Gastronomie : au coeur du nouveau Jules Verne
Avant-première. Le restaurant de la tour Eiffel rouvre ses portes le 20 juillet. Visite guidée.
Il n’a jamais oublié son arrivée à Paris en 1988, lui qui débarquait de sa campagne vosgienne de Contrexéville pour rejoindre le mythique Jamin, de Joël Robuchon, 3 étoiles rue de Longchamp.
« J’habitais un petit appartement avenue Kléber, à 100 mètres du Trocadéro. Pendant mes pauses, j’allais m’asseoir dans les jardins. Je contemplais la tour Eiffel en me disant qu’un jour, je pourrai peut-être travailler dans l’incroyable restaurant qui y était perché», se souvient-il avec émotion.
Trente et un ans plus tard, Frédéric Anton s’apprête à prendre les commandes du Jules Verne. La Sodexo, qu’il représentait, a remporté l’appel d’offres lancé par la Société d’exploitation de la tour Eiffel, portant sur la concession de la restauration pour la prochaine décennie. « Nous avons réussi parce que nous avions une vision. Nous nous sommes mis au service de la tour Eiffel et pas le contraire », glisse Nathalie Bellon-Szabo, directrice générale monde de Sodexo Sports & Loisirs.
Le baptême du feu est prévu le samedi 20 juillet. Tout un symbole pour le chef 3 étoiles du Pré Catelan, niché dans le 16e arrondissement au coeur du bois de Boulogne, qui deviendra le quatrième cuisinier après Louis Grondard en 1983, Alain Rex en 1992 et Alain Ducasse en 2007, à veiller sur la table suspendue dans le ciel de la capitale. « C’est une opportunité extraordinaire de pouvoir m’exprimer culinairement au sein d’un monument visité par plus de 6 millions de touristes chaque année», confie la toque de 54 ans en déambulant
au 2e étage qui dévoile une vue époustouflante à 360 degrés.
Avant de « s’envoler » dans les airs, les convives garderont les pieds sur terre, au rez-de-chaussée, en s’engouffrant à l’intérieur du pilier sud pour une invitation à l’exposition « Des outils et des hommes ». Une immersion au fil d’une installation photographique, mêlant les arts décoratifs aux arts culinaires, réalisée par Pascal Dangin. Le magicien de l’image, originaire de Corse et exilé à New York, a rassemblé 35 clichés en noir et blanc célébrant le 130e anniversaire du joyau architectural. Le temps de rejoindre l’ascenseur privatif, les gourmets gourmands se retrouveront propulsés en cent vingt secondes à 125 mètres de hauteur, prêts à découvrir un « temple de l’art de vivre à la française » signé Aline Asmar d’Amman. La très prisée architecte libanaise, fondatrice de Culture in Architecture, a imaginé «main dans la main» avec Frédéric Anton le décor du Jules Verne depuis sa fermeture en septembre dernier. « Un mariage entre la mise en scène et la mise en bouche », commente en souriant celle qui a aussi assuré la direction artistique de la rénovation de l’hôtel de Crillon en 2017.
En pénétrant dans ce Jules Verne version 2019, les hôtes emprunteront un couloir recouvert d’un panneau en résine noir façonné de quadrillages sculptés par Ingrid Donat. Un passage obligé pour gagner les trois salles de 30 couverts baptisées des noms des lieux emblématiques entourant la tour : Trocadéro, Champs-de-Mars, Quai Branly. Des endroits métamorphosés et fluidifiés où Aline Asmar d’Amman a fait « entrer la lumière » : les miroirs réfléchissants estompés à la feuille d’argent décuplent la profondeur du panorama ; les plafonds en écho à la Seine donnent le sentiment de plonger dans des nuages aux teintes dégradées – gris argenté, gris bleuté, gris vert – avec la peinture décorative millimétrée de Christophe Martin. ■
De nouveaux espaces sont même ■ apparus : une alcôve de deux fois quatre couverts, clin d’oeil à la haute couture à travers une photo de l’édifice prise par Karl Lagerfeld ; un comptoir de six places croquant presque le ventre et les roues de la tour ; un salon à l’interétage pourra accueillir jusqu’à six couverts. Aline Asmar d’Amman a joué sur les contrastes de matières des tables en associant le chêne brossé et nacré, l’onyx gris cajolé de fils d’or, le ciment incrusté de pierres, la pierre du Hainaut. Un monogramme Art déco « LJV » inséré dans un cercle à l’allure d’assiette représentera l’identité visuelle du Jules Verne qui ouvrira sept jours sur sept au déjeuner et au dîner – dès 18 heures ! –, excepté le soir des feux d’artifice du 14 Juillet. Grande (r)évolution, il sera même possible d’y prendre son petit déjeuner.
Objectif deux étoiles. A scooter électrique, Frédéric Anton rallie « en neuf minutes chrono » les 4,2 kilomètres qui séparent le Pré Catelan de la tour Eiffel. « Je me suis investi, de la petite cuillère à la grosse marmite », assure-t-il en se dirigeant vers son laboratoire de préparation sous la Dame de fer. Dans la dernière ligne droite, ses équipes s’activent au sein de cet ancien dépôt de munitions de Napoléon qui leur sert de mise en place. Car hors de question de monter des déchets superflus… Le Meilleur Ouvrier de France 2000 nous fait ensuite grimper dans ses cuisines flambant neuves à la tête desquelles il a mis Kevin Garcia, 29 ans, son fidèle second au Pré Catelan. Le maître profitera d’ailleurs des vacances annuelles du vaisseau amiral – du 27 juillet au 20 août – en passant les siennes derrière les fourneaux du Jules Verne. « Je veux imprimer mon style afin de conquérir une clientèle gastronomique », promet cet infatigable bûcheur.
Frédéric Anton livrera une partition imprégnée des classiques de la cuisine française à travers trois menus en trois, en cinq ou en sept séquences. Ses signatures incontournables ? Chou-fleur en crème du Barry, flan de jeunes poireaux d’Ile-de-France, caviar, cerfeuil, pain croustillant ; collection de tomates, jus pressé légèrement acidulé, caviar d’aubergine fumée au parfum de basilic, croûtons ; langoustine en ravioli, crème de parmesan, fine gelée à la truffe ; volaille fermière cajolée dans un bouillon au foie gras, champignons des bois, sauce Albufera ; émincé de canard rôti, petites girolles et câpres, pommes soufflées, jus gras ; abricot, crème d’amande amère, sorbet, meringue croustillante. Et les étoiles ? A terme, Frédéric Anton en vise deux. Ce serait une première dans l’histoire du Jules Verne !
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Le Jules Verne, avenue Gustave-Eiffel, Paris 7e. 01.45.55.61.44. Menus :
105 (déjeuner sauf week-end), 190, 230 €.