Gérald Darmanin s’attaque à la forteresse de Bercy
Comment le ministre de l’Action et des Comptes publics tente de réformer ce symbole de la bureaucratie française.
Ce vendredi 27 septembre, c’est un comité pas franchement enthousiaste qui accueille le nouveau patron de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), Jérôme Fournel, au siège de sa direction départementale de la Mayenne, à Laval. Attablés façon jury de concours, six représentants syndicaux de la plus grosse direction de Bercy (près de 103 000 agents) attendent résolument les explications de l’homme de confiance de Gérald Darmanin, dont il fut le directeur de cabinet jusqu’en avril. Sur leur vêtement, un autocollant noir avec une tête de mort : « Finances publiques, même plus l’impôt sur les os ».
Le haut fonctionnaire se lance dans une longue défense d’un projet ultrasensible, révélé en juin, qui acte la fermeture de nombreuses trésoreries implantées sur tout le territoire, d’ici à 2023. « Plan de destruction méthodique de la DGFIP » ; « amplification de la fracture territoriale » ; « retrait de l’Etat dans notre département rural » : l’intersyndicale répond par la lecture de déclarations liminaires assassines. Il y a quelques semaines, elle a aussi appris que le ministère des Comptes publics allait perdre 5 775 postes entre 2020 et 2022, dont près de 5 000 pour la DGFIP, ce qui porte l’effort à 10 000 sur tout le quinquennat. C’est plus d’un tiers du nombre total de suppressions (27 500) programmées par le gouvernement dans toute la fonction publique d’Etat…
Gérald Darmanin assume. Le ministre, qui fête ses 37 ans, se pose
en élève exemplaire de la réforme (pardon, de la « transformation ») de l’Etat. Et qui dit « transformation » des missions dit aussi réduction d’effectifs, même si ce n’est qu’une conséquence. « La question est: voulez-vous être un ministre gestionnaire ou transformateur ? Ce qui m’intéresse, c’est de laisser une trace en ce sens », nous lance-t-il, bravache, depuis son bureau vitré du 5e étage à Bercy. Une façon élégante de suggérer que des ministres « gestionnaires », interchangeables avec leur directeur d’administration, il y en a au gouvernement. Il ne nous dira pas qui…
Son appétit affiché pour les réformes ne va pas sans résistance. Le 16 septembre, il a essuyé un mouvement de grève national contre son plan connu sous le nom bucolique de « géographie revisitée ». Depuis, il essaie de calmer le jeu. Peu avant que les agents ne manifestent leur colère devant les trésoreries, Jérôme Fournel tenait une conférence téléphonique avec ses directeurs départementaux pour leur demander de renégocier la nouvelle carte d’implantation de la maison. Objectif : tuer dans l’oeuf le début de fronde des élus locaux alarmés par ce projet de réorganisation d’une administration chargée à la fois d’assurer la relation avec les contribuables et de vérifier l’exactitude de leurs comptes, celui des collectivités locales.
Ouvertement inquiet du climat social à l’approche des municipales, le président de la République a personnellement veillé à ce que les choses ne dérapent pas. « Comme pour le prélèvement à la source, il a posé des questions », euphémise une source proche du dossier. Emmanuel Macron ne voulait pas entendre parler de réforme qui ne cadre pas avec l’esprit de l’acte II : écoute et dialogue. « S’il a laissé faire, c’est qu’il a eu confiance », se défend-on à Bercy. Annoncée en juillet 2018 puis discrètement repoussée d’un an à cause de la crise des gilets jaunes, la réforme du réseau de la DGFIP va donc prendre du temps. La discussion à l’échelle locale se poursuivra tant que les élus n’auront pas approuvé la nouvelle carte d’implantations. Le ministre s’est même engagé à ce qu’il n’y ait pas de fermetures de trésorerie l’année prochaine sans accord préalable des élus locaux.
Si le sujet est si sensible, c’est que les effectifs de la DGFIP ont fondu comme neige au soleil ces dernières années. Depuis 2008, 2 000 postes ont été supprimés en moyenne par an dans le sillage de la fusion de la Direction générale des impôts avec celle de la comptabilité publique opérée par Nicolas Sarkozy. Et de 2007 à 2017, 1 200 centres des impôts ont été rayés de la carte, même s’il en reste encore 2 500. « Depuis quatre ou cinq ans, la DGFIP est la variable étatique de suppressions des postes sans tenir compte de ses besoins », regrette même un ancien magistrat de la Cour des comptes qui a étudié le dossier de près. L’ancien directeur général des finances publiques luimême, Bruno Parent, s’en plaignait en privé… « On a vécu la RGPP sous Sarkozy, la modernisation de l’action publique sous Hollande. Trop, c’est trop : après le grand débat national, on pensait qu’ils avaient identifié un vrai problème de présence des services publics sur le territoire », s’énerve le socialiste Christophe Bouillon, président de l’Association des petites villes de France.
Effet domino. Signe de la fébrilité des élus, plusieurs municipalités se sont fendues d’une motion de rejet de la réorganisation dans leur département, même lorsqu’elles n’étaient pas touchées ! Olivier Poutrieux, maire de Rembercourt-Sommaisne, assume, alors que la trésorerie la plus proche de son village de la Meuse, à Bar-leDuc, n’est pas menacée. « On dénonce l’abandon des services publics depuis des décennies. Ce sont les urgences, la maternité puis les services publics de l’Etat qui foutent le camp. Il y a un effet domino. Sorti de Paris, la France n’existe pas. » Ce constat, Jérôme Fournel ne le nie pas. « Historiquement, on a diminué chaque année, à bas bruit, le nombre de trésoreries en maintenant la même organisation. Si on avait continué comme ça, notre réseau aurait fini hyper-concentré sur les centres urbains. C’est exactement ce qu’on ne veut pas », se défend-il.
Alors, pour poursuivre la réforme de l’Etat dans son ministère sans accentuer la fracture territoriale, Gérald Darmanin promet de faire autrement. Continuer à fermer des trésoreries? Oui, car nombre d’entre elles n’ont plus la masse critique pour assurer
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« Les urgences, la maternité, les services publics de l’Etat foutent le camp. Sorti de Paris, la France n’existe pas. » Olivier Poutrieux, maire