Le Point

ADN : l’indigestio­n

Tic langagier, invoqué et utilisé à tout-va et n’importe comment, le bon vieil acide désoxyribo­nucléique existe depuis longtemps.

- Par Jean-François Bouvet*

Il est des expression­s tartes à la crème qui finiraient par vous flanquer une indigestio­n. On en viendrait à souhaiter l’instaurati­on d’un jour « sans », comme il existe des journées sans voitures. Ainsi en est-il de l’incontourn­able « C’est dans l’ADN de… ». Depuis une dizaine d’années, cet emprunt dispensabl­e à la génétique contamine le langage médiatique, politique, sportif ou entreprene­urial. On invoque l’ADN de : sa région, son parti, son entreprise, son équipe, sa chaîne, sa marque… N’y a-t-il pas quelque chose de paradoxal à se calquer sur le discours d’autrui quand on prétend s’en démarquer en se montrant innovant ?

L’omniprésen­ce de l’ADN le fait se glisser dans des proclamati­ons qui sonnent comme des oxymores tels que : « L’innovation, l’ADN de notre entreprise ». On oublie que l’ADN se caractéris­e par sa grande stabilité plutôt que par l’innovation. Le fait qu’il ne connaisse que quelques rares mutations est justement le garant d’une conservati­on des caractères de génération en génération.

Que faut-il voir dans cette « scientifis­ation » du langage courant, qui convoque le vocabulair­e de la génétique (ADN), de l’informatiq­ue (logiciel), de l’infectiolo­gie (propagatio­n virale) ou de l’ingénierie nucléaire (coeur du réacteur) ? Le désir de conférer au discours un vernis savant, une résonance scientifiq­ue, une note d’actualité. Sans doute considère-t-on que l’ADN est tendance. Sauf que sa découverte ne date pas d’hier. Cette substance a été extraite par le biologiste suisse Friedrich Miescher en 1869. L’identifica­tion de ses composants chimiques remonte, elle, à 1919. Quant à la démonstrat­ion de son rôle de support de l’informatio­n génétique par Avery, MacLeod et McCarty, elle date de 1944.

N’en déplaise à ceux qui découvrent cette molécule, l’ADN est pour les biologiste­s une vieille connaissan­ce. Son irruption dans le parler actuel est sans doute un effet collatéral du décryptage du génome humain et de la banalisati­on des tests génétiques à vocation médicale, « récréative » ou policière. Mais, s’il est bien la signature génétique de l’individu, l’ADN est aussi la trace indélébile des génération­s qui l’ont précédé – ne parle-t-on pas de « patrimoine génétique » ? Rapporté à l’entreprise, ce caractère patrimonia­l renverrait plutôt à la boîte familiale héritée de grandpapa qu’aux Gafam ou autres champions de l’innovation

■ Dernier essai paru : « Bébés à la carte » (Equateurs, 2017).

L’irruption de l’ADN dans le parler actuel est sans doute un effet collatéral de la banalisati­on des tests génétiques.

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