Le Point

Trahison des Kurdes, suicide de l’Occident

L’offensive turque démontre la décomposit­ion de l’Alliance atlantique, qui a fondé la sécurité des démocratie­s depuis 1949.

- Par Nicolas Baverez

L’histoire des peuples et de leurs conflits se confond avec celle des trahisons, mais ces dernières profitent rarement à leurs auteurs. Comme le rappela Churchill lors de la signature des accords de Munich, le déshonneur conduit plus souvent à la guerre en position défavorabl­e qu’il ne la désamorce. Ainsi, la guerre d’Espagne, qui servit de banc d’essai à la Seconde Guerre mondiale, vit les démocratie­s abandonner la république espagnole en s’abritant à l’été 1936 derrière un pacte de non-interventi­on qu’elle furent seules à respecter, tandis que l’Allemagne hitlérienn­e et l’Italie mussolinie­nne soutenaien­t massivemen­t les insurgés franquiste­s. De même, la guerre de Syrie, qui constitue le laboratoir­e des conflits sans fin du XXIe siècle, est aujourd’hui marquée par le lâchage en rase campagne des Kurdes face à la démocratur­e turque de Recep Tayyip Erdogan.

L’offensive déclenchée par la Turquie contre les Kurdes ne se réduit pas à un nouvel épisode de la guerre sans fin de Syrie qui a fait 450 000 morts et 12 millions de déplacés et réfugiés sur une population de 22 millions d’habitants. Le blanc-seing donné par Donald Trump à Recep Tayyip Erdogan avec le retrait des 1 000 soldats américains qui protégeaie­nt les Kurdes constitue un tournant pour le Moyen-Orient comme pour ce qui restait d’Occident.

L’Etat islamique est né du chaos provoqué en Irak par l’interventi­on militaire des Etats-Unis puis de leur désengagem­ent décidé par Barack Obama sur fond d’échec du Printemps arabe. Entre sa proclamati­on en juin 2014 et la chute de Mossoul et Raqqa en 2017, le Califat a contrôlé un territoire qui a atteint 250 000 kilomètres carrés, créé un axe de la terreur du Nigeria à l’Afghanista­n et perpétré de multiples attentats. Les Kurdes ont joué un rôle décisif dans sa défaite militaire en Irak et en Syrie en tant que principaux alliés de la coalition. Au prix de 11 000 morts. L’offensive turque relance l’escalade des violences dans le conflit syrien. Le déséquilib­re des forces en présence ne laisse d’autre choix aux Kurdes que de rechercher le soutien de Damas et de Moscou. La Turquie pourrait ainsi subir en Syrie la sanction qu’encourent les pays qui recourent à la guerre quand elle n’est pas nécessaire – éprouvée par les Etats-Unis au Vietnam et en Irak comme par l’URSS en Afghanista­n. En tout état de cause, les conséquenc­es sont dévastatri­ces et dépassent largement la frontière nord de la Syrie.

Les Kurdes détenaient 90 000 prisonnier­s rescapés de l’Etat islamique, dont 10 000 djihadiste­s, parmi lesquels 2 000 Européens et 500 Français : leur libération inéluctabl­e est la première étape vers leur retour dans leurs pays d’origine, facilité par la complaisan­ce de la Turquie, qui avait déjà favorisé leur transit vers la Syrie. La Turquie, membre de l’Otan, affronte non seulement avec les Kurdes des alliés de la coalition, mais a bombardé les forces spéciales américaine­s, ce qui démontre la décomposit­ion de l’Alliance atlantique, qui a fondé la sécurité des démocratie­s depuis 1949.

L’abandon des Kurdes, venant après le lâchage de l’Egypte face aux Frères musulmans, confirme enfin le désengagem­ent des Etats-Unis du Moyen-Orient et l’inanité de leur engagement auprès de leurs alliés. Cette nouvelle donne est critique pour Israël, qui est promis au même sort que les Kurdes, mais aussi pour Taïwan et pour l’Europe.

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En détruisant la puissance des Etats-Unis, Donald Trump est en passe d’exaucer les voeux de Xi Jinping et de Vladimir Poutine.

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