Le Point

Essai : l’amitié selon Delorme

- PAR FRANZ-OLIVIER GIESBERT

On est rarement déçu quand un journalist­e littéraire de haut vol s’invite dans le théâtre d’ombres de la politique : il perçoit tout de suite le romanesque de ce monde stendhalo-balzacien. On se souvient encore d’un fameux portrait de Chirac par Garcin. On a une surprise du même genre avec le livre de Marie-Laure Delorme, « Parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Critique littéraire au Journal du dimanche, connue pour son exigence et sa farouche liberté d’esprit, elle place la barre très haut avec cet essai en forme d’enquête sur l’amitié en politique. Qu’on se rassure : n’empruntant pas le pont aux ânes des lieux communs, elle ne la considère pas comme « un sentiment pur dans un monde impur ». Ce ne serait au demeurant vrai ni de l’un ni de l’autre. Bien sûr, elle évoque François Mitterrand, qui, de tous les présidents de la Ve, fut celui qui incarna le plus l’amitié à la vie, à la mort, demandant beaucoup et donnant autant à ses amis, qu’il était toujours, à ses yeux, malséant de juger. Pour lui, un ami était celui qu’on pouvait appeler à 1 heure du matin parce qu’on venait de tuer quelqu’un et qui vous rejoignait aussitôt pour vous aider à enterrer le cadavre. Même si Marie-Laure Delorme fait la fine bouche devant l’usage que François Mitterrand a pu faire de ses amitiés, c’est une définition finalement assez mitterrand­ienne qui sous-tend son livre. L’amitié vraie nous dépasse, nous dépossède et ne demande jamais rien en échange. « Nous ne sommes pas amis avec tous les gens que nous aimons, observe l’autrice, et nous sommes amis avec des gens que nous n’aimons pas forcément. » Pour résumer l’amitié, on n’a jamais rien fait de mieux depuis la célèbre phrase de Montaigne à propos de La Boétie : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » « L’amitié, c’est la fidélité, a dit aussi un grand “philosophe” du XXe siècle, et si on me demandait ce qu’est la fidélité, je répondrais : c’est l’amitié. » – Julio Iglesias. Passionnan­tes sont les pages consacrées à Bruno Le Maire, Pierre Moscovici, Patrick Stefanini, François Hollande, Marielle de Sarnez, Sylvain Fort, Edouard Philippe, Anne Hommel, François Bayrou, etc., qu’elle a tous passés à confesse. Par leur entremise, elle nous fait entrer dans un monde shakespear­ien qui tient parfois du coupegorge, où les déceptions alternent avec les trahisons. « La politique, dit Sylvain Fort, est la pire épreuve pour l’amitié. » Elle a en tout cas bien réussi à Marie-Laure Delorme

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi », de Marie-Laure Delorme (Grasset, 204 p., 19 €).

BRUNO LE MAIRE, PIERRE MOSCOVICI, FRANÇOIS HOLLANDE, MARIELLE DE SARNEZ, ÉDOUARD PHILIPPE…, TOUS SONT PASSÉS À CONFESSE.

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Marie-Laure Delorme.

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