L’ordre règne à Astana
Il est 2 heures du matin, le 10 mars, lorsque 15 hommes cagoulés débarquent dans la chambre d’hôtel de Serikzhan Bilash à Almaty (Kazakhstan), et l’embarquent. Le patron de l’ONG Atajurt, porte-parole des milliers de Kazakhs dont les familles ont « disparu » en Chine, se réveille derrière les barreaux à Astana, la capitale kazakhe. « Il n’a commis aucun crime. Il voulait juste exposer la vérité de ce qui se passe en Chine », explique au Point son épouse, Leila Adilzhan, anxieuse. Le message du régime autoritaire fondé par Noursoultan Nazarbaïev est transparent : les Kazakhs dont les parents sont retenus en Chine doivent mettre une sourdine à leurs complaintes pour ne pas envenimer les relations avec le puissant voisin. Astana mise sur les nouvelles routes de la Soie de Xi Jinping pour s’extirper de l’orbite d’un grand frère russe en déclin, avec l’espoir d’être le pont ferroviaire entre l’Est et l’Ouest. L’immense pays, riche en minéraux, voit dans cette initiative l’opportunité de briser son enclavement ancestral, au risque de piétiner son histoire. « La population est viscéralement antichinoise, mais les élites veulent se rapprocher de Pékin pour des raisons économiques », déclare le politologue kazakh Dosym Satpayev. Alors que Nazarbaïev a démissionné en mars après vingt-neuf années d’un règne implacable, le régime marche sur la corde raide entre le nationalisme farouchement indépendant de son peuple d’une part et ses intérêts commerciaux de l’autre. Comme une amère potion de realpolitik. « Beaucoup de gens rentrent des camps et ne disent rien, car ils ont peur de la Chine. Ils craignent des représailles. Mais moi j’aime mon pays, mes compatriotes, et je ne veux pas voir de telles choses arriver de nouveau », témoigne Orinbek Koksebek, ancien détenu des camps chinois
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