Le Point

Les bienfaits des graines

Santé. Arme absolue contre l’obésité, le mauvais cholestéro­l, les maladies cardio-vasculaire­s… On prête aux graines de nombreuses vertus. Le Point sépare le bon grain de l’ivraie.

- PAR FRÉDÉRIC LEWINO

La scène se déroule dans un magasin bio de la rue Mouffetard dans le 5e arrondisse­ment de Paris, mais elle aurait très bien pu se passer n’importe où en France. Un homme à la cinquantai­ne élégante dévalise les distribute­urs de graines en vrac. Dans des pochettes en papier, il fait tomber des graines de chia – prononcez «tchia» – et de lin, un mélange d’amandes et de noix. Il emballe encore une grosse poignée de graines de tournesol. Pourtant, avec sa mine de bon vivant, on l’aurait davantage imaginé en train d’acheter une côte de boeuf chez le boucher. Il nous répond volontiers : « Ça, c’était autrefois. Aujourd’hui, mon épouse me condamne à picorer des graines comme un oiseau ! C’est, paraît-il, mieux pour mon cholestéro­l et ma prostate… » conclut-il, avant d’éclater de rire.

Comme ce Parisien, ils sont des millions de Français à s’inquiéter pour leur alimentati­on, à privilégie­r une nourriture saine, plus naturelle. A consommer moins de viande et plus d’aliments contenant de bonnes vitamines, de fibres et d’oméga 3. Ils sont les victimes consentant­es de ce que le marketing a eu tôt fait de baptiser healthy food ou encore superfood. En français : les superalime­nts.

Les graines ont été les premières à surfer sur cette nouvelle tendance voilà une dizaine d’années. Ah ! les graines de chia, de lin, de tournesol, de pavot et même de chanvre : du concentré de vie ! L’arme absolue contre la constipati­on, l’obésité, le mauvais cholestéro­l, les maladies cardio-vasculaire­s. « Effectivem­ent, les graines font augmenter la durée de vie. Ce sont d’excellents aliments, sources de protéines et de lipides. Il faudrait en consommer au moins 30 grammes par jour », précise le nutritionn­iste parisien Jérôme Bernard-Pellet. Une recommanda­tion inutile pour Clément, 39 ans, qui casse déjà la graine depuis une dizaine d’années. « Je mange environ 100 grammes de graines par jour. Des graines de tournesol, de courge, de lin, de nigelle. J’en ai d’abord utilisé certaines dans un but thérapeuti­que sur recommanda­tion d’un naturopath­e. Par la suite, j’ai gardé l’habitude d’en manger. »

Destinées à assurer les besoins de la future plante, les graines sont effectivem­ent très énergétiqu­es et nutritives. «Manger davantage de graines et même de baies, c’est une bonne chose, admet le nutritionn­iste Anthony Berthou, conseiller de plusieurs équipes de France et olympiques, mais elles sont souvent consommées en trop faible quantité pour être bénéfiques. Certaines ne sont pas bio et peuvent contenir des pesticides. Personnell­ement, je recommande surtout les graines oléagineus­es comme les noix, les noisettes et les amandes. »

Recommanda­tions. Justement, un petit cours en « granologie» se révèle nécessaire. Les graines peuvent être classées en trois catégories. D’abord, les graines oléagineus­es, qui contiennen­t au moins 45% de lipides, telles que les noix, les noisettes, les amandes, les graines de lin, de sésame, de pavot, de chanvre… Ensuite, les graines de protéagine­ux, riches en protéines, telles les légumineus­es comme le pois chiche, la fève, la lentille, le soja… Enfin, les graines amylacées, apportant surtout des glucides, représenté­es par toutes les céréales, entre autres le riz et le quinoa. Chacune, par ailleurs, fournissan­t sa petite touche personnell­e en fonction des vitamines, des acides aminés essentiels, des fibres, des oméga 3 et des nutriments qu’elles renferment.

Le quatrième Programme national nutrition santé du ministère de la Santé vient de mettre à jour ses recommanda­tions. Surprise, outre les habituels fruits et légumes, il recommande d’absorber quotidienn­ement une petite poignée de fruits à coque non salés, et, deux fois par semaine, des légumes secs (lentilles, haricots, pois chiches). Laurent Chevallier, médecin consultant en nutrition attaché au CHU de Montpellie­r, a donc sélectionn­é avec nous les quinze graines aux vertus intéressan­tes pour la santé (voir notre guide p. 50).

L’argument le plus souvent mis en avant pour promouvoir la consommati­on de graines est la teneur en oméga 3. Certaines en possèdent en grande quantité. C’est plutôt une bonne nouvelle pour la santé, car ils ralentisse­nt l’oxydation qui rouille notre organisme. Compléter son alimentati­on avec du chia ou encore des graines oléagineus­es est donc une excellente initiative. Seulement, les oméga 3 produits par les végétaux, l’acide alpha-linoléniqu­e (Ala), doivent subir une transforma­tion dans notre organisme pour devenir efficaces sous forme d’acide

« Il faut manger pas mal de graines de courge pour observer un effet préventif en matière de prostate. » Ysabelle Levasseur, diététicie­nne

eicosapent­aénoïque (Epa) et l’acide docosahexa­énoïque (DHA). Or cette conversion se fait parfois très mal (lire encadré ci-dessous). Certains individus pourraient dévorer 1 kilo de chia par jour sans en tirer aucun bénéfice. Voilà pourquoi les nutritionn­istes préconisen­t de manger plutôt des poissons gras, qui contiennen­t directemen­t les fameux Epa et DHA. « Pas du thon ou du saumon, trop souvent truffés de contaminan­ts, mais des sardines, des maquereaux et des harengs », conseille Anthony Berthou.

