Les bienfaits des graines
Santé. Arme absolue contre l’obésité, le mauvais cholestérol, les maladies cardio-vasculaires… On prête aux graines de nombreuses vertus. Le Point sépare le bon grain de l’ivraie.
La scène se déroule dans un magasin bio de la rue Mouffetard dans le 5e arrondissement de Paris, mais elle aurait très bien pu se passer n’importe où en France. Un homme à la cinquantaine élégante dévalise les distributeurs de graines en vrac. Dans des pochettes en papier, il fait tomber des graines de chia – prononcez «tchia» – et de lin, un mélange d’amandes et de noix. Il emballe encore une grosse poignée de graines de tournesol. Pourtant, avec sa mine de bon vivant, on l’aurait davantage imaginé en train d’acheter une côte de boeuf chez le boucher. Il nous répond volontiers : « Ça, c’était autrefois. Aujourd’hui, mon épouse me condamne à picorer des graines comme un oiseau ! C’est, paraît-il, mieux pour mon cholestérol et ma prostate… » conclut-il, avant d’éclater de rire.
Comme ce Parisien, ils sont des millions de Français à s’inquiéter pour leur alimentation, à privilégier une nourriture saine, plus naturelle. A consommer moins de viande et plus d’aliments contenant de bonnes vitamines, de fibres et d’oméga 3. Ils sont les victimes consentantes de ce que le marketing a eu tôt fait de baptiser healthy food ou encore superfood. En français : les superaliments.
Les graines ont été les premières à surfer sur cette nouvelle tendance voilà une dizaine d’années. Ah ! les graines de chia, de lin, de tournesol, de pavot et même de chanvre : du concentré de vie ! L’arme absolue contre la constipation, l’obésité, le mauvais cholestérol, les maladies cardio-vasculaires. « Effectivement, les graines font augmenter la durée de vie. Ce sont d’excellents aliments, sources de protéines et de lipides. Il faudrait en consommer au moins 30 grammes par jour », précise le nutritionniste parisien Jérôme Bernard-Pellet. Une recommandation inutile pour Clément, 39 ans, qui casse déjà la graine depuis une dizaine d’années. « Je mange environ 100 grammes de graines par jour. Des graines de tournesol, de courge, de lin, de nigelle. J’en ai d’abord utilisé certaines dans un but thérapeutique sur recommandation d’un naturopathe. Par la suite, j’ai gardé l’habitude d’en manger. »
Destinées à assurer les besoins de la future plante, les graines sont effectivement très énergétiques et nutritives. «Manger davantage de graines et même de baies, c’est une bonne chose, admet le nutritionniste Anthony Berthou, conseiller de plusieurs équipes de France et olympiques, mais elles sont souvent consommées en trop faible quantité pour être bénéfiques. Certaines ne sont pas bio et peuvent contenir des pesticides. Personnellement, je recommande surtout les graines oléagineuses comme les noix, les noisettes et les amandes. »
Recommandations. Justement, un petit cours en « granologie» se révèle nécessaire. Les graines peuvent être classées en trois catégories. D’abord, les graines oléagineuses, qui contiennent au moins 45% de lipides, telles que les noix, les noisettes, les amandes, les graines de lin, de sésame, de pavot, de chanvre… Ensuite, les graines de protéagineux, riches en protéines, telles les légumineuses comme le pois chiche, la fève, la lentille, le soja… Enfin, les graines amylacées, apportant surtout des glucides, représentées par toutes les céréales, entre autres le riz et le quinoa. Chacune, par ailleurs, fournissant sa petite touche personnelle en fonction des vitamines, des acides aminés essentiels, des fibres, des oméga 3 et des nutriments qu’elles renferment.
Le quatrième Programme national nutrition santé du ministère de la Santé vient de mettre à jour ses recommandations. Surprise, outre les habituels fruits et légumes, il recommande d’absorber quotidiennement une petite poignée de fruits à coque non salés, et, deux fois par semaine, des légumes secs (lentilles, haricots, pois chiches). Laurent Chevallier, médecin consultant en nutrition attaché au CHU de Montpellier, a donc sélectionné avec nous les quinze graines aux vertus intéressantes pour la santé (voir notre guide p. 50).
L’argument le plus souvent mis en avant pour promouvoir la consommation de graines est la teneur en oméga 3. Certaines en possèdent en grande quantité. C’est plutôt une bonne nouvelle pour la santé, car ils ralentissent l’oxydation qui rouille notre organisme. Compléter son alimentation avec du chia ou encore des graines oléagineuses est donc une excellente initiative. Seulement, les oméga 3 produits par les végétaux, l’acide alpha-linolénique (Ala), doivent subir une transformation dans notre organisme pour devenir efficaces sous forme d’acide
« Il faut manger pas mal de graines de courge pour observer un effet préventif en matière de prostate. » Ysabelle Levasseur, diététicienne
eicosapentaénoïque (Epa) et l’acide docosahexaénoïque (DHA). Or cette conversion se fait parfois très mal (lire encadré ci-dessous). Certains individus pourraient dévorer 1 kilo de chia par jour sans en tirer aucun bénéfice. Voilà pourquoi les nutritionnistes préconisent de manger plutôt des poissons gras, qui contiennent directement les fameux Epa et DHA. « Pas du thon ou du saumon, trop souvent truffés de contaminants, mais des sardines, des maquereaux et des harengs », conseille Anthony Berthou.
