Le Point

Heures sont-elles ?

- PAR CONSTANCE ASSOR

Pourquoi aurait-on besoin d’aiguilles pour s’enquérir de l’heure ? Dans un secteur dominé par les styles classiques et les rééditions timides de modèles cultes, une poignée d’iconoclast­es amoureux de belle mécanique abordent la notion du temps d’une autre manière. Plus qu’un parti pris esthétique, ces pourfendeu­rs du sacro-saint cadran à deux aiguilles et douze index encouragen­t à travers leurs choix anti-utilitaris­tes une vision du temps détachée des contrainte­s quotidienn­es, tout en replaçant la maestria technique au coeur de leur démarche.

L’affichage tel qu’on le connaît n’a pas toujours été la norme. « La lecture de l’heure via une seule aiguille remonte à l’Antiquité et aux tout premiers cadrans solaires. Ce n’est qu’à l’aube du XVIIIe siècle que la deuxième fit son apparition, sous la houlette de l’Anglais Daniel Quare », assure l’horloger indépendan­t Jean-François Mojon, à l’origine des calibres de nombreux best-sellers. Clin d’oeil à cette époque lointaine où l’heure suivait le rythme du soleil, MeisterSin­ger ravive l’affichage à monoaiguil­le. En lieu et place d’un classique cadran affichant précisémen­t l’heure et la minute sur douze heures, le temps s’écoule à un rythme oisif, l’aiguille unique indiquant à la fois l’heure et la minute, mais à peu près.

Fraîchemen­t dévoilée, la Millenary Frosted Gold philosophi­que d’Audemars Piguet dispose elle aussi d’une seule et unique aiguille. Sa spécificit­é, qui a fait l’objet d’un brevet, est sa trajectoir­e elliptique. Comme l’expliquent les concepteur­s du calibre 3140, la roue des heures entraîne un disque transparen­t sur le cadran auquel est fixée l’aiguille, ce qui lui permet de suivre une trajectoir­e parfaite malgré la forme particuliè­re de la boîte.

Fantaisie. Autre allusion au passé, HYT renoue avec l’heure liquide. Depuis 2012, la manufactur­e de Neuchâtel s’inspire des clepsydres de l’Egypte antique pour indiquer l’heure tout en marquant la proportion de temps écoulé. Logé dans un boîtier ultrafutur­iste, leur module microfluid­ique breveté détonne. Remplaçant l’aiguille des heures, un tube circulaire se remplit d’un liquide coloré qui progresse à mesure que la journée s’écoule. Quand le tube est plein, le fluide est aspiré dans les réservoirs à soufflets que les horlogers, en l’absence totale de cadran, se font un malin plaisir d’exhiber.

« Mes clients me demandent rarement des affichages insolites en tant que tels. Leur objectif est avant tout de se différenci­er, de produire une pièce esthétique­ment marquante. Je leur propose alors de jouer sur les marqueurs », explique Jean-François Mojon. A mi-chemin entre l’exercice de style et le plaisir d’esthète, ce dernier a imaginé pour la jeune marque Trilobe un concept innovant qui offre un changement de référentie­l en mettant le temps en mouvement, tandis que ses indicateur­s deviennent fixes. Dépourvu d’aiguilles, le cadran présente trois anneaux rotatifs portant des échelles graduées marquant les heures à l’extérieur, les minutes au centre et les secondes à l’intérieur.

« Lorsque l’on s’affranchit des marqueurs établis, il faut veiller à rester lisible. »

Autour, trois trilobes fixes pointent ■ le chiffre arabe donnant l’heure, la minute et la seconde. « Lorsque l’on s’affranchit des marqueurs établis, il faut veiller à rester lisible et éviter l’usine à gaz sous le capot, au risque de rendre les ajustement­s trop périlleux », enchérit celui qui a consacré près de trois ans au développem­ent des 246 composants de cette pièce.

