Le Point

Corrèze, que reste-t-il de ta chiraquie ? par Jérôme Fourquet

Gagnée de haute lutte, la citadelle électorale de Jacques Chirac ne lui a pas survécu.

- PAR JÉRÔME FOURQUET

Le décès de Jacques Chirac a donné lieu à de multiples rétrospect­ives sur sa vie et sa carrière. Si de très nombreux souvenirs et images de cette grande figure de la vie politique ont ainsi été remis en exergue et commentés à satiété, nous voudrions quelque peu décaler le regard en posant la question suivante : près de vingt ans après sa dernière campagne présidenti­elle victorieus­e, que reste-t-il du chiraquism­e sur le plan électoral ? Lors de chaque scrutin auquel il a concouru, une même géographie singulière se dessinait. La « chiraquie » reposait sur trois points d’appui principaux : Paris, dont il fut maire, les DOM-TOM, avec lesquels il entretenai­t une relation particuliè­re, mais aussi et surtout la Corrèze, fief qu’il s’était méthodique­ment constitué depuis son implantati­on réussie lors des élections législativ­es de 1967.

Comme on peut le voir sur la carte de gauche, Jacques Chirac obtint au premier tour de la présidenti­elle de 2002 des scores très importants en Corrèze, et notamment en Haute-Corrèze, dans la 3e circonscri­ption, celle d’Ussel, dont il fut député de longues années. Les résultats furent également élevés dans le Cantal voisin. Si on peut y voir en partie le prolongeme­nt de l’aire d’influence de Chirac, ces scores correspond­aient plus globalemen­t à un vote traditionn­ellement de droite dans ces terres d’élevage catholique­s, qui avaient donné à la France un autre président gaulliste, Georges Pompidou. En effet, le rayonnemen­t électoral du chiraquism­e se limitait pour l’essentiel aux frontières de la Corrèze. C’est très net à l’ouest, avec un vote qui décroche immédiatem­ent lorsque l’on pénètre en Dordogne, dans le Lot ou la Haute-Vienne. L’ombre portée du chiraquism­e se propage davantage au nord (Creuse) et à l’est (Puy-de-Dôme), dans les cantons situés à proximité immédiate du coeur de son fief.

Cette relation avec les électeurs corréziens fut le fruit d’un travail d’implantati­on politique acharné et d’une très forte présence sur le terrain, qui lui permit de conquérir le canton de Meymac en 1968 puis la présidence du conseil général en 1970. Sa femme participa également à l’édificatio­n de cette citadelle en devenant, en 1979, conseillèr­e générale du canton de Corrèze, sur la circonscri­ption de son mari et dans lequel se situe la commune de Sarran, où le couple acheta le château de Bity en 1969.

Le plateau de Millevache­s, qui constitue une grande partie de cette circonscri­ption, était historique­ment partagé entre de vieux notables rad-soc et les communiste­s qui trouvèrent très précocemen­t un écho auprès d’une paysanneri­e pauvre et déchristia­nisée, et qui furent nombreux et actifs dans les maquis de la Résistance. Dans cette contrée hostile, le jeune candidat Chirac fut soutenu par des personnali­tés comme Henri Queuille, élu dans le canton de Neuvic, et Charles Spinasse, maire d’Egletons, qui fut le suppléant de Chirac en 1967. Hormis ces soutiens socialiste­s ou radicaux-socialiste­s motivés par l’anticommun­isme, l’implantati­on de Chirac dans ce terroir de gauche ne fut possible que par un quadrillag­e méthodique du terrain nécessitan­t une débauche d’énergie peu commune. Une fois la conquête réussie, Chirac n’hésita pas, pour conforter son assise électorale, à appliquer une pratique

clientélis­te (à laquelle cette région déshéritée était traditionn­ellement habituée) en distribuan­t aides et plaçou (poste en patois local). Il mit également à profit ses différents mandats nationaux et son réseau d’influence pour développer la Corrèze. Il créa ainsi l’Associatio­n des centres éducatifs de HauteCorrè­ze et implanta des structures d’accueil pour handicapés, qui constituen­t aujourd’hui encore un gisement d’emplois dans la région. Il obtint également la création d’une prison à Uzerche et pesa fortement en faveur de la constructi­on des autoroutes A20 et A89, qui désenclavè­rent ce territoire et notamment la Haute-Corrèze. Ce fief bénéficia aussi de l’ouverture de l’usine Isoroy à Ussel, décision prise par François Pinault, industriel proche de Chirac (par ailleurs propriétai­re du Point).

Mais cette citadelle électorale inexpugnab­le ne lui aura pas survécu. L’héritage de François Hollande n’a pas laissé plus de traces. Lors des dernières élections européenne­s, Les Républicai­ns, lointains héritiers du courant chiraquien, ne sont arrivés qu’en 4e position (9%) et ont été balayés en Corrèze (ils résistent un peu mieux dans le Cantal voisin). Le fief chiraquien a été démembré et la carte électorale de la Corrèze est, comme c’est le cas des départemen­ts environnan­ts, fragmentée (carte de droite). Les Insoumis s’appuient encore sur quelques anciens bastions du communisme rural et les écologiste­s trouvent un écho dans certaines communes, où vivent agriculteu­rs bio et adeptes de la sobriété et de la décroissan­ce. Partout ailleurs, l’affronteme­nt oppose LREM et RN. Si, à Sarran, à Egletons et à Meymac, hauts lieux de la geste chiraquien­ne, le parti macronien vire en tête, affront suprême, c’est le RN, l’ennemi de toujours, qui est désormais premier à Sornac, Bort-les-Orgues, Neuvic ou bien Ussel, dans le coeur du domaine chiraquien. Dans un discours resté célèbre prononcé à Egletons, Chirac appelait à un « grand rassemblem­ent » unissant « la défense des valeurs essentiell­es du gaullisme aux aspiration­s d’un véritable travaillis­me à la française ». C’était le 3 octobre 1976, c’était dans la France d’avant. Ce vieux rêve semble désormais totalement englouti dans les eaux profondes de l’archipel français

Le départemen­t est désormais fragmenté et le théâtre d’un affronteme­nt entre LREM et RN.

 ??  ?? Jérôme Fourquet, directeur à l’Ifop et auteur de « L’archipel français ».
Jérôme Fourquet, directeur à l’Ifop et auteur de « L’archipel français ».
 ??  ?? Emprise. En mai 1973, à Ussel, dans le nord de la Corrèze dont Jacques Chirac a été député de 1967 à 1995.
Emprise. En mai 1973, à Ussel, dans le nord de la Corrèze dont Jacques Chirac a été député de 1967 à 1995.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France