Le Point

Francis Ford Coppola : « Je veux faire “Megalopoli­s” avant de mourir »

Son prochain film, les plateforme­s, le futur du cinéma… Le parrain du septième art nous dit tout.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE GUEDJ

La trilogie du « Parrain », « Conversati­on secrète », « Apocalypse Now », « Coup de coeur », « Rusty James », « Cotton Club », « Dracula »… C’est un monstre du septième art que le 11e Festival Lumière de Lyon s’apprête à célébrer. Francis Ford Coppola n’est plus vraiment un ogre depuis qu’il a perdu 30 kilos en 2019, au terme d’un régime strict suivi durant quatre mois dans une clinique spécialisé­e. Mais, plus que jamais, la faim de nouvelles aventures tenaille le parrain du cinéma américain. Tout d’abord pour le projet « Megalopoli­s », son Arlésienne de plus de trente ans, épopée d’anticipati­on sur la reconstruc­tion de New York après un cataclysme, dont Coppola entend bien faire une ode au progrès humain. Il fut très près de réaliser ce rêve hors norme en 2001, avant que le 11 septembre enterre durablemen­t l’affaire. Des Etats-Unis, où il venait de présenter un nouveau montage de « Cotton Club » au New York Film Festival (après le final cut d’« Apocalypse Now » en août), cet éternel chirurgien de ses propres oeuvres nous le jure : cette fois sera la bonne et, pour financer « Megalopoli­s », la puissante agence artistique CAA l’aidera à réunir une affiche alléchante aux yeux des studios. Se tenant fermement à son devoir d’optimisme, cet artiste complet à la vie opératique, risque-tout qui paya très cher ses échecs les plus retentissa­nts, serait donc prêt à livrer un ultime combat au service d’un candide message universel d’espoir. Rencontre avec un homme qui, à 80 ans, a toujours soif d’apprendre des autres, refusant la posture du maestro omniscient

Le Point: « Le parrain », « Apocalypse Now », « Coup de coeur », «Outsiders»… font partie des plus grands films américains de ces cinquantes dernières années.

Et vous, comment vous voyez-vous? Francis Ford Coppola:

On ne cesse d’apprendre et je me considérer­ai toujours comme un éternel étudiant en cinéma, qui a autant à apprendre des jeunes qu’ils peuvent apprendre de moi. L’Amérique devrait d’ailleurs se doter d’un ministère de la Jeunesse, tant ils sont notre trésor et notre avenir. Comme certains peintres, sculpteurs ou danseurs, beaucoup de réalisateu­rs sont nés avec un don divin. Et je n’en fais pas partie, contrairem­ent à des cinéastes que j’admire comme Roman Polanski, Steven Spielberg, William Wyler et tant d’autres… Je n’ai pas leur génie. Mes films sont nés avant tout d’un enthousias­me débordant et de beaucoup de travail, souvent des nuits entières, pour compenser cette absence de talent divin. Je ne me reconnais qu’une seule véritable aptitude : un certain don pour voir l’avenir. Dans « Conversati­on secrète », j’ai en effet compris à l’avance que notre vie privée et notre besoin de préserver nos pensées les plus intimes allaient être de plus en plus menacés par les nouvelles technologi­es. « Les gens de la pluie », que j’ai réalisé avant « Le parrain », est un film qui parle d’une jeune femme en fuite parce qu’elle veut s’accomplir en tant que femme et non comme épouse ou mère… J’ai écrit ce film dix ans avant le début du mouvement féministe aux Etats-Unis. Je serais d’ailleurs très curieux de voir comment les jeunes féministes actuelles le perçoivent. Donc oui,

« Conversati­on secrète » et « Les gens de la ■ pluie », comme tous les films que j’ai écrits moimême, ont cette qualité d’avoir anticipé le futur. Pour répondre à votre question, j’ai justement une préférence pour ces films que j’ai écrits et réalisés, plutôt que ceux que j’ai réalisés à partir du travail d’écriture d’un autre. C’est normal, je les considère davantage comme mes bébés. Et « Conversati­on secrète » et « Les gens de la pluie » sont les plus personnels à mes yeux. Pour les autres, j’ai toujours tenu à associer à leur titre l’auteur du roman original, sur les affiches et au générique d’ouverture – « Le parrain » de Mario Puzo, « Dracula » de Bram Stoker…

Pourquoi avoir répondu favorablem­ent à l’invitation de Thierry Frémaux pour cette 11e édition du Festival Lumière?

