Le Point

Cinéma (« Fahim ») : le gamin qui voulait être Roi

Depardieu face à un jeune réfugié bangladais : l’histoire vraie de Fahim, clandestin et champion d’échecs, est adaptée au cinéma par Pef.

- PAR JEAN-LUC WACHTHAUSE­N

Il s’appelle Fahim, est élève en classe préparatoi­re aux concours des grandes écoles de commerce dans un lycée catholique près de Créteil. Timide, la silhouette maigre, le regard lumineux, il porte jean et baskets comme n’importe quel jeune de son âge et s’exprime en bon français. Quand on lui pose des questions sur son aventure peu commune, ce Bangladais de 19 ans se contente de sourire et de répondre que son père, Nura, et lui ont eu la chance de se réfugier en France, il y a onze ans. On apprend qu’il a fui Dacca, à l’âge de 8 ans, menacé de mort et d’enlèvement parce qu’il jouait trop bien aux échecs, petit prodige victime des querelles politiques qui déchirent le pays. Il joue si bien qu’il devient champion de France des moins de 12 ans en 2012 grâce à Xavier Parmentier, son entraîneur et mentor, décédé depuis. Réfugiés politiques, son père et lui, après avoir traversé beaucoup d’épreuves, sont pris en charge par France terre d’asile et hébergés dans son foyer de Créteil. C’est là, dans un club dirigé par un professeur hors du commun, qu’il perfection­ne son jeu, travaillan­t plusieurs heures par jour les combinaiso­ns avec son roi, sa dame, ses fous, ses cavaliers, ses tours et ses huit pions.

Revanche. Aujourd’hui, le film sur le parcours original de Fahim tombe pile au moment de l’ouverture du débat sur l’immigratio­n et a de quoi faire rêver les défenseurs du droit d’asile et de l’intégratio­n. Pourtant, le jeune homme reste prudent, voire distant, presque gêné d’être le héros par procuratio­n d’un long-métrage éponyme et avec des vedettes comme Gérard Depardieu ou Isabelle Nanty. « C’est une situation paradoxale, reconnaît-il aujourd’hui. J’ai quitté mon pays, le Bangladesh, à cause des échecs et je suis accueilli dans un autre pays, la France, grâce aux

« J’ai quitté mon pays, le Bangladesh, à cause des échecs et je suis accueilli dans un autre pays, la France, grâce aux échecs. »

Fahim Mohammad, dont la vie a inspiré le film « Fahim »

échecs. C’est comme une revanche. » Goethe avait raison de croire que « les échecs, c’est la pierre de touche de l’intelligen­ce ». Dans le cas de Fahim, ce fut aussi la porte ouverte vers la liberté.

Pas question pour autant de servir de porte-étendard ni de caution à la cause à travers ce film et son double à l’écran incarné par un autre réfugié bangladais, Assad Ahmed, qui n’a pas la même histoire que lui. « Je suis allé le voir sur le tournage et on a joué aux échecs ensemble, précise Fahim. Je n’avais pas de conseils à lui donner et j’ai été un peu perdu au milieu de toute cette agitation. Il m’a semblé que ce n’était pas de moi qu’il s’agissait. » Pas du tout impression­né d’échanger quelques mots avec Gérard Depardieu, qui incarne à l’écran l’imposant Xavier Parmentier, son maître aux échecs, qui a tant compté pour lui. « Il dirigeait le club Thomas-du-Bourgneuf à Créteil, se souvient-il, et cet homme a changé ma vie. Il m’a donné confiance et m’a appris à rechercher toujours le plus haut niveau. Hélène Gelin [jouée par Isabelle Nanty, NDLR] et lui m’ont aidé sur tous les plans. Xavier est devenu un ami jusqu’à sa disparitio­n brutale, il y a trois ans. »

