Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

«Balkan Line » dure deux heures trente. C’est peu pour compenser les dizaines de fictions et de documentai­res antiserbes et antirusses infligés depuis la fin du siècle dernier aux spectateur­s et téléspecta­teurs européens. D’autant que le film – produit par les Russes Vadim Byrkin et Tatyana Kuranova, réalisé par Andrey Volgin et joué notamment par Milena Radulovic, l’Alice Taglioni serbe – ne sera, en Europe, ni distribué au cinéma ni diffusé à la télévision. J’ai acheté le DVD chez Gibert Joseph, boulevard Saint-Michel, à une vendeuse qui m’a fait ce commentair­e : « Le film que tout le monde me demande et que je ne trouve jamais. » Elle m’en a quand même dégoté un, j’espère que ce n’était pas le dernier. Je me suis précipité vers l’une des trois caisses du magasin, craignant d’être arrêté en chemin par un policier de la pensée, ces esprits forts devenus lourds avec les années et les compromiss­ions.

Il y avait assez de salles et de chaînes dans l’UE et aux Etats-Unis pour accueillir « Balkan Line », superprodu­ction haletante, digne des meilleurs Sylvester Stallone ou, pour utiliser une comparaiso­n moins énervante, des Michael Bay les plus trépidants. Mais le film de Volgin a le tort d’échapper aux clichés et aux mensonges sur lesquels s’est fondée la légende des guerres en ex-Yougoslavi­e. La chanson antiserbe, fredonnée sans souci depuis vingt-cinq ans par l’immense majorité des commentate­urs occidentau­x, reçoit, dans cette oeuvre tirée d’une histoire vraie, un démenti.

Je me souviens des chars russes traversant Belgrade un matin de printemps 1999 pour se rendre au Kosovo afin de protéger les population­s serbes des exactions de l’UCK. «Balkan Line» raconte cette rapide progressio­n, qui me rappelle la ruée soviétique vers Berlin en mai 1945, sur les bonnes routes yougoslave­s laissées en héritage par le maréchal Tito (1892-1980). En parallèle, on suit un peloton des forces spéciales russes dont la mission consiste à conquérir et à occuper l’aéroport de Pristina, transformé par les mafieux locaux en dépôt d’armes et en cache de drogue. Les Russes sont à un contre dix, c’est la proportion des meilleurs films de guerre, des « Sept mercenaire­s » (John Sturges, 1960) aux « Douze salopards » (Robert Aldrich, 1967). Volgin, né avec Tarantino et ayant grandi avec Leterrier, connaît sur le bout des doigts son cinéma d’action, qu’il soit américain ou américanis­é. La cerise sur le gâteau serbe (mon préféré : sampita) est l’apparition, à la dernière image d’un happy end bien mérité, d’Emir Kusturica en chauffeur de taxi qui comprend l’amour et donc la vie. On se souviendra aussi des images de Belgrade en feu, vieille habitude : la ville a été rasée, selon les différents historiens, entre 17 et 24 fois

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Une superprodu­ction russe haletante.

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