BD : Vercingétorix avait-il une moustache ?
Alors que paraît « La fille de Vercingétorix », le nouvel album d’Astérix où plane l’ombre d’un héros national, l’historien Yann Potin démêle la réalité de la légende.
C’est l’histoire d’Adrénaline, la fille de Vercingétorix, capturée par César, comme on le sait depuis « Le bouclier arverne ». Et qui arrive au village gaulois d’où elle doit partir pour Londinium, Londres, où sont basés les résistants à l’occupation. Sauf que la jeune femme n’a pas du tout envie de résister et veut plutôt rejoindre Thulé, une île exotique (tout au nord), pour s’occuper d’enfants sans parents, comme elle… Qu’est devenu son père ? Et comment vont réagir nos Gaulois armoricains face à cette vocation humanitaire ? Voilà qui fait tout le sel de ce 38e album d’« Astérix », le quatrième depuis sa reprise des mains d’Uderzo par Ferri et Conrad. Tiré à 5 millions d’exemplaires, « La fille de Vercingétorix » constitue un excellent cru ainsi qu’une étape supplémentaire, et sans doute décisive, dans l’appropriation et l’actualisation par le tandem de l’esprit originel de la série. L’historien Yann Potin, qui a participé à la coordination d’« Histoire mondiale de la France », de Patrick Boucheron (Seuil), où il a signé l’article consacré à la bataille d’Alésia, a lu l’album pour Le Point. Il montre comment l’exploitation de l’icône gauloise par les tandems Goscinny-Uderzo et Ferri-Conrad peut cacher des croyances tenaces comme des vérités inattendues.
Les Gaulois étaient-ils vraiment chevelus ?
« Uderzo et Goscinny ont beaucoup joué sur la pilosité des Gaulois, et c’est un élément qu’on retrouve chez Ferri et Conrad. La représentation des Gaulois moustachus a plusieurs causes. L’une d’entre elles vient de la fameuse statue du Gaulois mourant qui se trouve au musée du Capitole, à Rome. C’est une copie romaine d’un original grec du IIIe siècle avant J.-C., représentant un soldat gaulois qui n’est pas spéciale
ment poilu mais porte une légère moustache. Ainsi s’est construite l’antithèse des Romains, qui, eux, essaient d’imiter la beauté grecque imberbe. Pourtant, l’une des représentations qui ont été retrouvées en contexte archéologique d’un certain Vercingétorix se trouve sur un statère, une pièce de monnaie, qui le dessine complètement imberbe, conformément aux représentations des chefs militaires antiques, qui prennent souvent les traits d’Alexandre le Grand. Une autre cause est à chercher du côté de l’ambiguïté de l’expression “Gallia Comata”, désignant la partie de la Gaule qui n’avait pas été soumise à Rome avant la guerre des Gaules. On peut comprendre cette expression comme la “Gaule boisée”, car elle comportait un territoire sans doute moins défriché que la région méditerranéenne. Mais on l’a traduite aussi par “Gaule chevelue”, parce que cela accréditait l’idée que les Gaulois étaient barbus. Cela permettait de raciser les Gaulois, dont les Romains avaient peur. D’ailleurs, pour montrer dans “Obélix et compagnie” que la discipline se dégrade chez les Romains, Goscinny et Uderzo en font des barbus ! »
Vercingétorix, un perdant magnifique ?
« Dans “La guerre des Gaules”, César a tendance à glorifier la dernière phase de résistance que lui opposent les Gaulois. Vercingétorix est en fait immortalisé par le rôle que César a bien voulu lui donner. Car, à part chez César, nous n’avons aucune autre référence dans les textes. Cette image du perdant magnifique, que Goscinny et Uderzo reprennent dès la deuxième case d’“Astérix le Gaulois”, en 1959, puis dans “Le bouclier arverne”, en 1968, est avant tout celle où
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Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César. ■
Elle est d’ailleurs reprise très rapidement dans “La fille de Vercingétorix”. Cette scène a été imaginée en 1899 par le peintre Lionel Royer dans un tableau qui a forgé le mythe du guerrier, alors qu’elle n’existe pas dans “La guerre des Gaules”. Vercingétorix est d’autant plus beau dans la défaite que l’historiographie du XIXe siècle a pensé cette défaite comme nécessaire. La Gaule devait subir la romanisation – un terme que l’on trouve d’ailleurs dans “La fille de Vercingétorix”. Cet héritage était d’une double nature pour la France : la truculence et la bravoure gauloises d’un côté, la sophistication et la civilisation apportées par Rome de l’autre. »
En Gaule, tous résistants ?
« C’est l’un des thèmes fondateurs d’“Astérix”, et il est au coeur de “La fille de Vercingétorix”. En créant “Astérix” en 1958, Goscinny pensait à la fois à la Résistance face à l’Allemagne et à la France de De Gaulle, refoulant Vichy tout en tenant tête aux Etats-Unis. “La fille de Vercingétorix” porte le deuil d’une résistance unie. Le village gaulois n’est pas seul à résister, il y a désormais la concurrence du mystérieux FARC (Front arverne de résistance checrète, avec l’accent auvergnat), ce qui est une première dans “Astérix”. Mais c’est une résistance qui est obligée de se tenir à Londres et qui semble moins pertinente et efficace que celle de l’irréductible village gaulois… J’aime assez l’idée que la loupe qui ouvre chaque album d’“Astérix” sur le village entouré de camps romains permet de détourner le regard du reste de la Gaule, qui, à quelques exceptions près, s’accommode très bien de l’“occupation” romaine. »
Le torque de Vercingétorix, mythe ou réalité ?
«Le torque était un objet honorifique celte dont on ne connaît pas vraiment la fonction. Ferri a inventé une histoire assez drôle autour de l’origine de celui que Vercingétorix aurait transmis à sa fille. Il se serait inspiré d’un collier découvert au large de la Bretagne et qui portait une inscription signifiant “fille du roi”. Dans l’album, la fonction du torque est essentielle. “La fille de Vercingétorix” est l’histoire du deuil monarchique. Les Gaulois n’ont finalement pas besoin de roi – ou de reine. Adrénaline refuse cette hérédité de la résistance, elle veut s’occuper des “enfants qui n’ont pas de parents”. Avec cet album, les Gaulois de la nouvelle génération – présente à travers les fils de Cétautomatix et d’Ordralfabétix – sont libérés de l’improbable héritage d’un chef fantôme et prêts à prendre en main leur destin de manière collective. Il sera intéressant de voir l’accueil que vont faire les Français à cet album : nouveau monde contre ancien monde ? »
■ « La fille de Vercingétorix », de Ferri et Conrad
(Les Editions Albert René, 48 p., 9,99 €).
« Avec cet album, les Gaulois de la nouvelle génération sont libérés de l’improbable héritage d’un chef fantôme et prêts à prendre en main leur destin de manière collective. »
Yann Potin