Trahison des Kurdes, suicide de l’Occident
L’offensive turque démontre la décomposition de l’Alliance atlantique, qui a fondé la sécurité des démocraties depuis 1949.
L’histoire des peuples et de leurs conflits se confond avec celle des trahisons, mais ces dernières profitent rarement à leurs auteurs. Comme le rappela Churchill lors de la signature des accords de Munich, le déshonneur conduit plus souvent à la guerre en position défavorable qu’il ne la désamorce. Ainsi, la guerre d’Espagne, qui servit de banc d’essai à la Seconde Guerre mondiale, vit les démocraties abandonner la république espagnole en s’abritant à l’été 1936 derrière un pacte de non-intervention qu’elle furent seules à respecter, tandis que l’Allemagne hitlérienne et l’Italie mussolinienne soutenaient massivement les insurgés franquistes. De même, la guerre de Syrie, qui constitue le laboratoire des conflits sans fin du XXIe siècle, est aujourd’hui marquée par le lâchage en rase campagne des Kurdes face à la démocrature turque de Recep Tayyip Erdogan.
L’offensive déclenchée par la Turquie contre les Kurdes ne se réduit pas à un nouvel épisode de la guerre sans fin de Syrie qui a fait 450 000 morts et 12 millions de déplacés et réfugiés sur une population de 22 millions d’habitants. Le blanc-seing donné par Donald Trump à Recep Tayyip Erdogan avec le retrait des 1 000 soldats américains qui protégeaient les Kurdes constitue un tournant pour le Moyen-Orient comme pour ce qui restait d’Occident.
L’Etat islamique est né du chaos provoqué en Irak par l’intervention militaire des Etats-Unis puis de leur désengagement décidé par Barack Obama sur fond d’échec du Printemps arabe. Entre sa proclamation en juin 2014 et la chute de Mossoul et Raqqa en 2017, le Califat a contrôlé un territoire qui a atteint 250 000 kilomètres carrés, créé un axe de la terreur du Nigeria à l’Afghanistan et perpétré de multiples attentats. Les Kurdes ont joué un rôle décisif dans sa défaite militaire en Irak et en Syrie en tant que principaux alliés de la coalition. Au prix de 11 000 morts. L’offensive turque relance l’escalade des violences dans le conflit syrien. Le déséquilibre des forces en présence ne laisse d’autre choix aux Kurdes que de rechercher le soutien de Damas et de Moscou. La Turquie pourrait ainsi subir en Syrie la sanction qu’encourent les pays qui recourent à la guerre quand elle n’est pas nécessaire – éprouvée par les Etats-Unis au Vietnam et en Irak comme par l’URSS en Afghanistan. En tout état de cause, les conséquences sont dévastatrices et dépassent largement la frontière nord de la Syrie.
Les Kurdes détenaient 90 000 prisonniers rescapés de l’Etat islamique, dont 10 000 djihadistes, parmi lesquels 2 000 Européens et 500 Français : leur libération inéluctable est la première étape vers leur retour dans leurs pays d’origine, facilité par la complaisance de la Turquie, qui avait déjà favorisé leur transit vers la Syrie. La Turquie, membre de l’Otan, affronte non seulement avec les Kurdes des alliés de la coalition, mais a bombardé les forces spéciales américaines, ce qui démontre la décomposition de l’Alliance atlantique, qui a fondé la sécurité des démocraties depuis 1949.
L’abandon des Kurdes, venant après le lâchage de l’Egypte face aux Frères musulmans, confirme enfin le désengagement des Etats-Unis du Moyen-Orient et l’inanité de leur engagement auprès de leurs alliés. Cette nouvelle donne est critique pour Israël, qui est promis au même sort que les Kurdes, mais aussi pour Taïwan et pour l’Europe.
Le fiasco syrien n’est qu’un pan de la débâcle de la politique étrangère des Etats-Unis. Donald Trump a perdu tous les bras de fer qu’il a engagés avec la Chine, l’Iran, la Corée du Nord et le Venezuela. Le départ annoncé d’Afghanistan ouvre la
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En détruisant la puissance des Etats-Unis, Donald Trump est en passe d’exaucer les voeux de Xi Jinping et de Vladimir Poutine.