Avant son adaptation au cinéma, l’histoire de Fahim a fait l’objet de reportages télévisés et d’un livre, « Un roi clandestin » (Les Arènes, 2014), dans lequel il s’est confié à l’anthropolo­gue Sophie Le Callennec et à Xavier Parmentier, ses protecteur­s. Et qu’il a promu dans l’émission de Laurent Ruquier «On n’est pas couché ». Ce livre a largement inspiré le film de Pierre-François Martin-Laval, dit Pef, qui voyait là un mélange de « drame social et de conte de fées ». « Fahim », ou comment raconter le parcours d’un enfant et de son père qui débarquent dans un pays, la France, dont ils ne parlent pas la langue et ignorent la culture. « Ce fut un gros choc, avoue l’intéressé. Le début d’une nouvelle existence sans ma mère. Nous étions dans un autre monde. Pourtant, je ne suis pas traumatisé. J’ai eu droit à des moqueries, mais pas à de la discrimina­tion. J’ai vite appris le français à l’école et avec mes copains au sport. C’était plus difficile pour mon père. Mais la solidarité et le soutien de Xavier Parmentier, de familles de Créteil et de son maire, Laurent Cathala, nous ont beaucoup aidés. »

Tout a basculé à la veille du second tour de l’élection présidenti­elle de 2012. Invité sur France Inter, le Premier ministre, François Fillon, est interpellé sur la situation ubuesque de Fahim (sans papiers et champion de France d’échecs) par une avocate, Marion Lanvers, spécialisé­e dans le droit d’asile. Grâce à l’interventi­on de ce dernier et à la pression médiatique, son père et lui sont régularisé­s quinze jours plus tard. En 2016, il participe aux Championna­ts d’Europe d’échecs des moins de 16 ans.

Très ambitieux. « Aujourd’hui, je vis ma vie, avoue Fahim. Ma mère, ma grande soeur et mon petit frère ont rejoint Créteil. On forme une famille normale. J’ai obtenu mon titre de séjour et je vais demander la nationalit­é française. Mais ma priorité, ce sont les études. Et j’ai de grandes ambitions. » Pour l’instant, il avoue que les maths en classe préparatoi­re sont difficiles, mais il va s’accrocher, reconnaiss­ant qu’il a perdu sa vivacité après avoir passé son bac en candidat libre. « Aux échecs, dit-il, j’ai appris l’esprit de compétitio­n, la rapidité et la concentrat­ion. Pour moi, réussir est un défi. Il faut de la discipline, du courage et de la méthode.» Alors, comment ne pas le croire lorsque ce musulman non pratiquant avoue sans ciller qu’il se sent aujourd’hui totalement français, bien adapté aux lois et coutumes de notre République laïque, et n’a pas du tout le mal d’un pays, le Bangladesh, qu’il a très peu connu ?

Fahim est fan de foot, de jeux vidéo, de mangas et du rappeur Damso, le meilleur selon lui. Résolument tourné vers l’avenir, il croit en sa bonne étoile et rêve sans complexe de « devenir riche, avant tout ». Discret sur son passé et son parcours hors normes, il avoue ne pas en parler avec ses amis. Seuls quelques proches et les professeur­s de son lycée sont au courant. Son rêve? Se fondre dans la masse, devenir lui-même, faire sa vie dans une douce France qui a ses vertus. Quant au film, il concède simplement : « C’est bien, si ça peut aider les autres », jugeant que sa promotion est nécessaire pour « montrer la vraie vie des immigrés qui ne se réfugient pas en France par plaisir ». Lui ne se plaint pas, reconnaiss­ant que la chance a toujours été de son côté grâce à l’accueil de quelques Français, ses anges gardiens

En salles le 16 octobre.

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 ??  ?? Bataille. Ci-contre, Fahim (Assad Ahmed) face au meilleur entraîneur d’échecs de France, Sylvain (Gérard Depardieu), dans le film de Pierre-François Martin-Laval, dit Pef. Ci-dessous, le vrai Fahim Mohammad.
Bataille. Ci-contre, Fahim (Assad Ahmed) face au meilleur entraîneur d’échecs de France, Sylvain (Gérard Depardieu), dans le film de Pierre-François Martin-Laval, dit Pef. Ci-dessous, le vrai Fahim Mohammad.

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