ADN : l’indigestion
Tic langagier, invoqué et utilisé à tout-va et n’importe comment, le bon vieil acide désoxyribonucléique existe depuis longtemps.
Il est des expressions tartes à la crème qui finiraient par vous flanquer une indigestion. On en viendrait à souhaiter l’instauration d’un jour « sans », comme il existe des journées sans voitures. Ainsi en est-il de l’incontournable « C’est dans l’ADN de… ». Depuis une dizaine d’années, cet emprunt dispensable à la génétique contamine le langage médiatique, politique, sportif ou entrepreneurial. On invoque l’ADN de : sa région, son parti, son entreprise, son équipe, sa chaîne, sa marque… N’y a-t-il pas quelque chose de paradoxal à se calquer sur le discours d’autrui quand on prétend s’en démarquer en se montrant innovant ?
L’omniprésence de l’ADN le fait se glisser dans des proclamations qui sonnent comme des oxymores tels que : « L’innovation, l’ADN de notre entreprise ». On oublie que l’ADN se caractérise par sa grande stabilité plutôt que par l’innovation. Le fait qu’il ne connaisse que quelques rares mutations est justement le garant d’une conservation des caractères de génération en génération.
Que faut-il voir dans cette « scientifisation » du langage courant, qui convoque le vocabulaire de la génétique (ADN), de l’informatique (logiciel), de l’infectiologie (propagation virale) ou de l’ingénierie nucléaire (coeur du réacteur) ? Le désir de conférer au discours un vernis savant, une résonance scientifique, une note d’actualité. Sans doute considère-t-on que l’ADN est tendance. Sauf que sa découverte ne date pas d’hier. Cette substance a été extraite par le biologiste suisse Friedrich Miescher en 1869. L’identification de ses composants chimiques remonte, elle, à 1919. Quant à la démonstration de son rôle de support de l’information génétique par Avery, MacLeod et McCarty, elle date de 1944.
N’en déplaise à ceux qui découvrent cette molécule, l’ADN est pour les biologistes une vieille connaissance. Son irruption dans le parler actuel est sans doute un effet collatéral du décryptage du génome humain et de la banalisation des tests génétiques à vocation médicale, « récréative » ou policière. Mais, s’il est bien la signature génétique de l’individu, l’ADN est aussi la trace indélébile des générations qui l’ont précédé – ne parle-t-on pas de « patrimoine génétique » ? Rapporté à l’entreprise, ce caractère patrimonial renverrait plutôt à la boîte familiale héritée de grandpapa qu’aux Gafam ou autres champions de l’innovation
■ Dernier essai paru : « Bébés à la carte » (Equateurs, 2017).
L’irruption de l’ADN dans le parler actuel est sans doute un effet collatéral de la banalisation des tests génétiques.