Fiac 2019 : quand les artistes se mettent au vert
Blocs de banquise, sculptures en toiles d’araignée, célébration de l’arbre… L’édition 2019 de la Fiac (du 17 au 20 octobre) reflète la prise de conscience générale de l’état catastrophique du monde.
Les forêts brûlent, les glaciers fondent, farcis de plastique, les oiseaux et les poissons disparaissent des airs et des mers, et l’humanité s’en émeut. Enfin. Mais il n’y a pas que Greta Thunberg dans la vie ! Les artistes aussi se mobilisent, et comme jamais. Outre-Manche, en juillet, la prestigieuse Tate Modern, à Londres, déclarait solennellement qu’elle prendrait part, à travers sa programmation, à l’urgence climatique. A Istanbul, le commissaire de la Biennale, Nicolas Bourriaud, intitulait l’édition inaugurée en septembre « Le septième continent », du nom de ce territoire de déchets plastiques qui occupe plus de 1,6 million de kilomètres carrés dans l’océan Pacifique. La très influente collectionneuse autrichienne Francesca von Habsburg, à la tête de la fondation TBA21, a annoncé, le 25 septembre, qu’elle créait un fonds spécial de recherche en faveur de la préservation des océans, après avoir montré, pendant la Biennale de Venise, le projet « Ocean Space », de l’artiste Joan Jonas, une installation immersive présentée comme « l’ambassade des océans », située dans l’église San Lorenzo. Le sacrifice annoncé de l’esthétique sur l’autel de l’engagement politique? Certainement pas. « Les artistes sont des génies. Leurs discours remplis de sous-entendus et de poésie touchent plus intimement le public que n’importe quel discours politique », répond Francesca von Habsburg.
La Fiac n’échappe pas à cette révolution des consciences. La question du sauvetage de notre « maison qui brûle», comme disait Jacques Chirac, est au coeur de cet événement porté par 199 galeries, en provenance de 29 pays, installé comme toujours au Grand Palais, au jardin des Tuileries ainsi qu’au Petit Palais, qui rayonne dans toute la ville. Petit indice : l’une des affiches de la Fiac, imaginées par l’agence M/M Paris, représente des requins, aujourd’hui menacés d’extinction. Sa directrice, Jennifer Flay (lire son entretien p. 112), confirme l’importance de cette ■
préoccupation dans l’édition 2019 : « Je suis frappée par le fait que les artistes aient encore intensifié ces dernières années leur engagement en matière de climat. »
Bien sûr, dans l’histoire de l’art, la célébration de la nature a toujours existé. Au XIXe siècle, les peintres allaient « sur le motif » pour retranscrire la puissance des flots (Courbet), les variations du ciel (Turner) ou pour s’extasier dans les champs de tournesol (Van Gogh). Au XXe siècle, en pleine ère industrielle, on a assisté, notamment en Italie, à l’émergence de l’Arte povera, mélange d’avant-garde et de bon sens paysan qui militait pour les retrouvailles avec la terre et la simplicité. Loin de la fascination d’un Warhol pour la société de consommation, l’Italien Giuseppe Penone propose des installations de feuilles de laurier ou d’épines de rose. Certes, on ne prétendra pas qu’il existe aujourd’hui une « école » qui regrouperait ces lanceurs d’alerte venus des arts plastiques, mais il semble que les artistes expriment massivement, chacun à leur manière, une préoccupation humaniste.
Loin de la fascination d’un Warhol pour la société de consommation, Giuseppe Penone propose des installations de feuilles de laurier.
énergies renouvelables, la réduction des émissions de CO2 et la protection de notre planète », précise le communiqué. Eliasson résume : « Nous sommes tous dans le même bateau. » Sa galerie berlinoise, Neugerriemschneider, est présente à la Fiac.
Energies fossiles. Même message limpide chez l’artiste d’origine thaïlandaise Rirkrit Tiravanija (né en 1961), dont les oeuvres sont montrées chez la galeriste parisienne Chantal Crousel. S’il est connu pour son idéal de partage, concrétisé par ses « repas communautaires » (la performance de soupe populaire « Soup/ No Soup » servie au Grand Palais en 2012), ou par ses projets utopiques, comme « The Land » (la terre), qui visait à acquérir et à cultiver dans un esprit collectif des rizières situées près de Chiang Mai, il a aussi imprimé sur différents supports, du tee-shirt au panneau de bois, des messages d’ordre politique. L’un d’eux est particulièrement explicite : « Menos petroleo, mas valor » (« moins de pétrole et plus de valeurs »).
Pour rester dans le pétrole, ou plutôt pour apprendre à s’en passer, le roi du combat contre les énergies fossiles est l’Argentin Tomas Saraceno (né en 1973), qui occupait tout le Palais de Tokyo l’an dernier, avec, entre autres créations, ses montgolfières zéro carbone et ses sculptures bio en toiles d’araignée, tissées devant les spectateurs par les arachnides eux-mêmes. On retrouve ses oeuvres sur le stand d’Eva Presenhuber, tout comme celles du Français Pierre Huyghe (né en 1962), qui s’intéresse lui aussi, sous différentes formes (vidéos, installations, dessins, etc.), à l’impact de l’homme sur l’environnement.
Voir sa vidéo postapocalyptique « Human Mask », dont l’héroïne est un chimpanzé habillé en petite fille qui fait le service dans un café près d’un Fukushima en ruine, déserté par les humains. Sur le stand de Kamel Mennour, il faudra être attentif au travail du Franco-Marocain Hicham Berrada (né en 1986), exposé au Louvre-Lens l’été dernier et à la Pointe de la douane (La Punta della Dogana), à Venise, jusqu’en décembre (1), et qui a conçu des petites serres dont les plantes réagissent à la lumière et aux brumes artificielles. Le sujet de l’environnement est également exploré à travers le cycle de conférences de la ■
« Nous sommes tous dans le même bateau. » Olafur Eliasson
Conversation room du Grand Palais. Le 18 octobre, Marion Semblat, fondatrice de l’association Time for the Ocean, invite plusieurs spécialistes, dont l’artiste Fabrice Hyber, à parler du plastique (autour duquel ce dernier a lancé plusieurs projets) et de ses conséquences sur la planète. Enfin, l’opération la plus ludique et dont les effets seront les plus immédiats est la tombola baptisée « Un Picasso pour 100 euros », organisée par l’ONG Care. L’oeuvre mise en jeu, une nature morte des années 1920 d’une valeur estimée à 1 million d’euros, offerte par le marchand d’art et collectionneur David Nahmad, est exposée à l’entrée de la foire. Chacun peut tenter sa chance. Les fonds récoltés serviront à financer l’alimentation en eau d’écoles au Cameroun, à Madagascar et au Maroc. Ainsi en 2019, même le marché de l’art, pourtant connu comme l’un des fiefs des intérêts individuels, semble prendre, de manière salutaire, le chemin des combats collectifs
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1. La Punta della Dogana est un musée de la Fondation Pinault. François Pinault est propriétaire du Point. Fiac, du 17 au 20 octobre 2019, Paris. www.fiac.com