Le Point

Ce Zemmour est-il utile ? par Kamel Daoud

Cet annonceur de fin du monde, qui aide à réarmer l’islamisme au sud, est essentiel non dans sa parole, mais comme reflet de notre absence, de nos conforts.

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Ce Zemmour est-il à suivre ou à poursuivre ? Son dernier prêche, à la convention de la droite, a scandalisé. On conclura, extrême, qu’il fallait soit le faire taire, soit lui autoriser le bénéfice de la liberté d’expression. C’est cependant une autre question qu’il faut traiter : en quoi ce Zemmour est-il utile par ses appels au meurtre ? D’abord, chez nous au sud, il aide à réarmer l’islamisme et à nourrir la haine anti-Français qui sert à trouver un coupable extérieur à des échecs intérieurs. Rien de mieux pour justifier ses revers, imputés exclusivem­ent à la colonisati­on française, qu’un Français qui en dénonce une autre (arabe), imaginaire, de l’autre côté ! Ce prêcheur ravive les mythes de la décolonisa­tion perpétuell­e que les radicaux et les chauvins chez moi exploitent depuis des années. Zemmour est donc utile pour l’art de refaire la guerre quand on ne sait pas quoi faire.

Le propos de Zemmour dope aussi les argumentai­res des islamistes chez nous et leur donne des raisons : « Voici qu’on vous dit (immigrés musulmans ou musulmans tout court) qu’on vous déteste, que vous ne serez jamais français et qu’on va vous tuer. Autant se faire musulman et, mieux encore, islamiste et tuer la France, en France ou ailleurs. » Etre islamiste s’en retrouve justifié puisque Zemmour aide à fabriquer l’ennemi et sert de rabatteur pour les recrutemen­ts opposés. Il donne une cause à la partie adverse par sa cause dite « française ». Il incarne le mal pour que certains qui le dénoncent s’empressent d’« incarner » le bien, et il incarne le bien pour ceux qui voient le mal partout. A la fin, ce Zemmour isole ceux qui veulent être libres, se battre contre les radicalism­es chez eux, refusent la haine de l’autre et le confort du postcoloni­al comme excuse. Au racisme confession­nel il oppose un racisme de souche.

Mais encore ? Ceux qui donnent la primauté à leur islamité sur leur francité ont aidé à fabriquer du Zemmour. Ceux qui ont choisi de vivre dans ce pays sans jamais l’accepter intimement ont nourri ce prêcheur néfaste. Et ceux qui ne disent rien quand leurs croyances servent de prétextes aux tueries et à la haine finissent par créer du Zemmour et lui donner la parole à cause de leurs silences agaçants. Ceux qui refusent la France et refusent de la construire la donnent à ceux qui disent en être les seuls héritiers.

Les habitudes éditoriale­s, la culpabilit­é absolue ou le refus de la patrie au nom de la croyance ou de la racine ont permis au zemmourism­e de s’accaparer le discours sur le réel. L’abus de plaidoirie­s sur l’innocence « naturelle » des victimes qu’il attaque lui ont donné l’excuse pour parler de ce qui hante ou angoisse des classes sociales entières. Ce prêcheur est utile parce qu’il oblige à écouter ceux qui ont peur et ceux qui ne voient pas de solution, sauf dans la nostalgie et la pureté. Ont-ils tort? Non. Autour du noyau dur existent ceux qui viennent s’associer par défaut. Les lapider n’est pas converser avec eux. Cet annonceur de fin du monde est essentiel non dans sa parole, mais comme reflet de notre absence, de nos conforts. Quand on se fait le défenseur de l’islam comme identité, on verra venir des défenseurs de l’identité comme pureté. Quand on veut les récoltes de la France sans admettre ses racines, on verra venir ceux qui proposent les racines à la place des récoltes. Le salut ne peut être que solidaire, sinon, il aidera aux recrutemen­ts dans le camp adverse. Il fera miroiter une solution impossible, suicidaire. Ce zemmourism­e permettra, dans son scandale, de corriger les fantasmes des « gauches » naïves, et de bien nommer les choses pour mieux les guérir. Il aide aussi à responsabi­liser ceux qui s’en prétendent victimes innocentes.

Ce Zemmour est utile. Il me désarme dans mon pays, m’oppose une double armée, celle des tueurs au nom du ciel et celle des sentinelle­s des frontières au nom de la souche, il fait mal à l’avenir en prétendant l’incarner, il nourrit la radicalité en lui opposant une autre radicalité, mais il est utile dans son désastre. Il est le procès de mes croyances faciles.

Retour sur un vieux mythe, celui d’Antée: Héraclès a réussi à le vaincre non en le jetant à terre, mais en le portant sur son dos

Zemmour est le procès de mes croyances faciles.

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