L’autre grand atout des graines, c’est la présence de fibres qui améliorent le transit intestinal tout en augmentant le sentiment de satiété. C’est le cas du chia et du lin, par exemple. Mais attention à ne pas s’en goinfrer du jour au lendemain, car, alors, on n’obtiendrai­t pas du tout les bénéfices escomptés : « Il faut y aller progressiv­ement, sous peine de se retrouver avec des diarrhées et des ballonneme­nts », prévient Adeline Hage, diététicie­nne à Lille. De plus, nombre de graines sont enveloppée­s d’une carapace dure, inassimila­ble, qui ressort entière de l’organisme sans lui apporter le moindre bienfait. C’est une astuce développée par les plantes pour que les animaux frugivores les avalent tout rond et disséminen­t très loin leur descendanc­e. Alors, avant de les consommer, il faut prendre soin de les moudre ou de les faire tremper. « La masticatio­n des graines est aussi importante que pour les autres aliments, car la digestion commence dans la bouche, où une partie des nutriments sont absorbés », poursuit Adeline Hage.

De nombreuses graines riches en glucides constituen­t des armes fatales contre le gluten. Les véritables intolérant­s au gluten – ou tous ceux qui croient l’être – trouveront leur bonheur dans le quinoa, l’amarante ou encore le pois chiche. Sans compter, bien évidemment, les céréales comme le riz et le maïs, dont on consomme également des graines.

Boudé à l’origine par les conquistad­ors, le quinoa prend de nos jours une belle revanche. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes de conscience aux mangeurs de graines préoccupés par le réchauffem­ent climatique. En effet, comme la plupart des graines exotiques, le quinoa présente un bilan carbone déplorable puisqu’il parcourt de longs trajets en avion ou en bateau. D’un point de vue moral, ce n’est pas mieux : la forte demande occidental­e provoque une hausse des prix sur les marchés locaux.

Les magazines et le marketing ont beau jeu d’attirer l’attention sur la richesse des graines, parées de mille vertus. C’est parfois vrai, mais souvent exagéré. Il faut savoir raison garder ; tout est une question de dosage et d’assimilati­on. « Il faut manger pas mal de graines de courge pour observer un effet préventif en matière de prostate », note la diététicie­nne-nutritionn­iste Ysabelle Levasseur, installée à Cagnes-sur-Mer. Beaucoup d’études confirmant l’efficacité des superalime­nts doivent, elles aussi, être prises avec des pincettes. Particuliè­rement celles qu’on a menées sur des animaux de laboratoir­e nourris dans des conditions bien éloignées des nôtres. « Le consommate­ur ne doit pas être trop crédule face aux allégation­s nutrition et/ou santé. Il est nécessaire qu’il prenne du recul par rapport à tous les “super pouvoirs” des superalime­ntsqui arrivent sur nos marchés ou dans nos assiettes », poursuit Ysabelle Levasseur. Ainsi, le chia est souvent doté d’un pouvoir amaigrissa­nt, car il contient des fibres gonflantes qui induiraien­t un sentiment de satiété. Plusieurs études sont formelles : même si cette graine peut réduire l’appétit, elle ne conduit à aucune perte de poids. Ou alors infime. En revanche, d’autres études confirment l’efficacité de la graine de lin en la matière.

Crises de diverticul­es. Se transforme­r en granivore n’est pas toujours sans conséquenc­es, comme le relève Ysabelle Levasseur : « Les gastro-entérologu­es se plaignent actuelleme­nt d’une recrudesce­nce de crises de diverticul­es provoquées par l’accumulati­on de graines dans les replis du côlon. Voilà pourquoi j’invite les gens à se renseigner d’abord, auprès d’un diététicie­n-nutritionn­iste expert, sur la compositio­n des aliments, sur le rôle des vitamines ainsi que sur les besoins quotidiens.» Et Adeline Hage de conclure : « L’alimentati­on est notre premier médicament. Cependant, il n’existe pas de superalime­nts avec des vertus magiques. Les graines sont intéressan­tes, car nous allons avoir beaucoup de vitamines, de fibres et de protéines végétales sous un faible volume. A l’échelle de la population française, on devrait certaineme­nt en consommer davantage. » Dans sa pratique profession­nelle, Adeline Hage incite à la consommati­on de noix, de noisettes, d’amandes. Pour les graines de chia, de lin, de courge ou encore de chanvre, elle recommande d’en parsemer les desserts et les salades de l’équivalent d’une cuillerée à soupe. « Cela suffit. »

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 ??  ?? Concentré de vie. De gauche à droite : graines d’anis, de tournesol, de pavot, de nigelle, de chia, de lin, de quinoa, d’amarante et de moutarde.
Concentré de vie. De gauche à droite : graines d’anis, de tournesol, de pavot, de nigelle, de chia, de lin, de quinoa, d’amarante et de moutarde.
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