Marché du travail : tout ça pour ça…
Analyse. Chantiers prioritaires du quinquennat, les textes défendus par la ministre Muriel Pénicaud tardent à porter leurs fruits.
«On n’a sans doute jamais mené autant de réformes en aussi peu de temps sur le marché du travail. » Cette petite phrase d’autosatisfaction a été prononcée, en juillet, par Muriel Pénicaud. En première ligne dans la mise en place des réformes promises par Emmanuel Macron pendant sa campagne, la ministre du Travail a terminé ses chantiers majeurs du début du quinquennat. Préparées tambour battant dans la foulée des élections législatives, les ordonnances d’assouplissement du Code du travail ont été complétées un an plus tard par la réforme de la formation professionnelle et celle de l’apprentissage. Parallèlement, l’ex-DRH de Danone bâtissait son Plan d’investissement dans les compétences, doté de près de 15 milliards d’euros sur quatre ans, pour offrir des formations sérieuses aux jeunes sans qualification et aux chômeurs. Plus récemment, elle a dévoilé sa réforme de l’indemnisation du chômage. A écouter Muriel Pénicaud, les premiers résultats de cette stratégie globale se font déjà sentir. Pour preuve, elle brandit la « nette accélération » du nombre d’embauches en contrat à durée indéterminée depuis 2017. L’année dernière, 4 millions de CDI ont été signés, un point historiquement haut, selon la Direction des statistiques du ministère du Travail, même si 87 % des nouvelles embauches se font encore en contrats courts (CDD et intérim). Le taux de chômage, lui, diminue lentement mais sûrement, passant de 9,5 % au deuxième trimestre de 2017 à 8,5 % deux ans plus tard.
Grilles des salaires. Le rôle des réformes du gouvernement dans cette tendance reste toutefois sujet à caution. « Le chômage baisse surtout grâce à la conjoncture encore favorable », nuance Pierre Cahuc, professeur à Sciences po, l’un des inspirateurs des réformes d’Emmanuel Macron. Ce spécialiste du marché du travail juge l’effet des ordonnances « décevant ». La possibilité de conclure des accords d’entreprises plus librement afin de permettre à ces dernières de s’adapter à leur environnement économique n’a pas vraiment pris. Les branches professionnelles ont en réalité gardé de grands pouvoirs, notamment celui de décider des grilles des salaires. En cas de nouvelles difficultés économiques, « cela risque de défavoriser beaucoup l’emploi, car les salaires sont très rigides à la baisse et évoluent tous pratiquement de la même manière d’une branche à l’autre », souligne l’économiste. Résultat, l’emploi risque de servir de variable d’ajustement en cas de crise. Muriel Pénicaud avait bien prévu de ne plus étendre systématiquement les
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Les branches professionnelles ont gardé de grands pouvoirs.
accords à toutes les entreprises ■ de la branche, mais cette disposition n’a pas été utilisée. Le comité chargé d’évaluer l’éventuelle nocivité des accords de branche pour la compétitivité des petites entreprises « n’a pas la capacité de rendre des avis documentés », regrette Pierre Cahuc, qui en fait pourtant partie. L’extension de nombreuses conventions collectives à toutes les entreprises du secteur a bien été momentanément bloquée – ces dernières ne contenaient pas, en effet, de dispositions spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés, contrairement à ce qu’exigeaient les ordonnances. Mais la Direction générale du travail a ensuite fourni la phrase légale requise pour qu’elles soient considérées comme conformes…
« Situation absurde ». Quant aux ruptures du contrat de travail, elles seraient encore trop rigides pour les entreprises, toujours selon Pierre Cahuc, même avec l’instauration du barème d’indemnités aux prud’hommes en cas de licenciement injustifié. D’abord parce que la sécurité juridique du dispositif n’est pas totale : malgré un avis contraire de la Cour de cassation, la cour d’appel de Reims a considéré à la fin de septembre qu’un conseil des prud’hommes avait le droit de s’affranchir du barème lorsqu’il ne permettait pas de réparer le préjudice subi par le salarié. Ensuite parce que les conditions des licenciements économiques pour les entreprises, censées avoir été assouplies dans la loi El Khomri, sous François Hollande, seraient encore trop contraignantes. Selon Pierre Cahuc, il faudrait alléger davantage les obligations de reclassement en cas de plan social, parce qu’elles peuvent dissuader de procéder à des réorganisations. De même, la procédure administrative du licenciement économique individuel resterait trop lourde pour être vraiment utilisée, malgré l’allègement des contraintes depuis 2016. « On est dans une situation absurde où il y a très peu de licenciements économiques. La grande majorité des licenciements se font pour motifs personnels, ce qui constitue une sorte de contournement », considère l’économiste.
