la place que notre société fait à la vie malade, souffrante… En ayant simplement rappelé cela, j’ai été reconduit à la catégorie du catholique radicalisé. Mais sommes-nous devenus à ce point incapables de parler ensemble ? La question de la dépendance et du rapport de la vie à la technique est un immense problème dont dépend notre avenir, et qui nous concerne tous. Si on ne peut plus parler d’un tel enjeu de façon rationnelle, alors autant arrêter tout de suite de faire de la politique. Je continuerai à me battre pour que le piège du communautarisme n’étouffe pas le débat démocratique. Et à travailler pour que la droite retrouve une cohérence et une clarté sur ces sujets : notre famille politique n’est pas tombée à 8 % à cause du débat sur Vincent Lambert. Faire croire cela serait une forme de paresse intellectuelle, le refus de reconnaître que la crise est bien plus profonde et que, par conséquent, le travail à faire est de très grande ampleur.
Comment pensez-vous que ce sillon conservateur que vous incarnez puisse exister?
Pour commencer, il nous manque un vocabulaire, une sémantique. J’ai toujours considéré que le mot « conservatisme » n’était pas pertinent pour décrire les défis qui s’annoncent et la réponse qu’il faut leur apporter. Le mot conservatisme désigne une culture politique qui n’a jamais été acclimatée en France, c’est pourquoi il ne peut qu’être mal compris.
Quel(s) mot(s) alors?
Pour moi, l’essentiel est moins de conserver que de transmettre, moins de figer l’état du monde que d’inventer des solutions pour préserver les grands équilibres de la nature et de la culture. Cette préoccupation a un avenir, mais il nous faut les mots pour la dire. En posant cette question, je ne prétends pas avoir la réponse : nous avons du travail !
Qu’avez-vous appris de cette campagne européenne, à la fois sur vous et sur la politique?
J’ai touché du doigt la réalité de la crise que traverse la France ; c’est une expérience marquante d’écouter les Français pendant des mois et de rencontrer partout cette même inquiétude profonde. Beaucoup ont besoin de retrouver un espoir que la configuration actuelle du débat public ne permet pas. La politique est devenue seulement un lieu de confrontation, de tensions, alors que son rôle est au contraire de faire de nos désaccords une occasion de conversation pour mûrir la décision la plus juste possible. J’ai essayé d’être fidèle à l’idée que je me fais du débat, de ce qu’il exige de clarté, de cohérence et de respect. Et, malgré ce contexte difficile, j’ai été profondément marqué par la belle ferveur que nous avons rencontrée. Grâce à l’équipe qui m’entourait, cette campagne a
vraiment suscité une attente et un enthousiasme.
Et sur vous?
C’est vrai, c’est aussi une expérience intense pour se connaître… J’ai appris qu’on pouvait dormir trois heures par nuit pendant trois mois et rester vivant, j’ai appris qu’il était possible de faire trois meetings dans la même journée. Nous ne nous serons pas ménagés !
Vous avez aussi appris que la nuance avait disparu du débat public, non?
Je le savais déjà. Mais c’est aussi un choix : on n’est jamais obligé de simplifier jusqu’à l’absurde, de caricaturer ses adversaires ou de penser en slogans. Le caractère totalement artificiel que la vie politique a pris me préoccupe, et je n’ai pas l’intention d’en être le complice. Evidemment, le score a été éprouvant, mais une chose me réconforte : je peux regarder cette campagne sans en avoir honte. Nous avons pris les Français au sérieux. Nous n’avons pas fondé notre campagne sur des fictions. Ce n’est pas forcément le cas de nos compétiteurs. Les candidats du RN racontaient qu’ils voulaient désormais rester dans l’Europe, car ils allaient former ce grand groupe qui changerait tout ; pourtant, ils sont toujours aussi isolés et discrédités sur la scène européenne, ils le savaient déjà, et il a suffi de quinze jours pour que cette grande promesse s’évanouisse. Les candidats LREM ont également fait croire qu’ils allaient changer l’Europe à eux tout seuls, mais, comme on l’a vu, cette arrogance ne pouvait pas conduire à beaucoup d’efficacité… Les fictions d’un jour préparent les déceptions du lendemain. Il y a des succès électoraux irresponsables, et nous en avons trop vécu. Quant à nous, pour reprendre les mots de Bernanos, nous avons vécu une grande défaite, mais nous pouvons la regarder d’un regard innocent. Nous avons parlé des enjeux essentiels et des moyens humbles mais réels d’avancer. Aujourd’hui, même en étant moins nombreux qu’espéré, nous allons travailler sans relâche pour tenir les engagements que nous avons pris devant les Français