La France ? Quelle Histoire !
Le prix de la meilleure citation de la semaine revient sans conteste au grand écrivain algérien Boualem Sansal. « Nos islamistes, nos caciques du FLN, nos kleptomanes sont tous ici. La France les a accueillis, naturalisés et leur a reconnu le droit de la juger pour haute trahison, racisme et islamophobie. Pourquoi n’en useraient-ils pas ? Ça donne à manger. » (1)
Que devient la France rongée par le ressentiment ou la haine de soi comme par des vers et sur laquelle il est devenu bienséant de se faire les pieds ? C’est plus que jamais un pays jacobin et sécessionniste, monarchiste et régicide, paisible comme une vache dans sa prairie et aussi braillard qu’un manifestant professionnel de la CGT. Un paradis qui, comme dirait Sylvain Tesson, se prend pour l’enfer.
Le paradis français marine dans la nostalgie et s’accroche aux vieilles lunes de l’ancien monde. Protubérante est la place prise par le débat social dans un pays de plus en plus désyndicalisé. C’est comme s’il avait retenu son souffle jusqu’au grand psychodrame social du 5 décembre. Voilà encore une « exception française » avec les régimes spéciaux de retraite, le taux record de dépenses publiques par rapport à la richesse nationale ou encore le nombre de fromages (au moins 1 200 variétés !).
Notre récit national est-il encore lisible? C’est quand on croit avoir percé à jour notre chère et vieille patrie que l’on cesse de la comprendre, comme le montre la multiplication des histoires de France publiées chaque année et qui se contredisent les unes les autres. Après celle d’Eric Zemmour, « Destin français» (Albin Michel), voici celle de Laurent Joffrin, « Le roman de la France » (Tallandier) et celle de Gérard Noiriel, « Une histoire populaire de la France » (Agone). Quand on les a terminées, on n’est pas bien sûr que leurs auteurs nous parlent tous du même pays.
Avec «Le roman de la France», Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération, a fait un travail de titan pour simplifier et fluidifier sa version de l’Histoire. Dieu merci, même s’il est de gauche, sa grille de lecture n’est pas marxiste, autrement dit barbante. Il raconte les personnages qui nous ont faits, les Vercingétorix, Clovis, Richelieu ou le Régent, avec la passion d’un Decaux, d’un Ferrand, et ça donne d’excellentes pages. Respectueux de l’héritage national, il déconstruit volontiers nos grands moments tout en donnant un sens hégélien à son récit, celui d’une marche vers la liberté. Du bel ouvrage.
La force de Joffrin est de relire l’Histoire d’hier avec les yeux d’aujourd’hui. C’est aussi sa faiblesse, car il est obsédé par l’histoire zemmourienne (ou de droite) dont il veut prendre le contrepied. D’où des sorties de route quand, par exemple, il présente la bataille de Poitiers (732) comme celle de l’archaïsme, voire de la barbarie, incarné par Charles Martel, contre la « modernité » de la « civilisation musulmane », jusqu’à sembler regretter que celle-ci n’ait pu gagner et islamiser le royaume des Francs. Minute, cher Laurent, les musulmans n’étaient pas des agneaux innocents, en ce temps-là : la légende d’Al-Andalus, éden d’ouverture et de tolérance, est une vaste blague.
Non à la réécriture, musulmane ou pas, de l’Histoire ! Les croisades sont aussi, on ne le dit jamais, le fruit des invasions sarrasines depuis la péninsule Ibérique. Dans son discours de Clermont, qui lança la «guerre sainte» des catholiques, en 1095, le pape Urbain II avait beaucoup insisté sur les incursions permanentes des musulmans, comme si, en conquérant Jérusalem, la chrétienté pouvait enfin les frapper au coeur : « La France aurait connu les lois de Mahomet sans les exploits de Charles Martel et de Charlemagne (…). Ils ont sauvé l’Occident d’un honteux esclavage. »
« Une histoire populaire de la France », de Gérard Noiriel, que l’on dirait écrite pour les manifestants du 5 décembre, est une somme savante, passionnante, mais trop engagée pour être honnête. On ne peut que saluer une démarche qui entend donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais, les misérables, les gens de peu. Dommage qu’elle soit gâchée par des partis pris tranchants comme des couteaux. L’auteur vénère Robespierre, la Commune, la lutte de classes, mais il vomit Jeanne d’Arc, le libéralisme et… Emmanuel Macron, qu’il considère, non sans raison, comme un disciple de Barack Obama, qui, au pouvoir, privilégia les « creative class » des start-up au détriment des classes populaires, pour le plus grand bonheur de Donald Trump.
« L’Histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord», disait hier Napoléon. Aujourd’hui, signe des temps, personne n’est plus d’accord dessus. Mais n’est-ce pas ainsi que l’on pourra, un jour, espérer rétablir quelques vérités ?
■ 1. Le Figaro Vox, le 29 novembre.