Les autres chantiers peuventils avoir plus d’effet ? « La réforme de la formation professionnelle est un changement systémique de grande ampleur. Elle crée un marché de la formation qui permet de mieux confronter l’offre et la demande. Jusqu’à présent, les salariés qui voulaient se former devaient passer par des intermédiaires dirigés par les partenaires sociaux au sein des branches professionnelles, les OPCA. Ils formaient une sorte de structure bureaucratique, manquaient de transparence et complexifiaient l’accès aux formations », souligne Pierre Cahuc. Le chantier est toutefois loin d’être achevé. L’application pour téléphone portable censée permettre à chaque salarié de sélectionner facilement sa formation ne sera dévoilée qu’à la fin du mois de novembre. Les Français n’en mesurent donc pas encore les effets dans leur quotidien, loin de là. Le big bang de l’apprentissage pour les jeunes, qui rapproche enfin les besoins des entreprises de l’offre de formation, ne se déploiera pas non plus pleinement avant l’année prochaine, même si, en 2018-2019, le nombre d’entrées dans le dispositif a atteint un record (321 000) grâce au battage autour de la réforme et à la bonne conjoncture. En attendant, le gouvernement mise surtout sur sa révision des règles d’indemnisation du chômage, maintes fois retardée, pour accélérer la baisse du nombre de demandeurs d’emploi. Outre une diminution du plafond d’indemnisation pour les cadres payés plus de 4 500 euros brut par mois au bout du septième mois d’indemnisation, le dispositif acté en juin durcira les règles de calcul de l’indemnité journalière à partir d’avril 2020, afin d’encourager les chômeurs à reprendre un travail.
Scandale. « Il s’agit en fait de mettre fin à des situations aberrantes dans lesquelles des chômeurs qui avaient enchaîné plusieurs contrats courts dans l’année sans travailler tous les jours pouvaient toucher une indemnisation supérieure à leur ancien salaire », rappelle Stéphane Carcillo, chef du département emploi de l’OCDE. Un phénomène qui concerne 1 chômeur indemnisé sur 5. « C’est un problème central, car il génère trop d’allers-retours entre emploi et chômage. Cela gonfle le taux de chômage », considère l’expert. La réforme rappelle celle de Gerhard Schröder, le chancelier allemand social-démocrate, au début des années 2000. « En beaucoup moins violent», précise tout de même Pierre Cahuc. Les syndicats n’en crient pas moins au scandale, d’autant qu’il faudra avoir travaillé non pas quatre mais six mois pour prétendre à l’indemnisation à partir de novembre. Les entreprises, elles, échappent au malus qui devait sanctionner le recours démesuré aux contrats courts par rapport à leurs concurrents,une mesure pourtant promise par Emmanuel Macron pour diminuer la précarité. Le gouvernement espère une réduction du nombre de chômeurs de 150000 à 250000 d’ici à fin 2021. Un ordre de grandeur jugé « plausible » par Stéphane Carcillo. De quoi laisser encore espérer au président, au vu du rythme actuel de création d’emplois, qu’il puisse tenir sa promesse de parvenir à un taux de chômage de 7 % à la fin de son quinquennat. A condition, bien sûr, que la conjoncture mondiale ne se dégrade pas d’ici là
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Les entreprises échappent au malus qui devait sanctionner l’abus de contrats courts.