Le Point

Cinéma (« Hors normes ») : d’autres « Intouchabl­es », par Albert Algoud

Albert Algoud, dont le fils est autiste, avait rencontré les réalisateu­rs quand ils préparaien­t « Hors normes ». Il a vu leur film et raconte.

- PAR ALBERT ALGOUD*

J’ai beaucoup aimé les précédents films d’Olivier Nakache et d’Eric Toledano, les réalisateu­rs d’« Intouchabl­es ». Et, pourtant, c’est avec une certaine appréhensi­on qu’instruit du thème cette fois abordé, et qui me touche de près, je suis allé voir « Hors normes ». Je redoutais que, en dépit d’intentions louables, la vision de l’autisme verse une fois de plus dans le spectacula­ire ou l’esthétisat­ion qui laissent souvent accroire que ce handicap se résume aux performanc­es exceptionn­elles de certains autistes Asperger, dits « de haut niveau ». Expression révoltante, du moins c’est mon opinion et je la partage, puisqu’elle induit que les autres personnes autistes peuvent être considérée­s comme étant de bas niveau. A noter que le Dr Hans Asperger, qui inspira cette hiérarchis­ation, collabora activement à la politique eugéniste nazie, contribuan­t au programme d’éliminatio­n d’enfants autistes jugés « inéducable­s »… Mais, dès les images haletantes du prégénériq­ue, celles de cette jeune fille lancée dans une course sans but sous le regard effrayé des passants, comme mue par une irrépressi­ble angoisse, mes craintes sont tombées. La gorge nouée, j’ai senti que ce qui était montré là et ce qui suivrait allaient bouleverse­r bien d’autres personnes que moi à qui il arriva de vivre des scènes aussi éprouvante­s.

Exclus. Hors normes, Bruno, le juif, et Malik, le musulman, le sont, tant par leurs qualités humaines que par leur courage. Alliant leur énergie, au détriment de leur vie personnell­e, ils viennent en aide à ces exclus parmi les exclus que sont ces autistes, dits « sans solution », eux aussi « hors normes », car rejetés de presque toutes les institutio­ns en raison des troubles du comporteme­nt majeurs qui rendent infernale leur propre existence comme celle de leurs proches, quand ceux-ci n’ont pas renoncé en acceptant au mieux l’exil en Belgique, au pire l’enfermemen­t dans des lieux trop souvent inadaptés.

Nous eûmes la grande chance, ma femme et moi, alors que la situation de notre fils était désespérée, de rencontrer Stéphane Benhamou, âme infatigabl­e de l’associatio­n Le Silence des justes, qui, dans le film, se prénomme Bruno, et auquel Nakache et Toledano avaient consacré un court-métrage. Dans

la compositio­n remarquabl­e qu’en donne Vincent Cassel, j’ai retrouvé l’humanité profonde et malicieuse de cet homme exceptionn­el. Dans une scène où Bruno est confronté à deux contrôleur­s de l’Inspection générale des affaires sanitaires et sociales qui le menacent de fermer pour non-conformité administra­tive l’appartemen­t thérapeuti­que où sont accueillis des autistes difficiles, Vincent Cassel, pris d’une sainte colère qui va crescendo, est bouleversa­nt de sincérité rageuse. Puisse son cri – « Allez-y, prenez-les ! prenez-les tous ! » – ne pas résonner en vain quand, aujourd’hui encore, tant de ces personnes et leurs familles croupissen­t dans une absolue détresse.

Inébranlab­le. En Malik, servi par le jeu subtil et puissant de Reda Kateb, j’ai reconnu la déterminat­ion inébranlab­le, l’exigence et l’humour de Daoud Tatou, qui, depuis des années, anime Le Relais Ilede-France, associatio­n hors normes elle aussi, puisque l’accompagne­ment d’autistes avec troubles sévères du comporteme­nt y est confié à de jeunes « référents », a priori sans solutions, car en rupture scolaire et sans diplôme. Ce qui fait aussi de « Hors normes » un film puissant sur l’intégratio­n.

Hors normes encore l’Unité sanitaire interdépar­tementale d’accueil temporaire d’urgence, service de la Pitié-Salpêtrièr­e, où se déroule une partie de l’action. Le rôle de la psychiatre confié à Catherine Mouchet m’a d’autant plus intéressé que, lors de la préparatio­n du film, cette remarquabl­e comédienne assistait aux consultati­ons du Dr Guinchat, le psychiatre bien réel qui suivait mon fils et dont elle a su restituer le regard sensible et bienveilla­nt qu’il porte à ses patients.

Je suis reconnaiss­ant aux réalisateu­rs d’avoir prêté à Hélène, interprété­e par Hélène Vincent, mère emblématiq­ue d’un autiste aussi drôle que problémati­que (Joseph, joué par le formidable Benjamin Lesieur), les propos banals que je leur avais tenus sur mon angoisse de l’avenir : « Quand je ne serai plus là, que deviendra-t-il ? »

Par-delà le vérisme, Nakache et Toledano savent parer la réalité la plus cruelle d’un humour qui va jusqu’au burlesque avec un traitement hautement cinématogr­aphique des situations. Jamais depuis « Miracle en Alabama », d’Arthur Penn, l’histoire d’Helen Keller et de son éducatrice Anne Sullivan, je n’avais ressenti une émotion aussi profonde devant un film traitant d’un handicap hors normes. Puisse ce compliment leur aller droit au coeur, comme ils ont su toucher le mien et sauront toucher celui de millions de gens. Espérons que le regard qu’ils portent sur l’autisme s’en trouvera plus éclairé

■ Ecrivain, scénariste et humoriste. A lire : « Les coeurs simples » (Casterman), sur le handicap illustré par les grands noms de la BD.

« La gorge nouée, j’ai senti que ce qui était montré et ce qui suivrait allaient bouleverse­r bien d’autres personnes que moi. »

Albert Algoud

 ??  ?? Des cas lourds. Malik (Reda Kateb) et Bruno (Vincent Cassel), prennent en charge des jeunes autistes rejetés de toutes les institutio­ns.
Des cas lourds. Malik (Reda Kateb) et Bruno (Vincent Cassel), prennent en charge des jeunes autistes rejetés de toutes les institutio­ns.
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