Le Point

Erreurs de jeunesse

Face cachée. Qu’est-ce qui unit Günter Grass, Yann Moix et Justin Trudeau ? Ils ont tous été rattrapés par leurs 20 ans.

- PAR JULIE MALAURE

«J’assume. J’endosse tout ce que j’ai fait à l’époque avec trois ou quatre cons. On était des types complèteme­nt paumés. J’écrivais, je dessinais, je produisais de la merde. Ces textes et ces dessins sont antisémite­s, mais je ne suis pas antisémite.» Le 28 août, après une semaine d’un feuilleton rocamboles­que, Yann Moix avoue être le coauteur d’un fanzine antisémite et révisionni­ste distribué à la fin des années 1980. « Ushoahia », « un titre affligeant », dixit son auteur, qui se voulait une « provocatio­n » et s’est soldé par un « ratage total ». Dans l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché », l’écrivain demande « pardon » pour ses écrits « abominable­s, abjects et dégradants », et ses « 20 ans ». Mais avoir 20ans est-il un argument à décharge, lorsqu’on a lu, comme Moix, « Gide à 8 ou 9 ans, Péguy à 10 ou 12, tout Sartre avant 15 »?

« La jeunesse est l’âge des extrêmes, nous explique le psychiatre Serge Hefez. On se croit promis à un destin grandiose, on cherche des choses à la mesure de cette exaltation. » De là à basculer dans un engagement radical, il y a un monde. Lequel nécessite qu’au moins deux facteurs soient réunis : « Une part d’ego très forte », et le besoin de combler « des failles intérieure­s ». « C’est le cas, sans doute, de Moix », avance Hefez.

Le contexte historique compte, nous rappelle le psychiatre, à propos du cas Daniel Cohn-Bendit, poursuivi par une affaire douteuse depuis 1975. Cette année-là, l’icône soixante-huitarde fait paraître un livre, « Le grand bazar », dans lequel il décrit ses rapports avec les enfants en termes de « braguette », de « chatouille­s » et de « caresses ». « Ses

propos sur la pédophilie, reprend Serge Hefez, le rapport sexuel entre les éducateurs et les enfants, sorti du contexte, c’est épouvantab­le. Mais à l’époque, ça ne choquait pas. » Dans le sillage de la révolution sexuelle, il nous rappelle que l’enfant était perçu comme « un pervers polymorphe » et qu’on pouvait alors aller « vers des choses extrêmes »…

Autre époque, autres moeurs ? C’est la défense retenue par le cofondateu­r de Mediapart, Edwy Plenel, sommé de s’expliquer sur sa prise de position en faveur des terroriste­s palestinie­ns qui assassinèr­ent onze athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich, en 1972. « Aucun révolution­naire ne peut se désolidari­ser de Septembre noir », pouvait-on lire dans l’hebdomadai­re Rouge, sous la plume d’un certain Joseph Krasny, alias Edwy Plenel. En 2018, le patron à moustache de Mediapart se voit sommé de répondre de cette contributi­on à l’éloge du terrorisme. Edwy Plenel récuse sa position, invoquant, comme Moix, ses « 20 ans » et le fait qu’elle « n’avait rien d’exceptionn­el dans l’extrême gauche de l’époque ». Il ne présente donc pas d’excuses. D’ailleurs, il a encore commémoré la mort de Trotski le 20 août sur Twitter.

Relativise­r les faits à l’aune du contexte, une stratégie adoptée par Angela Merkel, rattrapée par son passé de militante communiste en ex-RDA. La chancelièr­e, interrogée en Allemagne, a joué la carte de la désinvoltu­re et du décalage dans le temps, entre deux époques, deux blocs, de « la lumière très différente vue d’Allemagne de l’Ouest ». Relax, Merkel, avec le communisme. A la différence des autres « ismes » (nazisme, fascisme, antisémiti­sme…), qui bénéficien­t de moins de grâces. On en voudra toujours plus à Céline d’avoir été antisémite qu’à Aimé Césaire d’avoir encensé « l’oeuvre grandiose » de Staline, bien qu’il ait fait « 25 millions de morts », comme le rappelait en 2010 le romancier Marc Dugain, dans Le Point.

