Le Point

Les éditoriaux de Nicolas Baverez, Luc de Barochez, Pierre-Antoine Delhommais, Julien Damon

L’instaurati­on d’un régime universel par points, loin de constituer un remède miracle, risque au contraire, de par ses nombreuses contradict­ions, d’aggraver les défauts du système existant.

- Par Nicolas Baverez

Trente-quatre ans après le « Livre blanc » de 1991, au terme de quatre réformes en 1993, 2003, 2008 et 2010 et du projet avorté de 1995 qui a tué dans l’oeuf le septennat de Jacques Chirac, le spectre des retraites continue à surplomber notre économie et à hanter la vie politique française. Au moment où la dette atteint 100 % du PIB, le rétablisse­ment de l’équilibre du système qui mobilise 14 % du PIB est une condition première pour la reprise du contrôle des finances publiques, vitale pour le redresseme­nt de la France comme pour sa crédibilit­é auprès de nos partenaire­s européens. Par ailleurs, les inégalités criantes du système, notamment du fait des régimes spéciaux, minent la cohésion et la solidarité nationales, contribuan­t à la poussée des populismes.

Nul ne peut donc contester l’impérieuse nécessité d’une réforme des retraites pour assurer la survie du système fondé sur la répartitio­n et le rendre à la fois plus juste et plus transparen­t. Mais, sous couvert d’un régime par points, présenté comme un remède magique aux déficits et aux injustices, le projet du gouverneme­nt aggrave les défauts du système. Illustrant la pensée de Pascal selon laquelle « le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête », la logique technocrat­ique du régime universel réussit le tour de force de spolier nombre de Français sans réduire le déficit de financemen­t des retraites.

Les prévisions du Conseil d’orientatio­n des retraites montrent que le système, dont le déficit atteint 5,4 milliards d’euros cette année, est structurel­lement déséquilib­ré à hauteur de 0,5 % du PIB en 2023 et de 1 % du PIB à partir de 2035. Et ce dans l’hypothèse optimiste d’une améliorati­on de la productivi­té de 1 % par an, nettement supérieure aux performanc­es des vingt dernières années. Cette dégradatio­n résulte de deux tendances lourdes : le vieillisse­ment démographi­que et la progressio­n de l’espérance de vie, qui vont faire passer de 20 à 27 % la proportion des plus de 65 ans dans la population d’ici à 2050 ; le ralentisse­ment de la croissance et des gains de productivi­té, qui sont passés de 5 % par an dans les années 1970 à zéro en 2019. Le projet imaginé par Emmanuel Macron nie cette réalité et fragilise le système au lieu de le renforcer.

Première contradict­ion, le passage à un régime par points ne garantit mécaniquem­ent l’équilibre que si l’on accepte l’ajustement du point à la baisse, comme ce fut le cas en Europe du Nord après le krach de 2008. Or le président s’est engagé à proscrire la diminution de la valeur du point en l’indexant sur les salaires. Cela, venant s’ajouter à l’instaurati­on d’un plancher des pensions de 1 000 euros par mois, implique une envolée insoutenab­le des dépenses, alors que les principale­s économies ont été générées dans les dernières années par l’indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires.

Deuxième contradict­ion, la promesse de ne toucher ni à l’âge légal de départ à la retraite, ni au niveau des pensions. Compte

La prétendue justice repose sur la mise en coupe réglée des classes moyennes et des cotisants des régimes excédentai­res.

tenu du déficit actuel – qui atteindra une dizaine de milliards d’euros en 2023 – et du vieillisse­ment démographi­que, seule l’augmentati­on de l’âge légal de départ, qui génère 10 milliards par année supplément­aire, peut permettre de rétablir l’équilibre. A défaut, il n’est pas d’autre solution que la diminution de l’ordre de 10 % du montant des pensions. C’est la raison pour laquelle tous les autres pays développés ont fixé l’âge de départ à la retraite entre 65 et 70 ans.

Troisième contradict­ion, le régime universel n’assure pas forcément le respect du principe d’égalité. L’égalité ne s’apprécie pas dans l’abstrait mais à situation égale. Or certains métiers comportent des contrainte­s spécifique­s en raison des risques encourus ou de carrières nécessaire­ment courtes, à l’image des militaires. Surtout, les régimes que l’on entend unifier sous les mêmes règles se trouvent dans des situations aux antipodes, les uns affichant des réserves excédentai­res de 140 milliards d’euros tandis que les autres accumulent des déficits, tels les régimes spéciaux, qui sont subvention­nés à hauteur de plus de 5,5 milliards d’euros par an.

Quatrième contradict­ion, la prétendue justice repose sur la mise en coupe réglée des classes moyennes et des cotisants des régimes excédentai­res. La création du régime universel cache deux gigantesqu­es opérations de transferts du secteur privé vers le secteur public et des classes moyennes vers les plus défavorisé­s. La première consiste dans la confiscati­on des 140 milliards de réserves des régimes excédentai­res, soit 6 % du PIB, pour combler les déficits des régimes spéciaux et de la fonction publique. La spoliation est double pour les assurés, car les fonds qui garantissa­ient leurs retraites sont confisqués et remplacés par des droits virtuels puisque adossés à un Etat endetté à la hauteur de son PIB. Par ailleurs, les classes moyennes, notamment les cadres et les travailleu­rs indépendan­ts, déjà touchés de plein fouet par la suppressio­n des allocation­s familiales et par la diminution des allocation­s de chômage, verront leurs cotisation­s augmenter fortement pour des droits cantonnés. La création d’un régime unique marque ainsi une étape irréversib­le dans le détricotag­e de l’universali­té de la protection sociale.

Il est encore temps pour Emmanuel Macron de mettre un terme à un projet inutile et dangereux, qui accroît le besoin de financemen­t du système de retraites tout en organisant la spoliation d’une partie des forces vives de la nation. Plutôt que de se mettre en scène dans un remake du grand débat, le président gagnerait à faire preuve de pragmatism­e et à privilégie­r l’esprit de finesse sur l’esprit de système. Avec deux priorités : préférer à la chimère du régime unique la convergenc­e progressiv­e des droits et des cotisation­s et la suppressio­n des inégalités les plus choquantes liées aux régimes spéciaux; se concentrer sur le rétablisse­ment de l’équilibre financier, qui implique de relever l’âge légal de départ à 64 ans – seule mesure à même de combler le déficit structurel de 1 % du PIB. Napoléon rappelait à bon droit qu’il revient au chef de l’Etat de « préserver les génération­s à venir contre la cupidité des génération­s présentes, sans recourir à la banquerout­e » : cela n’est pas moins vrai en matière de retraites que pour la protection de l’environnem­ent !

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Son vin reçut enfin le label Sevesocert.

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