Cinéma (« Le Mans 66 ») : Matt Damon, « America first ! »
Rencontre avec l’acteur, qui joue les as du volant.
« Je me demande jusqu’à quel point les jeunes générations vont s’autocensurer, car avec les réseaux sociaux tout est si facilement public. »
Matt Damon
Il en faut peu pour transformer Matt Damon : un chapeau de cow-boy noir, une paire de lunettes marron fumé, une cravate texane, un accent qu’il fait traîner tout en mâchonnant disgracieusement un chewing-gum et le voilà devenu Carroll Shelby. Ce cador de l’asphalte, ex-pilote de course, fut l’inventeur de la plus rapide des « muscle cars », la Ford GT40, qui permit à l’écurie américaine de remporter pour la première fois les 24 Heures du Mans en 1966 et de battre « l’invincible » Ferrari à son propre jeu. « Le Mans 66 », de James Mangold (« Walk the Line », « Logan »…), nous plonge dans l’ambiance bourdonnante des garages, sur les traces de ces artisans aux mains d’or couvertes de cambouis, et nous propulse sur les circuits. On vibre de l’adrénaline sécrétée à 7 000 tours/minute par ces fous du volant lorsqu’ils prennent un virage un peu trop à la corde ou se retrouvent tôle contre tôle dans un coude-àcoude à faire brûler la gomme. Le drame pointe à chaque tournant, l’accident à chaque coup de volant, mais il en faut plus pour ébranler ces fonceurs qui ont l’étoffe des héros. Matt Damon est convaincant dans le rôle de l’amoureux des bolides alors que, de son propre aveu, il sait à peine « changer une roue » ! « J’avais pour doublures des coureurs automobiles », confesse l’acteur de 49 ans. Le rôle du casse-cou revient à l’excellent Christian Bale, alias Ken Miles, pilote grande gueule, mécano orfèvre et maillon indispensable à la réussite de Ford contre Ferrari.
La rivalité entre les deux écuries est au coeur du long-métrage. Ford était un quasi-novice des circuits avant de décider par orgueil de battre le maître italien. Derrière cet accomplissement, qui relève de l’exploit surhumain, le film dessine un portrait équivoque de l’Amérique : ambitieuse, prompte à honorer sa devise, E pluribus unum (« De la diversité dans l’unité »), capable de donner à une équipe de passionnés aux horizons différents l’occasion de vivre le rêve américain et… d’expérimenter tout ce qu’il a d’illusoire et de destructeur quand une entreprise décide d’écraser les artisans mêmes de son succès au nom du marketing et de la communication… Le film n’est pas tendre envers ceux qui cherchent le coup médiatique à tout prix, quitte à faire des victimes. Et ce n’est pas Matt Damon qui dira le contraire. « La nature du journalisme a profondément changé avec l’avènement de l’info en continu, souligne l’acteur dans son réquisitoire. Avant, les interviews étaient… Avant, nos conversations étaient incroyablement libres parce que les journalistes n’avaient pas la pression du clic, celle de ramener une histoire qui fait vendre. Aujourd’hui, les interviews peuvent endommager considérablement votre carrière. Je me demande jusqu’à quel point les jeunes générations vont s’autocensurer, car avec les réseaux sociaux tout est si facilement public. Je dois m’adapter, je n’ai pas vraiment le choix si je veux continuer à bosser. Heureusement, je crois que j’ai toujours une carrière… » « Le Mans 66 » en est la preuve
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