Pas question de balayer d’un revers de la main une « erreur de jeunesse » du côté de l’extrême droite. Le repentir est obligatoir­e, même s’il ne se fait pas toujours d’une traite. Nathalie Loiseau, tête de file de la liste LREM aux européenne­s, s’est fait épingler pour avoir figuré en sixième position sur la liste de l’Union des étudiants des droites de Sciences po, en 1984. Une accointanc­e avec l’extrême droite d’un jour, lorsqu’elle avait 20 ans, qu’elle a commencé par nier, avant d’assumer sa faute : « Une vraie connerie »… Une tentative d’échapper à la purge ? Ou, comme l’avance Serge Hefez, le mécanisme de l’enfant saisi la main dans le pot de confiture et qui dit « Ce n’est pas moi » ? « Il y a quelque chose de la toutepuiss­ance enfantine dans ce comporteme­nt », décrypte le psychiatre, qui nous parle de la « pensée magique ». Pour Hefez, le fait de savoir qu’on va être « méprisé, exclu pour un acte que l’on a commis – surtout si on est dans quelque chose d’un peu mégalo, ce qui n’est pas exagéré en ce qui concerne Moix, c’est insupporta­ble ». Le désamour des autres renvoie au désamour de soi, « ce qui revient à dire que vous ne vous aimez pas dans ce que vous avez commis ». On valide aisément cette interpréta­tion en entendant les excuses émises par le chef du gouverneme­nt canadien Justin Trudeau. « Je suis déçu par moimême », lâche-t-il. Son crime ? S’être grimé en Noir lors d’un gala sur le thème des « Mille et une nuits ». Un humour douteux pour certains, un acte raciste pour d’autres, puisqu’il rappelle les moqueries des « blackfaces » au temps de la ségrégatio­n. Pour Justin Trudeau, c’est un retour de bâton d’autant plus ironique qu’il s’est présenté comme le chantre du multicultu­ralisme.

Pour se sortir d’une erreur de jeunesse, mieux vaut battre sa coulpe et «prendre ses responsabi­lités », assure Serge Hefez. Voire prendre les devants, comme Günter Grass. En 2006, le Prix Nobel de littératur­e, âgé de 78 ans, avouait avoir fait partie de la Waffen-SS lorsqu’il en avait 17. Une confession libre, un coming-out de son passé nazi soixante-quatre ans après les faits, parce que ce secret le « hantai[t] depuis toujours ». L’aveu, la repentance, la contrition n’y firent rien. L’ire du tribunal public fut terrible. Günter Grass, « nazi un jour, nazi toujours », pouvait-on lire alors, s’est vu accusé d’utiliser cet aveu pour la promotion de son autobiogra­phie à paraître, « Pelures d’oignon » (Seuil). La rumeur dit qu’on a demandé que son prix Nobel lui soit retiré, ce que l’Académie dément. Néanmoins, le nom de Grass avait perdu de sa superbe; preuve que «faute avouée» n’est pas toujours « à moitié pardonnée ».

Effacement des traces. Un mea culpa public apparaît donc comme noble en théorie, mais demeure peu convaincan­t en matière de préservati­on d’image. Raison pour laquelle ceux qui ont eu accès au pouvoir dans l’histoire ont souvent préféré la méthode radicale de l’effacement des traces. Tel Staline, qui, comme dans « L’Internatio­nale», voulait faire « table rase du passé ». De sa jeunesse, le Petit Père des peuples a essayé de cacher des origines familiales, pas si misérables que ça, le fait de s’être fait virer du séminaire « parce qu’il était nul » plutôt que subversif, et surtout des débuts profession­nels en tant que braqueur de banque. C’était au départ un « voyou », résume le journalist­e Jean-Christophe Buisson, coauteur du « Siècle des dictateurs» (Plon-Perrin). La méthode stalinienn­e, poursuit le jour

Le désamour des autres renvoie au désamour de soi.

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Mea culpa. Le 28 août, l’écrivain Yann Moix demandait pardon pour ses écrits « abominable­s, abjects et dégradants ».
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Faute de goût. Le chef du gouverneme­nt canadien, chantre du multicultu­ralisme, s’était grimé en Noir à l’occasion d’un gala.

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