Roman (M. Sabolo) : la forêt des sortilèges
Quand l’Eden cache l’enfer : Monica Sabolo explore la cruauté de la nature.
Monica Sabolo aime les lisières, la psyché fragile des adolescent(e)s et la poésie. Après les remarqués « Cran-Montana » et « Summer », elle publie «Eden», un texte magnétique habité de héros janusiens, d’esprits « Top of the Lake » (saison 1) et de sylves à la David Vann.
Il faut dire que cette réserve indécise, quelque part tout en haut de la mappemonde, n’est pas faite pour la vie, pour le mouvement et les pulsations vivaces d’un coeur humain. La nature y est colossale, si puissante que devant elle les hommes ressemblent à des vers, des corps mous et dérisoirement mortels. C’était un temple pour les esprits, plutôt, et les mousses fluorescentes, un autre monde, un trou noir d’arbres et de lacs, surtout la nuit. Chaque été, les campeurs des villes y faisaient claquer les portières de leurs 4 x 4, mais cette forêt n’était ni à explorer ni à contempler, elle était à fuir : elle mangeait les hommes. Nita l’Indienne savait tout ça. Lucy la Blanche aussi. Elle était arrivée au début de l’année. Tous les garçons voulaient la peloter. Nita aurait bien aimé la rencontrer, mais elle l’a surtout observée, presque traquée. Etrange Lucy, quasi muette, mal dans sa peau, « pâle et zébrée ». « Elle errait dans un monde immatériel, écrit Sabolo, seul son corps semblait être parmi nous». Et puis, un jour, elle a disparu, son corps a été retrouvé nu, rouge et pelotonné au creux d’une racine. A son cauchemar se mêlent alors ceux des autres boutonneux qui endurent ou imaginent. La mise en scène est pénétrante, atmosphérique, toxique, d’une noirceur irradiante. Sabolo n’écrit pas des thrillers, Sabolo écrit de grands sortilèges. Patiemment, elle fouille la forêt étrange et les âmes de ses enfants perdus. C’est un glissement, un frisson d’inquiétude, comme une nappe que l’on tire doucement et qui finira, on le sait, par tout faire précipiter
■
« Eden », de Monica Sabolo (Gallimard, 288 p., 19,50 €).
« Je veux être là où est la forêt, là où demeurent le mystère et le sauvage, là où je peux cacher mes rêves. »
«Eden»