Le Point

Les meilleurs alliés des islamistes et de l’extrême droite sont les partisans du déni

- Etienne Gernelle

A peine vingt minutes d’émission et tout s’éclaire. Pour bien comprendre la confusion mortifère actuelle sur l’islamisme, il faut écouter – elle est disponible sur Internet – une émission de France Culture diffusée le 12 octobre, dont le nom est « La Fabrique médiatique ». On y voit apparaître, de manière lumineuse, la fabrique de l’amalgame.

Son titre : « Les médias face à l’islam : à quoi jouent-ils ? ». Deux invités : l’un journalist­e à Télérama, l’autre ancien de Libération et fondateur de L’Observatoi­re des médias. En réalité, les deux pensent la même chose, ce qui simplifie le débat. L’animatrice, Caroline Broué, est aussi sur la même ligne, comme ça personne n’est embêté par le contradict­oire. Peu gênée par le ridicule de la situation et la privatisat­ion de l’émission par un bord politique, notre fine équipe entonne donc son refrain : on parle trop de ce sujet, taisez-vous ! Tout était clair dès le tweet annonçant l’émission, aggloméran­t une quinzaine de couverture­s d’hebdomadai­res, de Marianne à L’Express en passant par Valeurs actuelles,

Le Nouvel Observateu­r et Le Point, datant de 2012 et traitant de sujets aussi différents que l’islamisme, le djihadisme, le communauta­risme, l’islam en tant que religion (ce qui n’est pas la même chose) et même les chrétiens d’Orient… Des titres de presse aux positions extraordin­airement diverses, dont les propos portaient sur des thèmes très distincts. Mais rien, ou si peu, ne convient, donc, à nos professeur­s de morale. Tout, ou presque, est suspect, « jeu » dangereux... L’émission est à l’avenant : une longue liste de mises à l’index (hors Le Monde, bien sûr). Les médias manquent souvent de prudence, certes, ce n’est pas un scoop ! Mais, à condamner si largement les propos de bistrot comme les enquêtes au long cours, ce n’est plus un appel à la raison, c’est une injonction au silence.

Surtout, en s’indignant du traitement de l’islamisme au nom des musulmans, « La Fabrique médiatique » met les deux dans le même sac : le grand amalgame. Le même – avec un prisme inversé – que celui de l’extrême droite xénophobe, qui pourra ainsi dire qu’elle avait raison. De quoi ravir aussi les islamistes, dont le rêve est d’enrôler de force dans leur quête morbide les musulmans qui, dans leur immense majorité, sont très éloignés d’eux, voire les détestent. L’amalgame xénophobe a un frère jumeau : l’amalgame du déni.

Les deux reposent d’ailleurs sur le même essentiali­sme, la même assignatio­n à sa religion ou à ses origines, le même mépris du libre arbitre, le même mépris tout court.

Il est vrai qu’en matière de mépris l’animatrice de l’émission, Caroline Broué, s’était déjà illustrée en demandant à la grande écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie s’il existait des librairies au Nigeria…

Au passage, on notera que, pour une émission de France Culture – qui vaut bien mieux que cela par ailleurs –, ces participan­ts ont montré un goût modéré pour la lecture. Ils s’étonnent ainsi – pour s’en indigner – de la résurgence dans les médias du terme « collabo » à propos de ceux qui manifesten­t de l’indulgence envers les islamistes. S’ils s’étaient donné la peine de lire l’un des essais les plus importants de la rentrée, celui de Riss, patron de Charlie Hebdo, ils auraient su pourquoi. Dans « Une minute quarante-neuf secondes » (Actes Sud), Riss consacre un chapitre entier à ce qu’il appelle les « collabos ». Et s’en explique longuement. A quand une émission « La Fabrique médiatique » intitulée « A quoi joue Charlie Hebdo » ? Parce qu’on connaît la réponse : à rester libre. Et Charlie en a déjà payé le prix.

Le déni n’est pas que consternan­t. Il a parfois des conséquenc­es. Le « silence dans les rangs », l’injonction de se taire sous peine d’être qualifié d’islamophob­e est directemen­t en cause dans l’attentat de la préfecture de police de Paris. Des collègues de Mickaël Harpon n’ont pas osé mettre par écrit ce qu’ils avaient vu ou entendu.

De ce point de vue, la réponse d’Emmanuel Macron a été en partie à côté de la plaque. Lorsqu’il parle de « société

de vigilance » – à la consonance désagréabl­e avec « société de surveillan­ce » –, il commet une erreur de diagnostic. Ce n’est pas un défaut de vigilance qui est en question, mais un défaut de liberté. Ou comment on passe en un éclair du déni à la suspicion généralisé­e. La leçon vaut pour lui comme pour ces autruches moralisant­es qui ont sévi la semaine dernière sur France Culture : la posture nuit toujours à la mesure

En s’indignant du traitement de l’islamisme au nom des musulmans, « La Fabrique médiatique » (sur France Culture) met les deux dans le même sac : le grand amalgame.

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