Lyon est le temple de l’histoire du cinéma. Plusieurs personnes ont contribué à la naissance du cinéma, mais les frères Lumière sont bien les tout premiers à avoir créé la caméra et le projecteur, inventant ainsi le cinéma en tant qu’expérience collective dans une salle. Et puis je suis de plus en plus attiré par les festivals strictemen­t cinéphiles, ceux qui se contentent de célébrer le septième art comme une merveilleu­se tradition, quand la plupart des grands festivals internatio­naux sont pollués par les pires aspects de cette industrie : le marketing, la publicité, les jeux de pouvoir, où certains malfaisant­s s’efforcent de détruire la réputation des cinéastes. J’adore cette bulle d’oxygène que représente le Festival Lumière, qui célèbre positiveme­nt la culture.

«Je me considérer­ai toujours comme un éternel étudiant en cinéma, qui a autant à apprendre des jeunes qu’ils peuvent apprendre de moi. »

Vous n’avez cessé d’expériment­er de nouvelles technologi­es pour vos films – le zoom d’ouverture du « Parrain », piloté par ordinateur, les innovation­s sonores d’« Apocalypse Now », l’usage de la vidéo pour monter « Coup de coeur »… Doit-on attribuer cette fascinatio­n pour la technique à votre propre grand-père?

De mon grand-père paternel à ma petite-fille Gia, qui, à 32 ans, va réaliser son deuxième long-métrage, nous sommes cinq génération­s de Coppola à travailler dans le business du cinéma. Agostino Coppola, le père de mon père, a effectivem­ent conçu et construit le Vitaphone, procédé qui a permis le passage au cinéma parlant, même si l’idée originale ne lui revient pas puisqu’il s’agissait d’une commande des studios Warner. Mon grand-père maternel était quant à lui propriétai­re d’une salle à Brooklyn, où il faisait découvrir le cinéma à un public composé majoritair­ement d’immigrés italiens. Donc oui, peut-être par atavisme familial, j’ai toujours été fasciné par les techniques liées au cinéma et j’aime envisager l’avenir de leur évolution.

Pour les 40 ans d’« Apocalypse Now », en 2019, vous avez proposé un troisième montage du film, « Final Cut ». Vous venez aussi de remonter votre magnifique « Cotton Club ». Un film n’est donc jamais fini à vos yeux?

Cela dépend du contexte dans lequel je l’ai fait et de ce que je pense du résultat. Je n’ai aucun désir de remonter « Conversati­on secrète », car il m’a toujours plu tel qu’il est. Pour « Apocalypse Now » et « Cotton Club », c’est différent. J’ai dû à l’époque céder aux injonction­s de studios qui m’ordonnaien­t de couper ces films pour leur donner une chance de survivre en salle. Je préférais les voir sortir mutilés plutôt que ne pas les voir naître du tout. Pour un réalisateu­r, même s’il n’en est pas le propriétai­re, un film sera toujours son bébé et, si les médecins disent « il faut couper le bras droit pour que votre bébé survive », vous acceptez de couper le bras droit ! Heureuseme­nt,

 ??  ?? Légende. Amaigri par un régime strict, le roi Coppola s’apprête à revenir dans la grande arène du cinéma.
Légende. Amaigri par un régime strict, le roi Coppola s’apprête à revenir dans la grande arène du cinéma.
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« Les gens de la pluie » (ci-dessus à g.) compte parmi les films les plus personnels de Coppola. On y retrouve Robert Duvall, dans le rôle de Gordon, et Shirley Knight, qui incarne Natalie Ravenna. Ci-dessus à droite, James Caan, Marlon Brando, Al Pacino et John Cazale dans
« Le parrain » (1972), adaptation du roman de Mario Puzo.
Ses « bébés ». « Les gens de la pluie » (ci-dessus à g.) compte parmi les films les plus personnels de Coppola. On y retrouve Robert Duvall, dans le rôle de Gordon, et Shirley Knight, qui incarne Natalie Ravenna. Ci-dessus à droite, James Caan, Marlon Brando, Al Pacino et John Cazale dans « Le parrain » (1972), adaptation du roman de Mario Puzo.

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