Macron face aux passions éruptives, par Sébastien Le Fol
Emmanuel Macron a de quoi être contrarié : lui qui voulait administrer rationnellement ce pays se heurte à la « revanche des passions », si bien décrite par le grand géopolitologue Pierre Hassner. Ses tentatives de
« ramener les problèmes à des données simples, de manière à pouvoir les résoudre », selon l’expression de Brice Couturier dans « Macron, un président philosophe », se confrontent à des manifestations de plus en plus extrêmes de ressentiment. Les macronistes paraissent démunis face aux éruptions du thumos, la dimension colérique de l’âme. Pour toute réponse, ils en appellent au sens de la mesure, invoquent la science, convoquent faits et règlements administratifs. En tout cas, ils sous-estiment la dimension affective de la vie sociale et politique. Thucydide avait répertorié trois passions fondamentales qui font bouger les peuples : l’avidité, l’honneur, la peur. Cette dernière s’exprime aujourd’hui dans toutes les strates de la société. Le fond de l’air effraie : terrorisme apocalyptique, fanatisme religieux, catastrophisme écologiste… Pierre Hassner a bien posé la problématique du bon gouvernement dans ce contexte : « Comment aboutir, devant la multiplicité des passions contradictoires, à un équilibre ou à une hiérarchie stable plutôt qu’à une escalade et à des combinaisons possibles ? » A l’image du comte de Saint-Simon (1760-1825), père de l’industrialisme français, Emmanuel Macron ne voulait pas s’encombrer de la
« conduite des hommes » pour mieux se consacrer à « l’administration des choses ». Il espérait régler les problèmes du pays en « posant des diagnostics » et en confiant les réformes à des « industriels de l’action publique ». Aujourd’hui, son élan réformiste est entravé par une administration confite dans ses certitudes et ses habitudes. Le grand soir technocratique se fait toujours attendre. S’il veut affronter les tempêtes imminentes, le président doit s’attaquer sans plus tarder à la forteresse étatique et ne pas esquiver les passions tristes
■