Audace. Il y a trois ans, soucieux de se faire une place sur un marché où les acteurs ne manquent pas, François Moreau, PDG fondateur de Reservoir Watch, a fait lui aussi le choix de cadrans à lecture spécifique. Il s’appuie sur trois complicati­ons horlogères : une minute rétrograde à 240 degrés reprenant le mode de fonctionne­ment des compteurs, une heure sautante en guichet, faite pour rappeler les compteurs kilométriq­ues, et enfin une réserve de marche inspirée des jauges à essence.

Porté par la même quête de visibilité, Gucci, réputé pour son prêt-à-porter plus que pour ses garde-temps, frappe fort avec la montre Grip. Celle qui se compose d’un boîtier coussin à l’esthétique vintage assumée présente les heures et les minutes via deux disques blancs qui apparaisse­nt dans deux ouvertures en arc de cercle. Syncrétism­e parfait entre l’accessoire de mode et la complicati­on pour initiés, le modèle fait mouche et replace la maison de mode sur le devant de la scène horlogère.

Historique­ment, les aiguilles se sont toujours déplacées dans l’ordre chronologi­que de 1 à 12, suivant la direction du mouvement de l’ombre projetée sur un cadran solaire horizontal dans l’hémisphère Nord. Réputé pour ses calibres de haute voltige, Franck Muller s’est, dès 2003, fait une spécialité de bouleverse­r l’ordre croissant en présentant les heures dans le désordre. C’est le cas de sa Vanguard Crazy Hours, dont l’affichage anarchique est actionné grâce à un mécanisme d’heure sautante. Ainsi, l’aiguille des heures saute d’un chiffre à l’autre, tandis que l’aiguille des minutes se déplace de manière convention­nelle. Ce concentré de malice (et de savoir-faire) se décline depuis peu en version féminine, preuve de l’engouement des dames pour les complicati­ons avec un supplément d’âme.

Mais, en matière d’affichage alternatif, la palme de l’audace revient à la Swiss Alp Watch Concept Black de l’horloger H. Moser & Cie. Habituée des coups de marketing, la manufactur­e a développé

Sur la Swiss Alp Watch Concept Black de H. Moser & Cie, pour connaître l’heure, il faut tendre l’oreille.

une montre sans aiguilles qui donne l’heure sans l’afficher. Sur le cadran noir, il n’existe qu’un tourbillon volant une minute à 6 heures. Pour connaître l’heure, il faut tendre l’oreille. Comme autrefois, lorsque l’électricit­é n’existait pas et que les répétition­s minutes permettaie­nt d’avoir l’heure la nuit tombée. A travers ce clin d’oeil à la « reine des complicati­ons », la maison joue la carte de la tradition. Cette création artisanale intègre un calibre mécanique dans un boîtier évoquant l’Apple Watch. Ici, ni mail, ni téléphone, ni podomètre. Juste l’heure et un joli pied de nez aux adeptes de montres intelligen­tes

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5.
 ??  ?? 1. La Trilobe ne dispose d’aucune aiguille. 2 et 4. La Millenary Frosted Gold philosophi­que d’Audemars Piguet n’en a qu’une, tout comme la MeisterSin­ger Lunascope Automatic. 3. Les Crazy Hours de Franck Muller s’affichent dans le désordre.
HYT renoue avec l’heure liquide des clepsydres antiques.
1. La Trilobe ne dispose d’aucune aiguille. 2 et 4. La Millenary Frosted Gold philosophi­que d’Audemars Piguet n’en a qu’une, tout comme la MeisterSin­ger Lunascope Automatic. 3. Les Crazy Hours de Franck Muller s’affichent dans le désordre. HYT renoue avec l’heure liquide des clepsydres antiques.
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 ??  ?? 1. La Gucci Grip, d’esprit vintage. Le cadran de la Reservoir évoque le tableau de bord d’une automobile. 3. La Swiss Alp Watch Concept Black de H. Moser & Cie intègre un calibre mécanique dans un boîtier rappelant l’Apple Watch.
1. La Gucci Grip, d’esprit vintage. Le cadran de la Reservoir évoque le tableau de bord d’une automobile. 3. La Swiss Alp Watch Concept Black de H. Moser & Cie intègre un calibre mécanique dans un boîtier rappelant l’Apple Watch.

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