Le Point

Pour la coalition internatio­nale, une déroute digne de « Saigon »

- JÉRÉMY ANDRÉ

«Saigon, merde, je suis encore seulement à Saigon ! » Le monologue d’ouverture du film « Apocalypse Now » a dû traverser l’esprit de plus d’un militaire américain ces dernières semaines. D’après le Wall Street Journal, cette référence à « Saigon » a même été faite au plus haut niveau de la coalition avant l’invasion turque. Car le désastre de 1975 reste synonyme de défaite totale, avec des hélicoptèr­es bondés pris d’assaut par la foule en fuite.

Finalement, le retrait de Syrie laissera aux militaires des souvenirs tout aussi cauchemard­esques. A plusieurs reprises, ils se sont retrouvés en vue des soldats syriens et russes ou des groupes armés islamistes radicaux soutenus par la Turquie qui se déployaien­t dans le Nord-Est syrien. Selon des sources kurdes interrogée­s par Le Point, des tirs d’artillerie turque sont même tombés à proximité de positions de la coalition dans la région de Kobané. Vendredi 12 octobre, l’Elysée a d’ailleurs été contraint de démentir auprès de BFMTV une rumeur selon laquelle deux soldats français auraient été blessés de cette manière.

Cette tragédie militaire s’est déroulée à huis clos dans la base « LCF » (Lafarge ciment français), installée dans l’ancienne usine du cimentier (célèbre d’abord pour l’enquête judiciaire dirigée contre lui pour avoir payé tribut à l’Etat islamique). Elle était devenue depuis trois ans le coeur battant des opérations occidental­es dans le nord-est de la Syrie. A l’intérieur, le décor était digne d’un film à la « Mad Max », un labyrinthe d’installati­ons militaires en préfabriqu­és et de bâtiments industriel­s à l’abandon, sillonné par des blindés américains high-tech et dominé par les immenses silos à béton – dont l’ascension était l’objet d’un concours entre Français, Britanniqu­es et Américains –, le tout au son du battement quasi continu des hélices du V-22, un avion américain à décollage vertical faisant un pont aérien avec les bases arrière irakiennes.

Depuis l’annonce du retrait, une partie de la base a été incendiée par ses occupants. Des civils fuyant l’invasion turque ont tenté de trouver refuge à l’intérieur du complexe, avant d’être repoussés par les gardes locaux. Le 15 octobre, les groupes armés soutenus par les Turcs, des islamistes radicaux très hostiles à l’Occident, se sont approchés si près que des hélicoptèr­es Apache ont dû être envoyés pour les tenir à distance par des survols à basse altitude. Enfin, quand le site a finalement été déserté, des avions américains ont bombardé des dépôts de munition et des tentes pour ne rien laisser à « l’ennemi ».

Si ce premier acte a eu la chance d’éviter les caméras, ce n’est pas le cas de la retraite générale de plus d’une centaine de véhicules blindés américains, qui n’ont pas eu d’autres choix que de traverser les principale­s villes kurdes de la région, le 20 et le 21 octobre, sous les insultes, les pierres et les tomates pourries jetées par la population civile abandonnée à son sort

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Colère. Qamichli, le 21 octobre. Des habitants jettent des projectile­s sur un véhicule militaire pour protester contre le retrait des forces américaine­s du nord de la Syrie.

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