L’autre grand atout des graines, c’est la présence de fibres qui améliorent le transit intestinal tout en augmentant le sentiment de satiété. C’est le cas du chia et du lin, par exemple. Mais attention à ne pas s’en goinfrer du jour au lendemain, car, alors, on n’obtiendrait pas du tout les bénéfices escomptés : « Il faut y aller progressivement, sous peine de se retrouver avec des diarrhées et des ballonnements », prévient Adeline Hage, diététicienne à Lille. De plus, nombre de graines sont enveloppées d’une carapace dure, inassimilable, qui ressort entière de l’organisme sans lui apporter le moindre bienfait. C’est une astuce développée par les plantes pour que les animaux frugivores les avalent tout rond et disséminent très loin leur descendance. Alors, avant de les consommer, il faut prendre soin de les moudre ou de les faire tremper. « La mastication des graines est aussi importante que pour les autres aliments, car la digestion commence dans la bouche, où une partie des nutriments sont absorbés », poursuit Adeline Hage.
De nombreuses graines riches en glucides constituent des armes fatales contre le gluten. Les véritables intolérants au gluten – ou tous ceux qui croient l’être – trouveront leur bonheur dans le quinoa, l’amarante ou encore le pois chiche. Sans compter, bien évidemment, les céréales comme le riz et le maïs, dont on consomme également des graines.
Boudé à l’origine par les conquistadors, le quinoa prend de nos jours une belle revanche. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes de conscience aux mangeurs de graines préoccupés par le réchauffement climatique. En effet, comme la plupart des graines exotiques, le quinoa présente un bilan carbone déplorable puisqu’il parcourt de longs trajets en avion ou en bateau. D’un point de vue moral, ce n’est pas mieux : la forte demande occidentale provoque une hausse des prix sur les marchés locaux.
Les magazines et le marketing ont beau jeu d’attirer l’attention sur la richesse des graines, parées de mille vertus. C’est parfois vrai, mais souvent exagéré. Il faut savoir raison garder ; tout est une question de dosage et d’assimilation. « Il faut manger pas mal de graines de courge pour observer un effet préventif en matière de prostate », note la diététicienne-nutritionniste Ysabelle Levasseur, installée à Cagnes-sur-Mer. Beaucoup d’études confirmant l’efficacité des superaliments doivent, elles aussi, être prises avec des pincettes. Particulièrement celles qu’on a menées sur des animaux de laboratoire nourris dans des conditions bien éloignées des nôtres. « Le consommateur ne doit pas être trop crédule face aux allégations nutrition et/ou santé. Il est nécessaire qu’il prenne du recul par rapport à tous les “super pouvoirs” des superalimentsqui arrivent sur nos marchés ou dans nos assiettes », poursuit Ysabelle Levasseur. Ainsi, le chia est souvent doté d’un pouvoir amaigrissant, car il contient des fibres gonflantes qui induiraient un sentiment de satiété. Plusieurs études sont formelles : même si cette graine peut réduire l’appétit, elle ne conduit à aucune perte de poids. Ou alors infime. En revanche, d’autres études confirment l’efficacité de la graine de lin en la matière.
Crises de diverticules. Se transformer en granivore n’est pas toujours sans conséquences, comme le relève Ysabelle Levasseur : « Les gastro-entérologues se plaignent actuellement d’une recrudescence de crises de diverticules provoquées par l’accumulation de graines dans les replis du côlon. Voilà pourquoi j’invite les gens à se renseigner d’abord, auprès d’un diététicien-nutritionniste expert, sur la composition des aliments, sur le rôle des vitamines ainsi que sur les besoins quotidiens.» Et Adeline Hage de conclure : « L’alimentation est notre premier médicament. Cependant, il n’existe pas de superaliments avec des vertus magiques. Les graines sont intéressantes, car nous allons avoir beaucoup de vitamines, de fibres et de protéines végétales sous un faible volume. A l’échelle de la population française, on devrait certainement en consommer davantage. » Dans sa pratique professionnelle, Adeline Hage incite à la consommation de noix, de noisettes, d’amandes. Pour les graines de chia, de lin, de courge ou encore de chanvre, elle recommande d’en parsemer les desserts et les salades de l’équivalent d’une cuillerée à soupe. « Cela suffit. »