Mode avec Olivier Rousteing
a rencontré le directeur artistique de Balmain, dont le style, aussi architecturé que flamboyant, cache un destin hors norme.
Qui est Olivier Rousteing, l’hypermédiatique directeur artistique de Balmain ? Un jeune homme de
34 ans, talentueux, attachant, travailleur acharné, vif et chaleureux, timide et bienveillant, qui s’est forgé une identité et un ego en béton pour le grand public. Né sous
X en 1985, il grandit au sein d’une famille adoptive bordelaise. Surdoué – il obtient son bac avec deux ans d’avance –, il quitte son foyer puis ses études d’avocat en droit international pour intégrer le monde de la mode. Après un bref passage par l’école parisienne Esmod, il s’envole pour Rome, travaille pour des maisons de couture, puis est engagé chez Roberto Cavalli. En 2009, le jeune styliste revient à Paris pour devenir responsable du studio de création de la maison Balmain. Deux ans plus tard, à 25 ans, il remplace Christophe Decarnin à la direction artistique. Depuis, saison après saison, il imagine des silhouettes fuselées pour des guerrières des temps modernes et pense des tenues osant les fioritures pour des hommes qui assument leur virilité et leur part de féminité. Ses créations peuvent apparaître exubérantes et trop flamboyantes, mais les dorures, les lamés et les broderies associés à un sens aigu de la coupe révèlent chez Olivier Rousteing une connaissance approfondie de la couture et du vêtement. Il joue sur les volumes, créant des minirobes aux épaules surdimensionnées, comme des manteaux enveloppants. Il maîtrise aussi bien le flou d’une robe du soir que l’hyperstructure d’un blazer ajusté au millimètre près.
Hors podium, sur les réseaux sociaux comme sur les tapis rouges, Rousteing s’appuie sur la « Balmain army », qui compte parmi ses rangs Jane Fonda, Cindy Crawford, Claudia Schiffer, Justin Bieber, Kanye West et des physiques hors norme nommés Kim Kardashian, Rihanna, Beyoncé et Jennifer Lopez. Brigitte Macron, elle aussi, porte du Balmain. « L’habiller est une fierté », précise-t-il. Olivier ne cache pas son admiration pour Emmanuel Macron. « Il a inscrit la France dans une nouvelle dynamique. Je suis extrêmement fier de voir à la tête du pays un couple au parcours atypique. Lui jeune et elle plus âgée. C’est une femme forte, et j’aime les femmes fortes. » Populaire, Olivier Rousteing l’est. Sa ligne de maquillage, avec L’Oréal, et ses collaborations au succès fracassant, avec la marque de lingerie Victoria’s Secret et H&M, confirment sa notoriété internationale. Il se définit comme
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« pop pour populaire ; je veux faire rêver ■ les gens. Ce qui m’a toujours motivé, c’est la diversité, en termes de races, de corps, d’orientations sexuelles. J’ai été critiqué dans le choix de mes égéries, des bandes-son de mes défilés… Le milieu de la mode se dit avant-gardiste, mais il est très conservateur. On dit que le premier défilé est le plus dur, mais c’est le plus facile. Les gens ont attendu que j’affirme mon style pour me poignarder ! » se souvient-il. Son défilé automne-hiver 2014 marque un tournant. « Mon casting était ethnique, ma musique hip-hop, et j’ai choisi Rihanna comme ambassadrice. J’ai passé l’année à me justifier. » N’empêche, les ventes des collections musclent le chiffre d’affaires de Balmain, en hausse constante depuis une dizaine d’années. De quoi justifier l’enthousiasme de la société qatarienne Mayhoola for Investments (propriétaire de Valentino), qui a racheté la marque pour 500 millions d’euros en 2016. Après presque dix ans chez Balmain, Olivier Rousteing dit avoir essayé « d’ancrer dans son temps cette griffe fondée après la guerre, qui habilla aussi bien Joséphine Baker que Dalida, Audrey Hepburn et Brigitte Bardot ».
« Carapace ». Surexposé – son compte Instagram compte 5,5 millions d’abonnés –, Olivier Rousteing a décidé de faire tomber le masque. Le documentaire « Wonder Boy » (diffusé sur Canal+ le 16 octobre) révèle une autre facette du créateur exalté, adulé du public et entouré d’amis stars. Loin des podiums, il a entrepris de retrouver ses parents biologiques. « Plus je savais où j’allais dans mon travail et plus j’avais besoin de savoir d’où je venais, de comprendre pourquoi j’avais été abandonné », explique celui qui se disait métis et se définit aujourd’hui comme « africain né en France. C’est très important d’indiquer cette différence. Je ne me suis pas toujours appelé Olivier Rousteing », lâche-t-il dans la bande-annonce du documentaire, où on le découvre sans fard, confronté au mur de silence des enfants nés sous X. On le voit aussi s’enthousiasmer au moindre indice et pleurer lorsqu’il apprend que sa mère d’origine somalienne, qui souhaite ne pas avoir de contact avec lui, l’a mis au monde à 15 ans, et que son père éthiopien en avait dix de plus. Hors caméras, il avoue avoir pensé que sa conception était peutêtre due à un viol.
Pourquoi exposer un acte aussi intime ? « C’est une démarche thérapeutique. J’ai utilisé ces caméras comme une force pour ne pas me sentir seul dans ma quête, analyse Olivier Rousteing. M’étant un peu perdu dans cette caricature de mode que j’ai créée, je souhaitais dévoiler qui je suis réellement. Le personnage que j’ai imaginé est celui qui m’a permis de me protéger face à mes doutes. Mais je ne peux pas continuer à me montrer ainsi, car je ne suis pas qu’un créateur de mode. »
Dans le film, Olivier Rousteing évoque sa solitude et sa difficulté à accorder sa confiance quand il est question d’intimité. « Je n’ai pas de temps libre car je ne veux pas en prendre. Le travail est ma carapace. Je me suis construit une réalité qui est un rêve.» Qu’attend-il de la sortie du documentaire ? D’abord que ses parents adoptifs, et peutêtre sa mère biologique, le voient. Mais aussi que la nouvelle loi sur les enfants nés sous X, permettant la levée de l’anonymat de la mère biologique, soit votée. Il sera d’ailleurs prochainement invité à en débattre à l’Assemblée nationale. « Depuis le tournage, je m’assume plus, j’ai moins peur. Je suis sorti grandi de cette histoire. Mais tant que je ne sais pas qui je suis, je ne pourrai pas m’aimer complètement. »§
« Le milieu de la mode se dit avant-gardiste, mais il est très conservateur. » Olivier Rousteing