Roman : qui êtes-vous, Nathacha Appanah ?
Son 7e roman nous conduit sur les traces d’une famille brisée, aux destins contrariés. Toujours avec la même puissance d’émotion.
Quelle fée s’est penchée sur la jeune Nathacha Appanah pour que ses neuf livres – dont le dernier, « Le ciel par-dessus le toit » – embrassent avec la même grâce tour à tour l’histoire de Maurice, un jeune couple en crise, la société explosive de Mayotte et, aujourd’hui, une famille brisée aux destins contrariés ? Le poème de Verlaine qui inspire le titre de son nouveau roman, Nathacha Appanah en a encore la révélation dans les yeux, qu’elle a noirs et immenses. Regard dévorant au-dessus d’un sourire éblouissant. Elle a 13 ans quand sa « géniale » prof de français le récite par coeur, en regardant par la fenêtre de la classe : « Dis, qu’as-tu fait, toi
■
que voilà, de ta jeunesse ? » Celle de l’écrivaine ■ se déroule à l’île Maurice, où elle naît en 1973 d’une famille d’ascendance indienne. Elle a raconté dans son premier roman, « Les rochers de poudre d’or » (Gallimard, 2003), ces Indiens venus remplacer les esclaves émancipés dans les champs de canne ; ses ancêtres. Le livre qu’elle publie aujourd’hui, son septième roman, fait un retour à cette même période de l’adolescence : à 13 ans, elle visite avec son collège une prison pour femmes – « Nous devions y chanter et exécuter une chorégraphie » –, y aperçoit des visages, expérimente l’empathie et, le soir même, écrit un texte sur une mère qui élève seule son enfant qu’elle enferme la nuit pour aller travailler.
Marginalité. A 17 ans, elle remporte un concours de nouvelles et, tout en suivant de sérieuses études de maths-physiques, cultive son jardin secret. Le journalisme lui permettra d’allier son insatiable appétit d’autrui et l’écriture : « J’ai une curiosité inassouvie des gens. » En 1998, elle obtient une bourse pour travailler au Dauphiné libéré. « Je partais pour trois mois, cela fait vingt et un ans que je suis en France ! » Lyon, Caen, Bordeaux aujourd’hui, et entre-temps Mayotte, où elle a vécu deux ans et rapporté le poignant « Tropique de la violence » (Gallimard,2016), son avant-dernier roman multiprimé. Chaque nouveau livre surprend : quel lien entre le maternel « La noce d’Anna » et « Le dernier frère », sur l’exil de juifs d’Europe de l’Est à Maurice en 1940 ? La musique de fond, d’une discrète, gracieuse et constante puissance d’émotion, son écriture d’ange gardien qu’on retrouve sous ce nouveau « Ciel ».
« Après “Tropique de la violence”, très ancré géographiquement, j’ai eu envie d’écrire un texte frontal dans un contexte flouté.» Cap sur les personnages, dans cette histoire de manque et de surplus d’amour, autour de Loup, 17 ans, incarcéré pour avoir provoqué un accident en conduisant sans permis afin de revoir sa demi-soeur, Paloma, qui lui avait promis, quand elle a quitté le domicile familial, de revenir le chercher. Appanah allie la précision des faits et celle des portraits, pour naviguer dans les mémoires de chacun, à commencer par celle de la mère, qui en a fini violemment avec la petite fille en elle, sommée d’incarner la perfection. Il y a du conte dans ce roman, de la douceur sur la douleur et toujours la marginalité – son thème de prédilection –, dont émane une atmosphère onirique. « Le ciel est, par-dessus le toit,/ Si bleu, si calme ! » Les histoires d’Appanah, en écho à celles que ses chers « fantômes » de grands-parents lui racontaient, sont violentes. Et, cependant, calmes et bleues
■
« Le ciel par-dessus le toit », de Nathacha Appanah (Gallimard, 124 p., 14 €).
était une fois, donc, dans ce pays, un garçon que sa mère a appelé Loup. Elle pensait que ce prénom lui donnerait des forces, de la chance, une autorité naturelle, mais comment pouvait-elle savoir que ce garçon allait être le plus doux et le plus étrange des fils […] » « Le ciel pardessus le toit »